Nos articles antérieurs ont tous mis en évidence le caractère illusoire d’un possible remboursement des dettes publiques. Le texte qui suit décrit le circuit de la dette à partir d’un suivi des flux tels que représentés par la comptabilité nationale. sa lecture suppose une bonne connaissance de l'article "Banque centrale et Trésor: une très instructive histoire" et en particulier les développements consacrés aux modes marché et hièrarchique de gestion de la dette publique.
Soient les identités classiques suivantes : Y= C + I + (G-T) +(X-M)
et Y= C + S
Dans lesquelles Y représente le PIB, C la consommation, I l’investissement, G les dépenses publiques, T les prélèvements publics, X les exportations, M les importations, et S l’épargne.
On en déduit que S = I + ( G-T) + ( X- M)
G – T représente le solde public, très déficitaire bien avant la crise s’agissant de la France, il s’est considérablement aggravé depuis 2008. Ce solde a pour contrepartie, une augmentation des actifs financiers détenus par le secteur privé. En clair le solde représente des achats de bons du trésor par le secteur privé, d’abord des banques et compagnies d’assurances, puis des entreprises et des particuliers, résidents et non résidents.
Sans préjuger pour le moment du type de rapport qui peut s’établir entre le Trésor et la banque centrale, rapports étudiés dans les 3 articles consacrés à ce sujet, il est clair que la banque centrale est l’exécutrice opérationnelle des consignes données, par les ordonnateurs et comptables du Trésor. C’est en effet elle qui va débiter et créditer les comptes des banques, qui elles mêmes enregistrent en débits et en crédits, les paiements de l’impôt et les dépenses publiques. Il est donc logique de considérer Trésor et banque centrale, comme un bloc que l’on pourrait appeler « blog gouvernemental », par opposition au reste, que l’on pourrait désigner « bloc non gouvernemental » et qui est constitué d’agents financiers et non financiers résidents ou non.
Les écritures comptables dans le cas d’un mode marché de gestion de la dette
Un déficit public ( G> T) correspond ainsi à des flux nouveaux repérables selon les écritures suivantes:
Banque centrale Banques
A _____________I_________________P A _____________I_________________P
I Compte du Trésor + Bons du Trésor + I Comptes des agents
_ Non financiers +
Agents non financiers
A______________I___________P
Comptes bancaires +
Dans ce schéma , nous retenons l’hypothèse du mode marché de gestion de la dette, celle-ci apparaissant sous la forme d’achats de bons du Trésor par le secteur privé, ici les banques. Nous pourrions du reste sans difficulté envisager l’achat de bons par les agents non financiers eux- mêmes.
Ce qui modifierait les bilans de la manière suivante :
Banques Agents non financiers
A____________I______________P A______________I_______________P
Comptes des agents Bons du Trésor +
Non financiers + Comptes bancaires +
_ _
Précisons que ces deux schémas, correspondent bien à la réalité institutionnelle telle que vécue tout particulièrement dans la zone Euro. La création monétaire est le fait du système bancaire par le jeu du multiplicateur de crédit, la banque centrale ayant le monopole d’émission de monnaie légale.
Dans le premier schéma, l’achat de bons du Trésor ne s’opère pas directement à partir des actifs monétaires, dont sont bénéficiaires les agents non financiers jouissant de la dépense publique. Tout se passe comme s’il y avait couverture du déficit, par activation de la planche à billets, activation contrariée par le retrait de liquidités provoqué par l’achat de bons du Trésor. D’une certaine façon il y a éviction, puisque le choix des banques est de faire crédit au Trésor, au détriment d’autres crédits possibles au secteur privé. Mais il ne s’agit que d’une apparence, puisque la liquidité a augmenté d’un même montant en raison du déficit. Ainsi, et contrairement à ce qui est généralement enseigné, la politique budgétaire expansionniste, ne donne pas lieu à effet d’éviction. C’est dire que le secteur privé n’a rien à craindre de la dette publique, et il faut regretter que l’on continue à lire régulièrement, que les Etats siphonnent les autres actifs, en raison de l’ampleur des montants levés par les agences publiques . (cf le texte de Pierre Sabatier « la dette publique pénalisera le marché des actions » dans la dernière publication du Cercle Turgot : « Rigueur ou relance ?» Eyrolles 2011).
Dans le second schéma, l’achat de bons est le fait des agents non financiers, qui d’une certaine façon, trouvent une opportunité de placement d’actifs monétaires issus du déficit, dont ils sont les bénéficiaires. Au fond, le déficit abondant les comptes des agents non financiers, est lui-même une épargne en quête de placement, ici sous la forme de titres publics.
L’introduction des non résidents ne change guère les choses. Si X –M < 0, il y a bien engendrement d’actifs monétaires en quête de placement, éventuellement sous la forme de titres publics. C’est d’ailleurs massivement la situation américaine, les non résidents chinois disposants des actifs, contrepartie du déficit de la balance commerciale, qu’ils transforment en titres publics américains.
En mode marché de gestion de la dette, il apparait que les actifs financiers publics sont le résultat de la production d’une usine financière, comme des automobiles sont le résultat d’une chaine d’assemblage. Et si en principe le marché de l’automobile est un marché mutuellement avantageux – les échangistes gagnent à l’échange comme l’enseigne la micro économie- il en est logiquement de même sur les actifs financiers publics : il existe une demande de dette publique, laquelle satisfait au besoin d’épargner. Les usines productrices d’automobiles satisfont aux besoins du transport, et les Etats producteurs de dettes satisfont au besoin d’épargner. Ce producteur de dettes qu’est l’Etat, est de fait un producteur d’épargne.
Et la présentation comptable est éclairante , notamment le second schéma, où l’on peut reprendre le bilan des agents non financiers construit pour suivre le flux du déficit, et le traduire dans le cas du marché de l’automobile. A l’actif, l’achat de bons du Trésor est remplacé par l’achat d’automobiles. Au passif, les comptes bancaires sont abondés des revenus contreparties de la production d’automobiles. Ils sont ensuite débités de la valeur des automobiles achetées.
Agents non financiers
A________________I_________________P
Automobiles + Comptes bancaires +
Comptes bancaires +
-
Pour en revenir au mode marché de la dette publique, il n’existe une offre de dette, que dans la mesure où existe une demande, elle-même en concurrence, avec d’autres actifs financiers produits dans le secteur privé. Et si la demande d’actifs publics est importante, c’est sans doute en raison de ses qualités spécifiques. Quelles sont les spécificités des actifs financiers publics ?
La première est sans nul doute la grande sécurité qu’ils offrent. Il s’agit dans les conditions normales d’un Etat de droit, de la classe d’actifs la moins risquée, et la plus liquide qui soit, et ce évidemment en raison de la nature fort spécifique de son émetteur. Emetteur qui encore une fois - dans un Etat de droit, une structure qui respecte les droits de propriété - est beaucoup plus solide que tout émetteur privé.
La seconde spécificité découle de la première : parce que sécurisants, les actifs financiers publics sont à la base d’une pyramide financière de très grande taille. Ils constituent la matière première de base, de toute l’industrie de l’assurance, et d’une bonne partie de l’industrie financière de l’épargne. Ils constituent ainsi le socle d’une accumulation du capital.
Le Trésor est ainsi par son déficit, un producteur irremplaçable de la matière première financière, et certains considèrent même que les innovations financières, telles la titrisation, furent historiquement les erzats de cette matière première sans risques, qui aurait été produite en quantité insuffisante, par des Etats insuffisamment déficitaires ( cf François Meunier : « face à la crise française de la dette publique, il faut changer sa gouvernance » in « Rigueur ou Relance »).
Les écritures comptables dans le cas d’un mode hiérarchique de gestion de la dette.
On peut tout d’abord supposer une contrainte type « plancher de bons du Trésor », contrainte massivement utilisée en France jusqu’au début des années 70. Dans ce cas, il y a évidemment disparition d’un marché de la dette publique avec disparition d’un prix – le taux de l’intérêt - fixé par le marché. Nous sommes renvoyés au premier schéma, simplement que les bons du Trésor apparaissant au bilan des banques, ne sont plus de l’ordre de l’achat volontaire, mais le produit de la contrainte publique. Pour le reste rien ne change, et le crédit obligatoire envers l’Etat – les planchers de bons du trésor sont une obligation juridique qui fût historiquement sous haute surveillance – n’affecte pas la capacité des banques à créer de la monnaie. Le multiplicateur du crédit restant intact, la seule perte des banques se mesure dans la rémunération qu’elles perçoivent au titre de l’achat des bons du Trésor.
L’autre mode hiérarchique classique est la monétisation obligatoire sous la forme d’avances au Trésor. Avec les écritures suivantes :
Banque centrale Banques
A_______________I________________P A_____________I______________P
Avances au Trésor + Compte du trésor + Comptes au Trésor + Comptes des
_ agents NF +
Compte des banques +
Agents non financiers
A_________________I________________P
Comptes bancaires +
Là encore le multiplicateur du crédit n’est en aucune façon affecté . A l’inverse, la base monétaire étant plus grande, les potentialités inflationnistes se manifestent.
L’introduction des échanges extérieurs dans la gestion de la dette
Lorsque (X – M) > 0 les actifs financiers des agents non financiers résidents augmentent ,
ce qui est une autre façon de dire que la base monétaire s’accroit. La gestion en mode marché de la dette publique en est facilitée. Ce qui nous renvoie, à titre d’exemple, à la situation japonaise où sur une longue période, et au-delà de quelques accidents conjoncturels, déficit public et excédents extérieurs vont cohabiter. Avec la particularité que l’épargne interne augmentant, le coût de la dette, plus faible, favorisera son autocentrage sur l’économie nationale. En clair la demande de titres publics est massivement le fait d’agents résidents. Concrètement la gigantesque dette publique japonaise se trouve très peu internationalisée.
Lorsque (X – M) < 0 les actifs financiers des agents non financiers résidents diminuent , et ceux des non résidents augmentent . Dans le cas d’un règlement du déficit en monnaie nationale, il y a toutes choses égales par ailleurs baisse du taux de change. A l'inverse ,le taux n’est pas affecté si les actifs financiers correspondants au déficit, sont réintroduits dans le circuit. C’est le cas américain, où le déficit commercial est transformé en actifs publics. C’est aussi une situation où déficit public et déficit extérieur vont cohabiter , ce qu’on appellera dans la littérature les « déficits jumeaux ». Dans le cas d’un règlement du déficit en monnaie étrangère, la base monétaire décroit – il y a destruction de monnaie nationale en contrepartie d’une sortie devises - et la gestion de la dette en mode marché en est contrariée.
D’une façon générale, le mode marché de gestion de la dette peut se prolonger, sans réelles difficultés, si les comptes extérieurs sont durablement excédentaires.
Le mode hiérarchique de gestion de la dette écarte évidemment les non résidents, lesquels ne peuvent se manifester qu’en mode marché. Et il est vrai, que le mode hiérarchique n’à guère besoin d’une épargne étrangère pour fermer le circuit du Trésor. En revanche les craintes qu’il inspire, notamment sa réputation inflationniste, peuvent affecter le taux de change.
Le mode hiérarchique de gestion de la dette soulève la question de la stabilité monétaire dans le cas où la base monétaire s’accroit à un rythme durablement plus rapide que celui du PIB.
Comme on le sait le Traité de Lisbonne fixe, dans un texte situé très haut dans la hiérarchie des normes, le choix du mode marché de gestion de la dette. Pour autant, il n’est en aucune façon un texte libéral, et nous avons longuement souligné – cf « mais des banquiers centraux libérés » dans « Banque centrale et trésor : une très instructive histoire- partie 1 » - le démantèlement organisé du « bloc gouvernemental », la banque centrale devenant une institution « sui generis ».
A la lumière de cette présentation très mécanique de la dette publique, nous examinerons dans un article ultérieur, les choix possibles des entrepreneurs politiques.