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8 mars 2011 2 08 /03 /mars /2011 14:46


                                              

Nos articles antérieurs ont tous mis en évidence le caractère illusoire d’un possible remboursement des dettes publiques. Le texte qui suit décrit le circuit de la dette à partir d’un suivi des flux tels que représentés par la comptabilité nationale. sa lecture suppose une bonne connaissance de l'article "Banque centrale et Trésor: une très instructive histoire" et en particulier les développements consacrés aux modes marché et hièrarchique de gestion de la dette publique.

Soient les identités classiques suivantes :    Y= C + I + (G-T) +(X-M)

                                                                      et           Y= C + S

Dans lesquelles Y représente le PIB, C  la consommation, I  l’investissement, G les dépenses publiques, T  les prélèvements publics, X  les exportations, M  les importations, et S  l’épargne.

On en déduit que S = I + ( G-T) + ( X- M)

G – T représente le solde public, très déficitaire bien avant la crise  s’agissant de la France, il s’est considérablement aggravé depuis 2008. Ce solde a pour contrepartie, une augmentation des actifs financiers détenus par le secteur privé. En clair le solde représente des achats de bons du trésor par le secteur privé, d’abord des banques et compagnies d’assurances, puis des entreprises et des particuliers, résidents et non résidents.

Sans préjuger pour le moment du type de rapport qui peut s’établir entre le Trésor et la banque centrale, rapports étudiés dans les 3 articles consacrés à ce sujet, il est clair que la banque centrale est l’exécutrice  opérationnelle des consignes données, par les ordonnateurs et comptables du Trésor. C’est en effet elle qui va débiter et créditer les comptes des banques, qui elles mêmes enregistrent en débits et en crédits, les paiements de l’impôt et les dépenses publiques. Il est donc logique de considérer Trésor et banque centrale, comme un bloc que l’on pourrait appeler « blog gouvernemental », par opposition au reste, que l’on pourrait désigner « bloc non gouvernemental » et qui est constitué d’agents financiers et non financiers résidents ou non.

Les écritures comptables dans le cas d’un mode marché de gestion de la dette

Un déficit public ( G> T) correspond ainsi à des flux  nouveaux  repérables selon les écritures suivantes:                                                                             

                Banque centrale                                                        Banques

A  _____________I_________________P        A  _____________I_________________P                  

                               I Compte du Trésor +             Bons du Trésor +  I Comptes des agents

                                                              _                                             Non financiers  +

 

                                                         Agents non financiers

                                         A______________I___________P

                                 Comptes bancaires     +              

Dans ce schéma , nous retenons l’hypothèse du mode marché de gestion de la dette, celle-ci apparaissant sous la forme d’achats de bons du Trésor par le secteur privé, ici les banques. Nous pourrions du reste sans difficulté envisager l’achat de bons par les agents non financiers eux- mêmes.

Ce qui modifierait les bilans de la manière suivante :

                Banques                                                             Agents non financiers

A____________I______________P                   A______________I_______________P

                          Comptes des agents                    Bons du Trésor   +                   

                          Non financiers      +              Comptes bancaires     + 

                                                        _                                                 _

                                                                                                                                                                                      

Précisons que ces deux schémas, correspondent bien à la réalité institutionnelle telle que vécue tout particulièrement dans la zone Euro. La création monétaire est le fait du système bancaire par le jeu du multiplicateur de crédit, la banque centrale ayant le monopole d’émission de monnaie légale.

Dans le premier schéma, l’achat de bons du Trésor ne s’opère pas directement à partir des actifs monétaires, dont sont bénéficiaires les agents non financiers jouissant de la dépense publique. Tout se passe comme s’il y avait couverture du déficit, par activation de la planche à billets, activation contrariée par le retrait de liquidités provoqué par l’achat de bons du Trésor. D’une certaine façon il y a éviction, puisque le choix des banques est de faire crédit au Trésor, au détriment d’autres crédits possibles au secteur privé. Mais il ne s’agit que d’une apparence, puisque la liquidité a augmenté d’un même montant en raison du déficit. Ainsi, et contrairement à ce qui est généralement enseigné, la politique budgétaire expansionniste, ne donne pas lieu à effet d’éviction. C’est dire que  le secteur privé n’a rien à craindre de la dette publique, et il faut regretter que l’on continue à lire régulièrement, que les Etats siphonnent les autres actifs, en raison de l’ampleur des montants levés par les agences publiques . (cf le texte de Pierre Sabatier « la dette publique pénalisera le marché des actions » dans la dernière publication du Cercle Turgot : « Rigueur ou relance ?» Eyrolles 2011).

Dans le second schéma, l’achat de bons est le fait des agents non financiers, qui d’une certaine façon, trouvent une opportunité de placement d’actifs monétaires issus du déficit, dont ils sont les bénéficiaires. Au fond, le déficit abondant les comptes des agents non financiers, est lui-même une épargne en quête de placement, ici sous la forme de titres publics.

L’introduction des non résidents ne change guère les choses. Si X –M < 0, il y a bien engendrement d’actifs monétaires en quête de placement,  éventuellement sous la forme de titres publics. C’est d’ailleurs massivement la situation américaine, les non résidents chinois disposants des actifs, contrepartie du déficit de la balance commerciale, qu’ils transforment en titres publics américains.

En mode marché de gestion de la dette, il apparait que les actifs financiers publics sont le résultat de la production d’une usine financière, comme des automobiles  sont le résultat d’une chaine d’assemblage. Et si en principe le marché de l’automobile est un marché mutuellement avantageux – les échangistes gagnent à l’échange comme l’enseigne la micro économie- il en est logiquement de même sur les actifs financiers publics : il existe une demande de dette publique, laquelle satisfait au besoin d’épargner. Les usines productrices d’automobiles satisfont aux besoins du transport, et les Etats producteurs de dettes satisfont au besoin d’épargner. Ce producteur de dettes qu’est l’Etat, est de fait un producteur d’épargne.

Et la présentation comptable est éclairante , notamment le second schéma, où l’on peut reprendre le bilan des agents non financiers construit pour suivre le flux du déficit, et le traduire dans le cas du marché de l’automobile. A l’actif, l’achat de bons du Trésor est remplacé par l’achat d’automobiles. Au passif, les comptes bancaires sont  abondés des revenus contreparties de la production d’automobiles. Ils sont  ensuite  débités de la valeur des automobiles achetées.

                                              Agents non financiers

                          A________________I_________________P

               Automobiles     +                        Comptes bancaires  +

     Comptes bancaires     +                                        

                                           -                    

 

Pour en revenir au mode marché de la dette publique, il n’existe  une offre de dette, que dans la mesure où existe une demande, elle-même en concurrence, avec d’autres actifs financiers produits dans le secteur privé. Et si la demande d’actifs publics est importante, c’est sans doute en raison de ses qualités spécifiques. Quelles sont les spécificités des actifs financiers publics ?

La première est sans nul doute la grande sécurité qu’ils offrent. Il s’agit dans les conditions normales d’un Etat de droit, de la classe  d’actifs la moins risquée, et la plus liquide qui soit, et ce évidemment en raison de la nature fort spécifique de son émetteur. Emetteur qui encore une fois - dans un Etat de droit, une structure qui respecte les droits de propriété - est beaucoup plus solide que tout émetteur privé.

La seconde spécificité découle de la première : parce que sécurisants,  les actifs financiers publics sont à la base d’une pyramide financière de très grande taille. Ils constituent la matière première de base, de toute l’industrie de l’assurance, et d’une bonne partie de l’industrie financière de l’épargne. Ils constituent ainsi le socle d’une accumulation du capital.

Le Trésor est ainsi par son déficit, un producteur irremplaçable de la matière première financière, et certains considèrent même que les innovations financières, telles la titrisation, furent historiquement les erzats de cette matière première sans risques, qui aurait été produite en quantité insuffisante, par des Etats insuffisamment déficitaires ( cf François Meunier : « face à la crise française de la dette publique, il faut changer sa gouvernance » in « Rigueur ou Relance »).

Les écritures comptables dans le cas d’un mode hiérarchique de gestion de la dette.

On peut tout d’abord supposer une contrainte type « plancher de bons du Trésor », contrainte massivement utilisée en France jusqu’au début des années 70. Dans ce cas, il y a évidemment disparition d’un marché de la dette publique avec disparition d’un prix – le taux de l’intérêt -  fixé par le marché. Nous sommes renvoyés au premier schéma, simplement que les bons du Trésor  apparaissant au bilan des banques, ne sont plus de l’ordre de l’achat volontaire, mais le produit de la contrainte publique. Pour le reste rien ne change, et le crédit obligatoire envers l’Etat – les planchers de bons du trésor sont une obligation juridique qui fût historiquement sous haute surveillance – n’affecte pas la capacité des banques à créer de la monnaie.  Le multiplicateur du crédit restant intact, la seule perte des banques se mesure dans la rémunération qu’elles perçoivent au titre de l’achat des bons du Trésor.

L’autre mode hiérarchique classique est la monétisation obligatoire sous la forme d’avances au Trésor. Avec les écritures suivantes :

                          Banque centrale                                                         Banques

     A_______________I________________P              A_____________I______________P

Avances au Trésor  +    Compte du trésor  +         Comptes au Trésor  +    Comptes des     

                                                                    _                                                  agents NF +

                                 Compte des banques +

                                                                                                                                                                                                       Agents non financiers

                                         A_________________I________________P

                                            Comptes bancaires  +

 

Là encore le multiplicateur du crédit n’est en aucune façon affecté . A l’inverse, la base monétaire étant plus grande, les potentialités inflationnistes se manifestent.

 

L’introduction des échanges extérieurs dans la gestion de la dette

Lorsque (X – M) > 0 les actifs financiers des agents non financiers  résidents augmentent ,

 ce qui est une autre façon de dire que la base monétaire s’accroit. La gestion en mode marché de la dette publique en est facilitée. Ce qui nous renvoie, à titre d’exemple, à la situation japonaise où sur une longue période, et au-delà de quelques accidents conjoncturels, déficit public et excédents extérieurs vont cohabiter. Avec la particularité que l’épargne interne augmentant, le coût de la dette, plus faible, favorisera son autocentrage sur l’économie nationale. En clair la demande de titres publics est massivement le fait d’agents résidents. Concrètement la gigantesque dette publique japonaise se trouve très peu internationalisée.

 

Lorsque (X – M) < 0 les actifs financiers des agents non financiers  résidents diminuent , et ceux  des non résidents augmentent .  Dans le cas d’un règlement du déficit en monnaie nationale, il y a toutes choses égales par ailleurs baisse du taux de change. A l'inverse ,le taux n’est pas affecté si les actifs financiers correspondants au déficit, sont réintroduits  dans le circuit. C’est le cas américain, où le déficit commercial est transformé en actifs publics. C’est aussi une situation où déficit public et déficit extérieur vont cohabiter , ce qu’on appellera dans la littérature les « déficits jumeaux ». Dans le cas d’un règlement du déficit en monnaie étrangère, la base monétaire décroit – il y a destruction de monnaie nationale en contrepartie d’une sortie devises -  et la gestion de la dette en mode marché en est contrariée.

D’une façon générale, le mode marché de gestion de la dette peut se prolonger, sans  réelles difficultés, si les comptes extérieurs sont durablement excédentaires.

Le mode hiérarchique de gestion de la dette écarte évidemment les non résidents, lesquels ne peuvent se manifester qu’en mode marché. Et il est vrai, que le mode hiérarchique n’à guère besoin d’une épargne étrangère pour fermer le circuit du Trésor. En revanche les craintes qu’il inspire, notamment sa réputation inflationniste,  peuvent affecter le taux de change.

Le mode hiérarchique de gestion de la dette soulève la question de la stabilité monétaire dans le cas où la base monétaire s’accroit à un rythme durablement plus rapide que celui du PIB.

Comme on le sait le Traité de Lisbonne fixe, dans un texte situé très haut dans la hiérarchie des normes, le choix du mode marché de gestion de la dette. Pour autant, il n’est en aucune façon un texte libéral, et nous avons longuement souligné – cf « mais des banquiers centraux libérés » dans « Banque centrale et trésor : une très instructive histoire- partie 1 » - le démantèlement organisé du « bloc gouvernemental », la banque centrale devenant une institution « sui generis ». 

   

 

A la lumière de cette présentation très mécanique de la dette publique,  nous examinerons dans un article ultérieur, les choix possibles des entrepreneurs politiques.

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26 février 2011 6 26 /02 /février /2011 15:34

                                                                                                                                            

                                                                                             

Au moment où les Etats européens s’acharnent à prendre des décisions douloureuses aux fins d’en finir avec la crise des finances publiques, il est intéressant de construire le scénario d’un monde où par décret, loi, voire dispositif constitutionnel, un plafond de dette serait fixé, plafond à partir duquel les ordonnateurs des dépenses publiques devraient cesser leur activité. Ce scénario est évoqué dans le tableau ci-dessous. Les résultats ne sont que prévisionnels, et sont construits à partir des informations et estimations disponibles forcément discutables, et révisables quotidiennement. Ainsi le taux d’intérêt moyen est une notion variable, et les valeurs indiquées sont probablement sous estimées puisque les taux instantanés à 10 ans étaient au 23 février de 8,77% pour l’Irlande, de 7,23% pour le Portugal, ou encore de 5,33% pour l’Espagne. A comparer avec les valeurs retenues, respectivement : 5,7 – 5,4 – 4,2. De la même façon les taux de croissance retenus sont eux-mêmes probablement optimistes en raison des politiques budgétaires restrictives et surtout simultanées dans la plupart des pays européens. Or on sait que le choc budgétaire à envisager, dépend fortement du mouvement de ces deux variables ( cf « Rachat de dette souveraine : ultime étape avant monétisation ? »). Recettes et dépenses publiques aujourd’hui programmées pour 2011, incluent les dépenses et recettes au titre des « Etats providences ». La dernière colonne est établie sur la base de l’hypothèse suivante : la totalité du choc est imputée sur les seules dépenses. On peut évidemment envisager un autre scénario.

 

Estimation du choc budgétaire à envisager pour stopper l’hémorragie de la dette publique

 

 

 

 

 

PIB 2010

En USD*

Dette publique

Fin 2010

En USD*

Déficit

2011

%PIB

Déficit

2010

%PIB

Taux

D’intérêt

moyen

Taux de

Croissance

2011

Dépenses

Publiques

2011

%PIB

Recettes

Publiques

2011

%PIB

Allemagne

3100

2387

-2,7

-4,2

2,7

2,2

47,2

42,5

Belgique

400

408

-4,6

-4,9

3,4

1,8

53,8

48,8

France

2200

1870

-6,3

-7,6

3,1

1,6

55,9

48,6

Italie

1940

2290

-4,3

-5,1

4

1,1

46

45,5

Espagne

1450

957

-6,4

-9,3

4,2

0,7

44,7

35,9

Portugal

250

215

-4,5

-7,3

5,4

-1

50,9

43

Irlande

175

136

-10,3

-17,7

5,7

0,9

46

33,9

Grèce

310

 

384

-7,4

-7,9

9

-3

48,4

38,5

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Charge

De la

Dette

%PIB

Solde

Budgétaire

2010

En USD*

Solde de

Stabilité

USD*

choc

budgétaire

En USD*

 

choc

Budgétaire

En %PIB

Choc

(hypothèse

Dépenses)

%dépenses

 

Allemagne

2,7

-130

12

142

4

10

 

Belgique

3,8

-19

6

25

6

11

 

France

2,9

-167

28

195

6

16

 

Italie

4,8

-99

66

165

8

18

 

Espagne

2,6

-134

33

167

11

25

 

Portugal

3,5

-18

11

29

13

22

 

Irlande

3,5

-30

65

95

54

118

 

Grèce

5,8

-24

46

70

13

46

 

 

*En milliards de dollars. Tableau construit à partir des statistiques de l’OCDE (oecd.org) et de la commission européenne (ec.europa.eu)

Les résultats sont éloquents. Ils révèlent des difficultés d’adaptation y compris pour l’Allemagne, pays dont la croissance de l’endettement fût considérable en 2010 (+18% selon l’Office Fédéral des Statistiques, chiffre publié le 21 février) ce qui est historique. L’énormité de cet accroissement fait du reste douter de la possibilité de tenir la règle constitutionnelle d’équilibre budgétaire à compter de 2016. Comme on le sait, cette croissance est due aux structures de défaisance mises en place pour sauver le système bancaire et en particulier l’Hypo Real Estate et la banque de Rhénanie-du-Nord – Westphalie WestLB.

Pour le reste, en dehors de la Belgique, deux groupes semblent devoir se constituer : France et Italie d’une part ; Espagne, Portugal, Irlande et Grèce d’autre part. Compte tenu de la double fonction des Etats (fonction régalienne et fonction sociale) on voit tout de suite que les choix sont extrêmement difficiles. Ainsi pour la France, pays équipé d’un Etat global dont les charges sont approximativement à 40% régaliennes et à 60% sociales, faire supporter le choc sur les seules dépenses, suppose un recul - certes massif- plus ou moins équilibré de son emprise. Tout ne peut être supporté par « l’Etat régalien » par exemple par la défense nationale, fonction régalienne par excellence : l’actuel budget des armées serait très loin d’y suffire. Et tout ne peut être supporté par « l’Etat providence », par exemple les dépenses de santé, dont l’annulation presque complète, serait requise pour satisfaire aux contraintes du choc (Il faudrait économiser environ 160 milliards d’euros sur un total d’environ 165 !). Quels que soient les choix retenus, ils sont douloureux. Eu égard au fonctionnement des marchés politiques, les choix seraient logiquement assez massivement orientés vers la minimisation des dépenses au titre de l’avenir : investissement global en berne, dégradation des équipements collectifs, vétusté des bâtiments publics  etc.

Bien évidemment, les cas irlandais et grecs sont autrement douloureux. Aucune issue n’est -pour ces pays-  envisageable : le texte bornant le plafond de la dette (loi, constitution) devenant le dernier, avant retour à « l’Etat de nature » pour les sociétés correspondantes.

Tout aussi évidemment, ce scénario du pire que l’on vient d’envisager ne se produira pas, et d’autres solutions que le mode marché de gestion de la dette seront mises en place. Toutefois, il faudra encore attendre, car les grandes entreprises politiques européennes, restent encore aujourd’hui, engluées dans le mythe selon lequel la crise de la dette pourra être dépassée avec les moyens classiques, c'est-à-dire aussi sans revisiter l’euro-système.

En attendant les compteurs continuent de tourner….

 

 

 

 

 

 

 

 

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22 février 2011 2 22 /02 /février /2011 10:59

 

Jacques Sapir vient de nous fournir quelques indications intéressantes concernant les efforts que doivent envisager les pays de la zone euro, pour ne pas aggraver leur endettement public en 2011. Si on se penche sur les maillons les plus faibles de la zone, à savoir la Grèce et l’Irlande , on voit immédiatement l’extraordinaire gravité de la situation dans le cadre du maintien d’un mode marché de gestion de la dette.

Un énorme choc budgétaire pour bloquer la croissance de la dette

Ainsi la Grèce , avec une dette de 124 points de PIB, un déficit public 2010 de -7,9 points de PIB, devrait connaitre en 2011 un excédent budgétaire de 12 points pour stopper l’hémorragie. En termes simples cela supposerait un choc budgétaire de 7,9 + 12 = 19,9 points de PIB.

L’Irlande, avec une dette de 78 points de PIB, un déficit public de -17,7 points de PIB, devrait connaitre en 2011 un excédent de 2,2 points pour stopper l’hémorragie. Soit un choc budgétaire 2011 de 17,7+ 2,2 = 19,9 points de PIB.

Curieusement, avec des situations structurellement assez différentes, les 2 Pays se devraient de connaitre un choc 2011 identiques, et choc  jamais rencontré au cours de l’histoire. Un choc modifiant  le périmètre des Etats dans des proportions encore jamais vues . Ainsi compte tenu du poids des Etats dans ces deux pays, le choc budgétaire correspondrait, soit à une division par 2 des dépenses publiques, soit à une augmentation des ressources publiques de plus de 6O% pour la Grèce, et de prés de 80% pour l’Irlande, soit à une combinaison de ses deux moyens. Impensable.

Comme les budgets des deux pays -certes en forte régression- ne programment pas un tel retournement, l’hémorragie va donc continuer en 2011. Notons du reste, que l’Espagne et le Portugal sont également dans une situation fort préoccupante, avec un choc budgétaire potentiel d’équilibre  de plus de 10 points de PIB.

Les calculs de Jacques Sapir, s’appuient évidemment sur l’équation d’équilibre de la dette, laquelle fait intervenir le taux de croissance économique d’une part, et le taux de l’intérêt d’autre part. En cas d’évolution négative de ces paramètres, la catastrophe est plus grande encore. Ainsi une élévation de 100 points de base des taux, et une diminution de 1 point du taux de croissance, se paient  d’un choc budgétaire passant de 19,9 à 25% de PIB.

Ce pharaonique  choc budgétaire est évidemment amorti  sur plusieurs années, et ce  en comptant sur un redémarrage de la croissance. Il faut toutefois avoir en tête que le temps ainsi passé, ne permet pas de bloquer l’aggravation de la dette. C’est dire qu’en 2012, malgré les importantes contractions budgétaires, la dette ne pourra que s’accroître . En clair, le choc réellement imposé en 2011 dans ces deux pays, quoique rude, est très loin des 19,9 points de PIB requis .

Au-delà, 3 éléments nous permettent de penser que le mode marché de gestion de la dette devra être rapidement abandonné pour ces deux pays. Le retour de la croissance dépend en effet de 3 éléments indispensables : une baisse des taux, un potentiel de dévaluation, un potentiel de marchés en développement. La baisse des taux est hors de portée, en raison même de l’impossibilité de bloquer l’hémorragie. Celle-ci continuant, les marchés intégreront cette information dans des taux qui ne peuvent que croître, et ainsi accroître le poids de la dette. Ensuite, par définition, Il n’existe pas dans la zone euro de possibilité de dévaluation. Puisqu’il y a monnaie unique, seule la déflation interne est possible. Enfin tous les pays de la zone connaissent des contractions budgétaires tandis que les échanges se font essentiellement à l’intérieur de la zone, un espace par conséquent déprimé. Au total,  Il n’y a  aucune possibilité de croissance limitant le poids de la dette. Et la situation de dépression n’est pas à exclure.

C’est parce que la situation apparait bloquée que Grèce et Irlande, ont déjà plus ou moins abandonné le mode marché de gestion de la dette, en utilisant les services du FESF, qui sans les faire passer au mode hiérarchique, permet de les mettre à l’abri de la pression des marchés.

Qui a intérêt au rachat de dette souveraine ?

Les risques et coûts correspondants étant reportés sur les autres pays, beaucoup réfléchissent sur la problématique du rachat de la dette censée alléger les charges. C’est ainsi que Jacques Delpla dans les Echos du 9/2/11 : « le scoubidou de la dette grecque » explique ce qu’il appelle « l’opération ouzo² ».

En termes simples, il s’agit de retourner les forces d’un marché contraire, afin de mieux protéger le débiteur public. Classiquement, lorsque le Trésor grec utilise les capitaux du FESF pour  rembourser les titres venus à échéance, il ne fait qu’honorer ses engagements et n’améliore en rien  sa situation, puisqu’en théorie, il lui faudra rembourser les fonds mobilisés pour ce premier remboursement. Maintenant, si avec les mêmes capitaux mis à disposition par le FESF, il rachète de la dette sur le marché secondaire, il diminue son endettement total de la différence entre la valeur d’émission des titres et leur valeur de marché, nécessairement plus faible, en raison du risque grec que les marchés intègrent.

Prenons un exemple : si le Trésor Grec utilise 50 milliards d’euros (sur les 110 qui à terme seront mis à sa disposition par le FESF) pour acheter  des titres qui, à leur valeur d’émission totalisent 50 milliards, et qui ne valent que 40 en raison de la décote de cours, il y a effectivement un gain de 10 milliards. Et gain qui permettra de faire face à d’autres échéances. Lorsque les capitaux du FESF servent directement à payer les échéances, ou à financer le déficit, il n’y a pas amélioration du bilan du Trésor. A l’inverse, lorsque ces mêmes capitaux, servent à acheter de la dette décotée sur le marché secondaire, il y a amélioration du Bilan du Trésor.

On peut du reste envisager que le « gain » revienne plutôt au FESF qui pourrait lui-même intervenir sur le marché, au moins pour partie, et ainsi alléger le poids de ses interventions sur le Trésor grec.

On voit pourtant très vite les limites d’une telle opération, dont l’objectif est fort différent de celui d’un rachat de capital, par des entreprises soucieuses de faire monter les cours, où d’augmenter la masse distribuable de profit. Plusieurs cas de figure peuvent être envisagés :

La totalité des capitaux mis à disposition sert au rachat de la dette ancienne. Dans ce cas, le financement de l’augmentation de la dette ( le choc budgétaire d’équilibre n’étant  pas atteint) se produit par un retour au marché classique. Mais surtout la dette ancienne voit son cours se raffermir, par hausse de sa demande et intégration par le marché de la volonté absolue de ne point faire défaut. Le bilan du Trésor ne s’améliore pas, et la valeur de rachat rejoignant la valeur d’émission, le gain disparait. Le spread de taux diminue…mais sur la base d’une dette globale qui continue à augmenter. Une façon originale de gagner encore un peu de temps.

Une partie faible des capitaux mis à disposition par le FESF sert discrètement au rachat de dette ancienne, ce qui permet à la partie restante de faire face aux échéances et au déficit courant, et donc de maintenir le pays à l’abri des marchés . Dans ce cas, le bilan du Trésor ne s’améliore guère, en raison d’un simple échange de dette qui n’est pas compensé par un écart de prix, entre nouvelle dette et dettes anciennes, dont les flux  sont  marginaux. L’intervention du Trésor sur la dette ancienne est trop faible pour en modifier le cours… et aussi trop marginale pour changer durablement les choses. Là encore on ne fait que gagner du temps. La dette reste sous surveillance, et le risque de défaut se reporte sur le FESF, donc sur l’ensemble de l’Europe.

Les capitaux mis à disposition sont répartis équitablement. Il s’agit d’une situation intermédiaire qui n’est claire pour aucun des acteurs : les cours peuvent remonter et le gain se réduire ; la dette ne peut se dégonfler- si elle se dégonfle -  que  très lentement ; les risques de défaut ne sont pas complètement évacués.

Au total, quelles que soient les modalités d’un rachat de dettes publiques avec les fonds disponibles du FESF, l’intérêt n’est guère évident. Plus exactement, les acteurs du jeu ainsi créé par le mécanisme du rachat, connaissent des intérêts  divergents. Lorsque l’ensemble des capitaux alloués par le FESF sert au rachat, l’acteur gagnant est le rentier, qui voit la garantie d’un remboursement, alors même qu’il peut empocher le prix du risque, sous la forme d’un taux qui était éventuellement plus élevé au moment de l’achat. L’acteur potentiellement perdant est le FESF, et donc les Etats qui en sont les actionnaires, puisque l’opération n’améliore pas le bilan du Trésor aidé. L’Etat bénéficiaire de l’opération « ouzo² » (Grèce, voire Irlande et éventuellement d’autres pays) est en position d’indifférence. Dans les autres cas (caractère marginal du rachat ou partage des fonds FESF entre rachat et intervention directe sur la liquidité du Trésor), le bilan est plus défavorable au rentier et moins aux actionnaires du FESF. 

On comprend dès lors que le gouvernement allemand, qui envisage peut –être encore de faire payer une partie du prix de la crise par les rentiers à partir de 2013, soit aussi le premier à s’opposer au principe du rachat, à grande échelle, de dette souveraine à partir de fonds européens. On comprend à l’inverse que le système financier y soit favorable.

 

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8 juin 2010 2 08 /06 /juin /2010 18:25

 

Parmi les nombreuses propositions à effet de juguler les dangers d’une  dette publique jugée insupportable , on notera l’intéressant article signé de Rodolphe A Müller et Pierre- Alain Schied dans Le Monde  du 8 juin. Constatant une corrélation positive entre la quiétude des marchés et le pourcentage de la dette domestique dans la dette publique totale, les deux auteurs  en viennent à proposer un plan de compensation inter Etats et inter créanciers aboutissant à la renationalisation de la dette.

Aucun détail concernant la procédure suivie n’est indiqué. Simplement il s’agirait d’une gigantesque compensation. Et sans doute compensation elle-même fort complexe puisque les dettes publiques nombreuses , en théorie égales au nombre d’Etats, sont appropriées par des agents nationaux fort nombreux et fort divers : Banques centrales, banques nationales et étrangères, compagnies d’assurances, fonds de pension, ménages.

Plus complexe encore- à supposer qu’il existe un accord politique international regroupant un nombre significatif d’Etats concernés et volontaires-  serait le taux de change entre les dettes compensées. Problème qui reste entier dans une compensation  entre Etats n’appartenant pas à un même zone monétaire. Mais problème qui demeure même à l’intérieur d’une zone, les nouvelles créances ne jouissant plus des rendements antérieurs. A titre d’exemple les créanciers français de dette publique Grecque verraient s’affaisser, au terme de la compensation,   la rentabilité de leur investissement.

Mais il y a beaucoup plus grave. La compensation généralisée aboutirait à la mise sur le devant de la scène, et donc sa mise à l’index,  de l’Etat le plus internationalement endetté. Le processus envisagé de rapatriement  favorise peu les Etats dont l’endettement est  faible ou reposant sur une base domestique. Ainsi le Japon ,qui certes dispose d’un Etat  très endetté, serait peu favorisé par la procédure de rapatriement. Il n’y a quasiment rien à rapatrier et seulement 5,8% de la dette publique est détenue par des étrangers. A l’inverse des pays comme le Royaume-Uni ou la France disposant d’Etats très endettés auprès de créanciers étrangers, respectivement 68% et 66% du montant total de la dette publique, se verraient au terme de la compensation encore très endettés internationalement. Tous, ou presque, seraient « renationalisés » à l’exception de ceux qui font le plus problème. Sans doute  le raisonnement précédent doit- il être enrichi par l’introduction de la variable du solde des créances et des dettes du compte privé de chaque nation : les créanciers privés pouvant détenir plus d’actifs internationaux que leur Etat de rattachement n’encourt de passifs. Il existerait donc deux catégories de pays endettés au terme de la compensation des dettes publiques : ceux disposant d’un secteur privé créancier net, et ceux pour qui la mise à l’index de leur endettement public  se double  d’ un endettement privé. En clair un pays comme l’Espagne, qui cumule tous les handicaps,  n’aurait aucune raison de se plier au jeu du rapatriement des dettes publiques.

Il existe donc fort peu de chances de voir, selon le vœu de Müller et Schieb, le rapatriement des dettes des Etats  calmant le jeu des marchés, pour la simple raison que les Etats seraient forts peu enclins à participer à une telle compensation, mais aussi parce qu’elle désigne le lieu exact de l’embrasement de la future panique de ces mêmes marchés.

Mais l’intérêt du faux remède proposé est-il sans doute ailleurs : il révèle le malaise de la doctrine de la liberté du déplacement des capitaux.  Car ce qui est proposé est bien de mettre fin à la libre circulation du capital et donc réintroduire de substanciels éléments de  dé mondialisation dans les moteurs financiers et économiques.

 Aucun point du texte proposé n’aborde la question. Pour autant comment rapatrier la dette des Etats par le jeu d’une compensation sans en premier lieu interdire toute nouvelle extraversion au niveau des agences nationales chargées de la commercialisation des dettes publiques . Très simplement si l’Etat français devait se lancer dans ce processus de rapatriement, il est clair que l’agence France Trésor recevrait immédiatement l’ordre de ne vendre de la dette ( marché primaire) qu’à des agents nationaux. Tant il vrai qu’on ne peut remplir un seau tant qu’au préalable les trous  ne soient  rebouchés.

« Rapatrier la dette » est donc bien un terme qu’il faut comprendre  par une expression sans doute plus exacte : « nationaliser la dette ». Au travers d’une solution qui se présente comme simplement technique, Müller et Schieb ne soupçonnent ils que leur proposition est tout simplement révolutionnaire ? Ils proposent la renaissance des Etats, avec leur compétence monétaire et surtout leur pouvoir monétaire. La crise des années 2010 atteint maintenant sa phase de plein épanouissement avec la conjonction de sa dimension « crise financière » et de sa dimension « crise des Etats » . D’autres dimensions sont maintenant attendues : politique, sociale, etc. les idées finiront sans doute par suivre pour la mise en place d’un nouveau paradigme. Elles sont aujourd’hui à dénicher dans les interstices du discours dominant sur la crise. Celui de Müller et Schieb en est un bel exemple.

 

 

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