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12 septembre 2016 1 12 /09 /septembre /2016 13:52


Deux études viennent confirmer l’inadéquation du taux de change de la France vis-à-vis de l’ensemble de ses partenaires européens ou non.

La première, issue du Think Tank « La fabrique de l’industrie »  réalisée par Pierre Noël Giraud et Philippe Frocrain révèle que lorsque 100 emplois exposés à la concurrence internationale apparaissent dans un bassin d’emplois de France métropolitaine, 64 emplois abrités supplémentaires apparaissent dans la zone. L’inverse étant approximativement constaté, cela signifie que le secteur exportateur ayant perdu 200000 postes entre 1999 et 2013, il a entrainé derrière lui la fermeture d’un nombre considérable de postes abrités. Les variations de l’emploi du secteur exposé développent donc des externalités sur l’emploi abrité et des liens qui sont pour partie des liens mécaniques mais pour partie aussi des déversements de revenus d’autant plus importants que les rémunérations du secteur exposés sont plus élevées  et traduisent des gains de productivité eux-mêmes plus élevés.

Vu de plus haut cette première étude révèle par conséquent qu’un taux de change trop élevé affaiblit la compétitivité du secteur exposé avec toutes ses conséquences sur l’emploi du secteur abrité. Mais aussi avec toutes ses conséquences sur la croissance puisque c’est le secteur exposé qui génère, le plus,  les gains de productivité et donc la croissance.

La seconde étude est celle de de 2 chercheurs, Pierre-André Buigues et Denis lacoste, de la Toulouse Business School qui se sont intéressés aux modalités de développement des entreprises multinationales allemandes et françaises. Deux paramètres parmi d’autres sont ainsi livrés à une analyse comparative du processus d’internationalisation :

Le déploiement international s’opère davantage par des exportations côté allemand et davantage par investissements directs à l’étranger côté français. Le stock d’investissements directs à l’étranger des entreprises françaises représentant 59,1% du PIB français, tandis que ce même stock ne représente que 43,3% du PIB côté Allemagne. Les deux chercheurs en déduisent que ces stratégies différenciées sont à rapprocher des évolutions du commerce extérieur des 2 pays, défavorable côté français et favorable côté allemand.

Le déploiement international des entreprises allemandes obéit à un modèle de division du travail assez clair : R§D non délocalisé, assemblage sur territoire national, composants délocalisés. Le même déploiement français aboutit plutôt à lé délocalisation de la plupart des maillons de la chaine de la valeur avec réimportation de la production finale. Ainsi en 2011,  74% des importations françaises de la branche automobile étaient constituées de voitures (59% dans le cas de L’Allemagne) et 26% de pièces détachées ( 41% dans le cas de L’Allemagne).

La stratégie française de redéploiement prend parfois des proportions inquiétantes avec notamment l’implantation à l’étranger de toute une branche. Tel est le cas de Renault et PSA au Maroc avec un déménagement quasi complet transformant peu à peu le pays en futur « Grand » de l’automobile. Il est ainsi prévu qu’en 2020 la production du pays sera de 1 million de véhicules produits par 175 000 salariés[1].

Cette seconde étude n’aborde que de façon elliptique les causes profondes de la stratégie différenciée de l’internalisation en mentionnant qu’il s’agit probablement d’un problème de compétitivité. Effectivement l’Allemagne disposant d’un taux de change favorable n’est pas pénalisée par le maintien des pièces centrales de la chaine de la valeur sur le territoire national, ce qui n’est pas le cas de la France dont le taux de change est trop élevé.

La première étude fort différente aboutit toutefois à la même conclusion : le secteur exposé qui représentait en 1999 30% du total des emplois, n’en représente plus que 26,8% en 2013 en raison de la compétitivité faible du pays.

Plus globalement avec un taux de change faible pour une production haut de gamme, l’Allemagne voit ses exportations garanties et peut même constater une baisse de son élasticité-prix des exportations en volume (0,40 sur la période 2002/2016, mais seulement 0,28 sur la période 2006/2016)[2]. A l’inverse, la France, avec un taux de change trop élevé par rapport à sa production plus orientée moyenne gamme, voit ses exportations à la peine et peut constater un maintien de son élasticité-prix à l’exportation (0,75) un chiffre plus élevé témoignant de sa plus grande sensibilité à l’effet prix.

Compte tenu de ses deux études et sachant que du point de vue des importations l’ élasticité correspondante est pour la France strictement égale à zéro[3], Quelles sont les priorités d’une politique industrielle libérée de la gangue de la monnaie unique ?

Logiquement, la politique industrielle d’un pouvoir libéré devrait obéir aux priorités suivantes :

1 - Mettre tout en œuvre pour générer des activités substitutives des importations afin de lutter contre les effets catastrophiques de l’élasticité/ prix des importations qui reviendrait à une augmentation importante des prix et donc des revenus correspondants. Avec des effets de second tour sur la demande globale. Cela passe aussi par des incitations puissantes à la relocalisation avec par exemple une aide égale aux charges sociales nouvelles générées par les nouveaux emplois relocalisés…donc une aide signifiant l’équivalent d’un zéro charges sociales pour tout emploi créé dans une activité de substitution.

L’aide à la relocalisation se doit de concerner toutes les activités c’est-à-dire les unités d’assemblage, mais aussi les unités de fabrication des composants. Il est en effet évident que c’est l’ensemble d’une chaine de valeur qui est concernée,  faute de quoi une unité d’assemblage relocalisée serait quand même pénalisée malgré l’aide en raison des surcoûts des intrants frappés par la baisse du taux de change. Un tel processus bien mené doit donc logiquement aboutir à un raccourcissement important des chaines de valeur[4]. Dans la pratique cela peut signifier des « contrats de relocalisation » avec préfinancement couvrant les coûts du redéploiement.[5] A terme la compétitivité nouvelle n’est plus assurée par un quelconque CICE budgétairement très coûteux mais par un changement de parité, lui-même accompagné d’investissements de capacité et de productivité.

Pour les branches dont l’élasticité/prix à l’importation n’est pas nulle mais reste très faible, le contrat de relocalisation se transforme en contrat de développement et se trouve assorti d’une aide. Il s’agit ici de dynamiser une activité en l’incitant - non pas à élever les prix et donc les marges et de capter les bénéfices de la dévaluation- mais à répondre à la demande et à embaucher. Là encore,  l’aide se fixe à la hauteur des nouvelles cotisations sociales résultant de l’embauche. Et Là encore le coût budgétaire est nul.

Resteraient à envisager les substitutions d’importations non pas par relocalisation mais par création d’activités nouvelles interdites jusqu’alors par l’inadaptation du taux de change. Il s’agit du cas le plus difficile, difficulté allant jusqu’à l’impossibilité temporaire de rassembler les compétences nécessaires issues de métiers disparus ou de métiers non validés sur le territoire.

Globalement,  il reste toutefois que le processus n’est pas simple, qu’il exige du temps, et qu’il n’est pleinement efficace que si les prix internes des nouvelles productions nationales rejoignent les prix des anciennes marchandises substituées. A défaut la demande globale interne restera affectée par le retour à la monnaie nationale.[6]

2- C’est la raison pour laquelle la seconde priorité sera de choisir délibérément l’industrie -et l’industrie haut de gamme- pour anticiper sur les gains de productivité à venir. Le haut de gamme ou tout simplement la modernisation de l’appareil productif doit en effet permettre d’assurer l’ancien pouvoir d’achat qui résultait de la force de l’euro. Il s’agit d’abord comme objectif prioritaire d’assurer le nivellement entre les productivités générant les anciennes importations et celles générant les nouvelles productions nationales. Cela passe évidemment par des investissements massifs publics et privés. Et cela passe par des investissements à classer en fonction de l’importance des externalités positives qu’ils sont capables d’engendrer. Clairement cela passe par ce qu'on appelle le "manufacturing 4-0", avec les robots collaboratifs, les dispositifs de réalité augmentée, l'Internet industriel, etc. le tout facilitant la "customisation de masse" et souvent la production locale au profit de débouchés locaux.

Auparavant, et à titre conservatoire, cela suppose la multiplication de contrats d’innovation qui permettront pour les usines installées de ne plus être menacées de perdre leur stock d’apprentissage par la financiarisation de leurs activités[7] .

Les investissements publics doivent d’abord assurer la qualité de la liaison entre les maillons des chaines de la valeur en voie de reconstitution. Ils doivent donc assurer la qualité et la fluidité des infrastructures de base. Ils permettent aussi de mobiliser massivement les chômeurs éloignés des compétences exigées par l’industrie et les services haut de gamme. Il faut en effet préciser que la réussite c’est aussi la rapidité et donc la diminution très rapide du chômage. Ces investissements publics sont aussi liés au domaine de la recherche développement dans le sens de la construction d’un Etat Stratège, qui permet de donner de la visibilité et une demande solvable aux investissements privés.

3 -  Le caractère massif de l’investissement pose évidemment la question de la nouvelle organisation financière. Il est évidemment impossible de reconstruire dans le long terme en restant victime de la tyrannie du court terme. Parce que les investissements doivent être massifs et porteurs de résultats immédiats et importants en termes de réduction du chômage, il est nécessaire de reconfigurer dans sa totalité le système bancaire et financier.

Le passage urgent et rapide à une économie décarbonée suppose des crédits qui ne se limitent pas à l’épargne constituée, et donc exige une émission monétaire à la hauteur des moyens techniques et humains mobilisables au titre de la décarbonisation. Cela suppose, en reprenant le schéma proposé par Michel Aglietta[8], la sélection et la certification des investissements bas carbone, leur financement par des banques avec la certitude de pouvoir les céder à la banque centrale pour la valeur inscrite. Au total,  le bilan de la Banque centrale s’accroit en actifs carbone, actifs dont la contrepartie au passif est l’augmentation de la réserve monétaire des banques. Il est possible d’envisager des procédures semblables pour les infrastructures et autres investissements moteurs de la relocalisation.

On comprend immédiatement que de tels schémas supposent la stricte obéissance de la Banque centrale envers les décideurs de l’Etat Stratège. On comprend aussi que le système bancaire doit être largement contraint par ce même Etat[9]. On comprend enfin que nous entrons dans une véritable économie de l’offre qui,  par la hauteur de l’investissement nouveau financé par création monétaire,  génère un flux de revenus  propre à réanimer la croissance.

4 -  Cette politique proactive suppose la mobilisation d’une main d’œuvre nouvelle devant s’adapter aux métiers correspondants. Pour cela le premier impératif porte sur la réquisition de l’ensemble des fonds de la formation professionnelle, 35 milliards d’euros, souvent improductivement dépensés. La réallocation autoritaire des ressources devra devenir l’outil au service des investissements industriels et de protection de l’environnement. En particulier cela passe par moins de légéreté au profit de formations de complaisance et la mise en place immédiate de filières industrielles d'excellence.  Cela passera aussi par des contrats de formation et d’emploi avec sanction lourde en cas de non-respect par les parties signataires. Il est en effet urgent de mettre fin au gaspillage de la formation continue Cela passera enfin par la modération des nouvelles dépenses aux services à la personne dont le fonctionnement ne génère pas de rendements croissants.

 


 

[1] Les Echos du 10 septembre 2016.

[2] Selon Natixis.

[3] Toujours selon Natixis.

[4] Raccourcissement et renationalisation des chaines de la valeur permet aussi de diminuer l’évaporation fiscale qui résulte notamment des prix de transferts toujours contestables, et des facilités offertes par les paradis fiscaux.

[5] Il s’agirait bien d’un préfinancement donc un crédit puisque les sommes avancées au titre du redéploiement ne seront de fait remboursées que sous la forme des cotisations sociales nouvelles entrainées par la relocalisation.

[6] Précisons toutefois qu’avec une élasticité/prix à l’exportation d’environ 0,75, le changement de parité devrait entrainer un gain d’exportation développant la demande globale.

[7] Nous pensons ici en particulier au cas d’Alstom, mais aussi à toutes les industries de l’armement.

[8] « La monnaie entre dettes et souveraineté »- Odile Jacob- 2016.

[9] A cet égard on pourrait aller beaucoup plus loin et imposer une renationalisation complète de la monnaie dans le cadre de ce qu’on appelle le 100% monnaie. Dans une telle hypothèse la monnaie créée par la banque centrale est créditée au compte du Trésor qui revend et répartit ladite monnaie au sein du système bancaire.

 

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29 août 2016 1 29 /08 /août /2016 17:39

 

En réaction aux réflexions de nos collègues qui travaillent sur les questions monétaires dans le cadre du Programme de Nicola Dupont Aignan[1], je souligne les points suivants qui me paraissent fondamentaux :

1 On ne peut gagner des élections en affichant ouvertement la volonté de quitter l’euro. On peut le regretter mais c’est ainsi.

2 La « désobéissance » à l’UE par réquisition de la banque centrale inclut de facto l’évanouissement de l’article 123 du traité de Lisbonne.

3 La réquisition de la banque centrale française fait naturellement sauter l’Euro, mais ce n’est pas la France qui le fait sauter et c’est politiquement fondamental[2].

4 La barrière de la Lex Monetae sera naturellement contestée par des milliers de juristes, et c’est la raison pour laquelle je propose que la France s’engage sur un total respect des contrats, respect ancré sur un nouveau taux de change fixe[3].

5 Le respect des contrats supposera un financement par le Trésor, lui-même nourri par la banque centrale, au titre du dédommagement des non- résidents, lesquels seront payés en monnaie nationale.

6 Ce respect des contrats crée des « balances francs » contribuant à la diffusion de la monnaie nationale.

7 les non -résidents se trouvent ainsi protégés des éventuelles spéculations à la baisse de la devise française. Le maintien de la valeur ne passe pas par la vente de Francs mais par l’achat de marchandises françaises (consommation ou capital)

8 Le respect de tous les contrats doit logiquement permettre au taux de change fixe de « tenir », maintien bien évidemment aussi appuyé par un contrôle des changes et donc la fin de la liberté absolue de circulation du capital.

9 Le changement majeur ainsi engendré n’est crédible que si l’investissement appuyé par la réquisition de la banque centrale augmente dans des proportions immédiatement visibles par la population. La dette publique est sans importance, la hauteur de l’investissement est politiquement la seule variable fondamentale.

10 La création monétaire correspondante ne peut être fixée bureaucratiquement ( X milliards) mais dans les seules limites du possible déterminé par le plein emploi des facteurs, plein emploi à rétablir plutôt en termes de mois que d’années.

11 La France souveraine doit redevenir très rapidement la première puissance européenne.

Le premier point concernant la position des candidats sur l’euro est de loin le plus important et il faut avoir conscience que la monnaie européenne est anthropologiquement beaucoup plus qu’une monnaie, et qu’elle rejoint, dans l’imaginaire de nos sociétés, la position très enviable de Talisman[4].

C’est peut-être ce qu’à compris un candidat qui vient de se déclarer, Arnaud Montebourg, à Frangy le 21 Aout dernier. En liant son élection éventuelle à la présidence de la République à celui d’un « mandat non négociable, inflexible et irréfragable de dépassement des traités »[5] l’intéressé place la France dans une posture de désobéissance. Précisons d’ailleurs qu’il s’agit d’une posture de désobéissance y compris par rapport à la Constitution française laquelle dans son article 55 stipule que les Traités jouissent d’une autorité supérieure à celle des lois.

L’Euro n’est pas encore attaqué, pourtant, plus loin Arnaud Montebourg évoque un gouvernement économique de la zone euro, gouvernement sous contrôle d’un parlement démocratique pouvant contrôler les décisions de la BCE.

Bien évidemment le candidat n’entre pas dans les détails qui fâchent : Dans un parlement démocratique l’Allemagne deviendrait rapidement minoritaire, démograhie oblige, et donc elle serait amenée à céder sur le terrain de l’ordolibéralisme ce qui lui est constitutionnellement interdit et bien au-delà ce qu’elle ne peut politiquement accepter. Plus précisément on sait aussi que l’homogénéisation débouchant avec ce gouvernement économique ne saurait se contenter d’harmonisation sociale et fiscale, qu’en particulier la question des transferts[6] vers le sud sur une longue période resterait la condition nécessaire d’une authentique homogénéisation. Or ces transferts exigés par un taux de change complètement inadapté sont politiquement impossibles et surtout économiquement inenvisageables pour l’Allemagne.

Arnaud Montebourg ne peut évidemment parler de taux de change à l’intérieur de la zone sans bien sûr mettre en question la monnaie unique. Il est un candidat qui sans proposer la fin de l’Euro, propose des  mesures qui en tracent le chemin. Avec l’espérance que face à ces mesures l’Allemagne prenne la courageuse décision de claquer la porte….et de payer le prix – certes très élevé - d’une forte réévaluation de ce qui serait le Mark. On peut toutefois douter d’un tel schéma car l’éventuelle perspective de succès d’un tel candidat souverainiste serait probablement marquée par une spéculation gigantesque notamment sur la dette publique….qui ferait que les marchés engendrant la panique consacreraient aussi la débâcle électorale du candidat…..Il sera très difficile de sortir de la prison par voie démocratique.

De fait tous les candidats souverainistes à l'élection présidentielle; Nicolas Dupont Aignan, Marine Le Pen , Arnaud montebourg, Jean- Luc mélenchon, et sans doute d'autres encore se trouvent confrontés à la difficulté de s'attaquer frontalement aux vrais sujets.

On croyait jusqu’ici la démocratie porteuse le plus souvent d’un progrès. Il restera hélas à apprendre que dans la configuration de la monnaie unique elle est davantage porteuse de régression historique. Comment l’Europe saignée par l’euro pourra t’elle s’en débarrasser ? La question reste ouverte.

 

 

 

 

[1] Pensons en particulier à André-jacques Holbeke et Philippe Laurier

[2] http://www.lacrisedesannees2010.com/2016/05/une-requisition-de-la-bce-au-service-des-zones-devastees-par-l-euro.html

[3] http://www.lacrisedesannees2010.com/article-les-conditions-d-un-demantelement-reussi-de-la-zone-euro-92063917.html

[4] http://www.lacrisedesannees2010.com/2016/08/l-euro-le-talisman-qui-a-bientot-fini-de-detruire-l-union-europeenne.html

[5] Discours d’Arnaud Montebourg, Fête de Frangy-en Bresse- 21 aout 2016.

[6] http://www.lacrisedesannees2010.com/2016/02/bien-comprendre-la-logique-devastatrice-de-l-euro.html

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8 août 2016 1 08 /08 /août /2016 09:19

 

Résumé : La monnaie est fondamentalement d’essence politique, une caractéristique jamais dévoilée dans la plupart des manuels de sciences économiques. Elle fût historiquement l’arme essentielle de la construction des Etats, voici plusieurs milliers d’années, puis des Etats-Nations au 20ième siècle. Parce que fondamentalement politique, cette arme fût l’objet d’enjeux contradictoires dans la recherche, le maintien et la transformation de ce qu’on appelle la souveraineté. La fin du système de Bretton-Woods va enclencher un processus d’érosion par éloignement de l’arme monétaire de la main du peuple souverain. C’est l’Europe qui ira le plus loin dans ce processus d’éloignement avec une monnaie devenue idéologiquement un Talisman : l’Euro. La monnaie Talisman est devenue une arme de destruction massive du vivre ensemble européen.

Nous voudrions montrer dans ce chapitre que la monnaie est un marqueur fondamental de la forme de société dans laquelle on vit. En ce sens il ne serait pas idiot de s’exprimer en ces termes simplistes : « Dis-moi quel type de monnaie tu utilises et je te dirais dans quel monde tu vis ». Pour comprendre toute l’épaisseur de ce marqueur, nous interrogerons l’Histoire et verrons que la monnaie fut d’abord un instrument de construction des Etats et qu’elle est aujourd’hui devenue aujourd’hui un instrument de son affaissement. Avec en arrière-plan l’idée de souveraineté que l’on construit, puis que l’on détruit petit à petit en transformant l’outil monétaire. Et puisque derrière la souveraineté se cache l’enjeu fondamental de la démocratie, nous montrerons qu’un ordre démocratique ne peut se concevoir sans un certain type d’ordre monétaire en tant que condition nécessaire sinon suffisante.  Nous tenterons ainsi de montrer que les nations au 21-siècle ne pourront survivre que sur la base d’une restauration des pouvoirs monétaires aujourd’hui largement abandonnés.

  1. La monnaie comme outil de construction de la souveraineté

Si des formes monétaires sont apparues avant les premiers Etats il est aujourd’hui démontré que les constructeurs des dits Etats les ont façonnés aux seules fins de s’affirmer et se construire

  • La monnaie comme enfant du sacré et de l’Etat[1]

Les premières formes de ce qu’on appelle encore aujourd’hui la dette ne s’affichaient pas comme dette monétaire mais comme dette de vie envers une extériorité radicale : L’au-delà de la condition terrestre. Les dieux ont donné une vie qu’il convient de rembourser notamment par l’institution du sacrifice, institution que l’on rencontre dans toutes les sociétés dites primitives. Et bien évidemment quand on parle de dette de vie, il s’agit d’un patrimoine culturel et social que chaque sujet rencontre à sa naissance comme « capital avancé », simplement remboursé par des rituels sacrés dans lesquels on trouve l’institution du sacrifice.

Ce que l’on peut appeler le « Big Bang » des Etats, c’est-à-dire le temps de leur apparition est, de fait, l’accaparement par certains individus de la dette sacrée jusqu’ici engendrée par la communauté. Le Pouvoir étatique est ainsi une prise du pouvoir sur les vieilles religions primitives. De ce point de vue, et l’ethnologue est ici en désaccord avec le juriste, l’Etat est un phénomène de privatisation du capital culturel et social, c’est-à-dire l’extériorité de toute société. Autre façon de lire cette même réalité : le pouvoir politique est issu d’une prise de pouvoir sur la religion. Alors que le politique est une réalité qui jusqu’ici était inaccessible en raison de l’éloignement des hommes au regard des puissances de l’au-delà (tous sont démunis de ce pouvoir et les rapports entre les hommes sont dictés par l’au-delà), elle devient, par accaparement de cette puissance, une réalité tangible : des hommes vont dominer d’autres hommes.

Bien évidemment, la privatisation du sacré doit logiquement devenir privatisation de la dette de vie, et les hommes sont progressivement invités à devenir les débiteurs du pouvoir terrestre. La dette envers les dieux peut évidemment se poursuivre mais désormais elle s’accompagne d’une dette envers le souverain. En ce sens le « Big Bang » des Etats va aussi être une capture de la dette sacrée. Il en découle que logiquement l’endettement envers les Dieux deviendra progressivement un endettement croissant envers la puissance souveraine.

Cet endettement peut être encore de la dette de vie : dette de sang, esclavagisme, travail gratuit, mais aussi impôt, sous forme de prélèvements sur l’activité domestique ou économique, ou sous forme directement monétaire. En la matière, le signe monétaire retenu pour régler l’impôt ne peut être que choisi par le prince. Et le signe retenu est naturellement celui qui bénéficiera de la plus grande liquidité possible, une liquidité permettant au prince de régler ses propres dettes envers les autres princes avec lesquels il est en conflit, et celles envers les mercenaires qu’il emploie au titre des guerres qu’il entretient pour assurer son pouvoir et sa survie dans la communauté des puissants. Et quand on dit « puissants » on dit déjà « souverains », c’est-à-dire des individus qui n’acceptent pas de pouvoir « au dessus » c’est-à-dire de lois qui pourraient s’imposer à eux-mêmes. Le souverain est ainsi celui qui tout au plus peut accepter des règles de coordination sans jamais se soumettre à des règles de subordination.

Le motif de liquidité la plus grande nous fait comprendre que le signe retenu n’est probablement pas la monnaie virtuelle d’aujourd’hui, mais le métal précieux, lequel va s’imposer au terme d’une sélection : le métal précieux est le seul objet dont la liquidité est parfaite , acceptée par la communauté des puissants et aussi acceptée par des mercenaires qui ne pourraient pas se contenter de titres illiquides.

  • La monnaie dans la dialectique de l’économie et de la puissance souveraine

On comprend désormais que le prince, né d’un « coup d’Etat fondant l’Etat »[2] et sa puissance souveraine, s’intéresse de près à ces premières formes de banques centrales que sont les mines de métal précieux…et les « Hôtels des monnaies » qui en sont le prolongement. Le prince fonde ainsi ce qui est déjà le premier « circuit du Trésor »[3] : il crée ou tente de créer la monnaie, dont il fera un monopole du règlement de la dette de ses sujets envers lui, c’est-à-dire l’impôt. La monnaie qu’il crée lui sert de règlement de sa propre dette (ses dépenses), règlement dont la circulation, sera soumise à l’impôt.

Mais le prince peut être gêné dans l’affirmation de sa puissance et de sa souveraineté par une caractéristique essentielle de la monnaie : elle est outil du pouvoir et du règlement de la dette envers le prince, mais elle est aussi réserve de valeur…et à ce titre peut être thésaurisée. Un phénomène qui implique sa rareté et une lutte perpétuelle pour la vaincre. Parce que outil parfait de la liquidité, caractéristique qui la rend susceptible de faire circuler toutes les marchandises, elle est appréciée pour elle-même et donc possiblement stockée…ce qui vient gêner le pouvoir dès lors que celui-ci ne maitrise plus d’inépuisables mines de métal. Ce qui le gène aussi lorsqu’il est impliqué dans d’innombrables guerres très couteuses avec ses voisins. Par excellence concepteur et créateur de la liquidité , il peut lui-même entrer en position d’illiquidité et donc voir sa puissance érodée. L’histoire montre que l’ascension du politique et des Etats correspondants est faite de tentatives de contournements de ce qu’on peut appeler une véritable « loi d’airain de la monnaie »[4] : rendre la monnaie plus abondante par le biais de la dilution voire l’émission de papier, avec bien sûr les limites sociales de ce type de choix des souverains.

Cette faiblesse de la verticalité du pouvoir politique pourra être compensée par une coopération avec le monde horizontal de l’économie naissante. Car la monnaie, grande affaire du prince, est aussi celle des marchands et banquiers qui, eux aussi, se voient opposer la contrainte monétaire. Eux-aussi vont tenter de la contourner avec l’introduction de la lettre de change, avec la conversion des monnaies entre elles, etc. La montée de la puissance politique se nourrit de l’accroissement des recettes fiscales (la « dette » des « sujets » laquelle se nourrit de la montée de la puissance économique. L’intérêt du loup étant que les moutons soient gras, les princes ne s’opposeront pas à l’émergence des premières privatisations des monnaies : les banques vont émettre progressivement du papier non couvert intégralement par une base or. En contrepartie, les banquiers déjà mondialisés viendront réduire les risques d’illiquidité voire de solvabilité des princes dépensiers en achetant de la dette publique. Cette dernière et le taux d’intérêt qui lui sera associé, sont les marqueurs de la collaboration entre monde vertical déjà en difficulté et monde horizontal dont l’ascension ne fait que commencer. Le souverain ne peut plus vivre de la seule prédation sur ses sujets : il lui faut aussi solliciter des prêteurs.

Nous entrons ici dans les premières formes de délitement de la souveraineté : le monde vertical est amené à partager la souveraineté avec l’horizontalité marchande, un monde qui commence à capter la monnaie souveraine : des personnes privées vont émettre des signes monétaires qui emprunteront les marques de la puissance souveraine : dénomination, unité de compte, règles de monnayage, pouvoir libératoire. Le souverain - historiquement une personne privée accaparant et détournant l’extériorité d’une communauté humaine, à savoir la dette de vie - est amené à céder une part de l’outil de ce détournement/accaparement : battre monnaie sera de moins en moins un attribut de la souveraineté. L’Etat né hors marché n’est plus complètement « au dessus du marché ». Le monde du pouvoir avec ses règles de subordination (verticalité) doit, en particulier avec une dette publique portant intérêt, collaborer et parfois se soumettre au monde marchand et ses règles de coordination contractuelles (horizontalité).

Cet affaissement n’est pourtant pas linéaire et la verticalité pourra encore se manifester clairement lorsqu’il apparaitra que le monde financier et marchand ne peut se passer de la monnaie souveraine pour assurer le fonctionnement des affaires. Très simplement les différentes monnaies privées des banques ne peuvent assurer la circulation monétaire exigée par le développement des échanges marchands que s’il y a compensation entre les dites banques et donc une monnaie commune de règlement des dettes entre-elles, à savoir la monnaie  centrale définie par le souverain. Si les monnaies privées peuvent toutes se convertir en monnaie centrale définie par le prince alors elles sont convertibles entre elles et les règlements interbancaires sont assurés. En termes simples l’horizontalité ne peut s’épanouir qu’en s’appuyant par la verticalité. Cette dernière apparaitra sous la forme des premières banques centrales fin 17ième et surtout 19ième siècle. Ces dernières vont progressivement apparaitre comme instrument de disparition de la loi d’airain de la monnaie puisque les souverains peuvent trouver en elle un substitut aux mines d’or de jadis. Et peut-être même davantage car à l’inverse de la mine toujours limitée, la monnaie légale émise peut l’être de façon illimitée si le pouvoir est capable, notamment en raison de circonstances historiques, d’imposer le cours forcé et l’inconvertibilité des billets en métal précieux.

En la matière, la France avec sa longue histoire l’érigeant en Etat-Nation, sera l’une des premières à engendrer un pouvoir plaçant sa banque centrale au sommet d’un système bancaire hiérarchisé[5]. Il suffira de nationaliser ensuite cette banque centrale pour l’arrimer au Trésor et réinventer ce qui avait fait le succès du prince au moment de la construction des premiers Etats : le souverain Français, désormais peuple souverain, va devenir le principal émetteur de monnaie… et une monnaie retournant vers le peuple souverain par le biais de ce qu’on a appelé le « circuit du Trésor ».

La dette publique de jadis, elle-même, marqueur de l’affaissement de souveraineté, perd grandement de sa signification puisque les dépenses publiques reviennent vers le Trésor (comme jadis les pièces d’or revenaient vers le souverain) en raison de l’obligation de nombreuses institutions financières de déposer leurs ressources sur un compte du Trésor. Plus clairement les déficits publics viennent gonfler la liquidité de la plupart des institutions financières, organismes de crédits, Poste, Banques, etc, lesquelles ont l’obligation règlementaire de déposer tout ou parties de ces liquidités sur un compte du Trésor.

Ce retour de la verticalité est très net pour le système bancaire soumis à ce qu’on a longuement appelé la règle des « planchers des bons du Trésor[6] ». Les banques ne sont pas des correspondants du Trésor et ne sont pas soumises à l’obligation d’y déposer leurs liquidités, par contre elles ont l’obligation journalière de convertir une partie de leurs liquidités en achats de bons. Et un achat dont le prix – le taux -est fixé directement par le Trésor. Sans doute peut-il exister un déficit et une dette publique, mais celle-ci est hors marché. Nous sommes dans la verticalité du peuple souverain et non dans l’horizontalité de l’ordre marchand. Très simplement le capitalisme a pignon sur rue mais il ne peut se métastaser en financiarisation généralisée et se trouve contenu dans le périmètre de l’économie réelle. Le peuple souverain reste souverain et se trouve protégé de l’émergence d’une inondation faisant de l’Etat une instance non souveraine car « en dessous du marché ». Plus clairement encore, l’Etat ne risque ni l’illiquidité ni à fortiori l’insolvabilité. Il n’a donc pas besoin d’être noté par des agences comme c’est le cas aujourd’hui.

Bien évidemment cette phase historique, de culture très française, se paie d’une répression financière dont il faut comprendre le mécanisme. L’épargne n’est pas alimentée par une dette publique qui vient s’ajouter aux profits financiers de l’économie réelle. C’est dire qu’elle n’est alimentée que par le canal des titres privées (actions et obligations des entreprises). Situation très contraire à celle du 19ième siècle où la dette publique dite perpétuelle alimentait une foule de rentiers[7]. Situation très contraire également à celle constatée jusqu’aux « quantitatives easings » puisque la dette publique est devenue matière première de nombre de produits financiers soumis aux règles de l’horizontalité marchande[8]. Cette situation n’est évidemment pas bien vécue par des épargnants dont le nombre s’élève avec la croissance économique des trente glorieuses. Elle n’est pas non plus bien vécue par le système financier dont le périmètre d’activité est très étroit[9]. Elle correspond toutefois au choix de l’Etat-Nation devenu démocratique.

Si l’on dresse le bilan d’une très longue période qui va du « big-bang des Etats »- il y a plusieurs milliers d’années- jusqu’à la financiarisation d’aujourd’hui, on peut constater que la monnaie est d’abord un objet politique. A ce titre elle est un enjeu fondamental pour des forces à priori opposées -ce qu’on a appelé la verticalité face à l’horizontalité – mais toutefois soumises à une certaine conjonction des contraires. La loi d’airain de la monnaie est la faiblesse historique du souverain et cette loi ne sera efficacement combattue qu’à un stade relativement tardif de la souveraineté démocratique, non celle de l’Etat-nation, du 19ième mais plutôt celle de la seconde moitié du 20ième siècle.

Il semble pourtant que nous rétablissons depuis une trentaine d’années la vieille loi d’airain de la monnaie laquelle nous entraine vers la fin de l’Etat-nation souverain et démocratique.

  1. La monnaie comme outil de déconstruction de la souveraineté.

Une façon de détruire la souveraineté démocratique est de retirer au peuple souverain le choix du taux de change.

  • Le taux de change n’est plus un choix politique mais un prix.

On sait que la fin du système monétaire de Bretton Woods[10] va engendrer une grande période d’instabilité. Les taux de change étaient définis et défendus par les Etats qui s’engageaient à ne pas les modifier dans la limite de 1% autour de la parité retenue. Aux banques centrales- sur injonctions des Etats - de défendre les parités par achat et vente de devises. Face aux difficultés engendrées par la disparition du système de Bretton Woods, les Etats se concertent et acceptent à la conférence de la Jamaïque en 1976 de se retirer du champ de la définition des taux de change. Ce qu’on appelait déjà les taux de changes flottants, donc des taux – c’est-à-dire des prix décidés par le marché.

Cette perte de souveraineté en appelle bien d’autres et de façon quasi automatique avec en fin de parcours la mise des « Etats sous le marché » donc la fin du principe de souveraineté et de démocratie qui lui est intimement attaché.

Le cours des monnaies   devient ainsi un gigantesque marché au profit de l’explosion d’un capitalisme financier. Parce que la monnaie n’est plus un objet politique défini par le souverain elle devient une marchandise instable au bénéfice de la finance. Ce n’est plus le politique qui va sécuriser la valeur des marchandises internationales, mais la finance qui devra construire des produits de couverture donc des produits financiers chargés de sécuriser cette même valeur. Et les produits de couverture seront d’autant plus efficaces dans leurs fonctions que les intervenants sont nombreux y compris des acteurs très éloignés de la réalité du terrain qu’ils sont censés protéger. Il va logiquement en découler une croissance des produits financiers beaucoup plus rapide que la croissance des flux de marchandises réelles elle- même.[11]

Bien évidemment se trouve associée à cette « dépolitisation de la monnaie », la libre circulation des capitaux et donc la fin de toute forme de contrôle des changes, avec toutes ses conséquences en termes de libéralisation de la finance, la montée des Hedge Funds, le développement de la banque universelle, celui des sociétés de Trading, le fantastique développement des activités de marché au sein des banques, la fortune des agences de notation….mais aussi et il s’agit de la contrepartie d’une automutilation de la puissance souveraine, l’apparition d’Etats « interdits bancaires » en raison du principe général d’indépendance des banques centrales.

  • L’indépendance des banques centrales

Il s’agit d’un point fondamental. Lorsque la verticalité l’emporte sur l’horizontalité, les banques centrales, privées ou publiques, sont investies d’une mission de service public et interviennent en tant qu’instrument de politique monétaire décidée par le souverain. Plus traditionnellement encore elles gèrent, mêmes privées, les dettes publiques en ce qu’elles sont grosses acheteuses des titres financiers émis par les Etats. La FED ou la Banque Centrale d’Italie, parmi tant d’autres étaient dans ce cas. Le Système de Bretton Woods avait très largement mis en avant le caractère public des Banques centrales du monde et ce quelles que soient leurs caractéristiques institutionnelles et juridiques. La fin du système libère ces banques d’une contrainte internationale mais en même temps d’une contrainte nationale puisque le cours des monnaies devient simple prix de marché.

Simplement l’indépendance des banques centrales est d’une portée autrement considérable pour nombre de questions essentielles.

Les premières banques centrales dépendantes des Etats donnaient à ces derniers de gros avantages dont la possibilité d’en faire de continuelles endettées envers eux. En effet, en leur donnant l’ordre d’abonder les comptes des Trésors correspondants et en transformant ces abondements en « avances non remboursables[12] » les banques centrales étaient partiellement devenues l’équivalent des citoyens soumis à l’impôt[13]. D’où l’idée que la notion de dette publique comme fardeau n’avait guère de sens, une dette publique par ailleurs rognée par l’inflation.

L’indépendance est, de ce point de vue, une rupture radicale à l’échelle quasi-planétaire. Désormais, la dette publique fait l’objet d’un marché, et les Trésors sont de fait « interdits bancaires » en ce qu’ils ne peuvent emprunter à la banque centrale dont ils sont pourtant clients en qualité de titulaires d’un compte figurant au passif des dites banques[14]. Les effets en sont considérables. Il faudra tout d’abord assurer un service de la dette auprès d’épargnants qui au-delà des titres privés pourront acquérir des créances sur les Etats. De ce point de vue le passage à l’indépendance des banques centrales élargit le périmètre des épargnants et des rentiers, tout en rétablissant la loi d’airain de la monnaie au détriment des Etats. Plus important est que désormais toute production monétaire devient la contrepartie d’une dette et le poids de l’intérêt gonfle avec chaque émission monétaire. Corrélativement les banques centrales dites indépendantes se fixent des objectifs de stabilisation des prix ce qui est favorable aux créanciers donc aux rentiers et défavorables aux débiteurs dont bien sûr les Etats. Et puisque les titres financiers sont ainsi protégés de l’inflation, toute activité humaine pourra au nom de la liquidité immédiate se financiariser.

On comprend ainsi que l’indépendance des banques centrales est un fait politique majeur : les Etats-nations sont invitées à disparaitre au sein d’un marché en mondialisation. Le peuple souverain disparait dans les entrelacs de ce que nous avons appelé les « autoroutes de la mondialisation ». Désormais l’idée invraisemblable de faillite des Etats endettés fait son chemin dans les médias et on parle même de banques centrales qu’il faudrait recapitaliser en cas d’insolvabilité des Etats.[15] Non seulement les peuples souverains sont amenés à être inondés par le marché mais ils pourraient  aussi s’y engloutis.

Il était toutefois possible d’aller beaucoup plus loin encore dans le passage à la souveraineté limitée et à la naissance d’Etats engloutis dans la finance de marché : après avoir créé les autoroutes de la mondialisation il sera question d’en supprimer les péages avec la naissance de la monnaie unique européenne.

  • Une monnaie sans Etat mais pas sans souverain.

Le comble de la dépossession, voire de la désintégration des Etats-nations fut l’abandon des monnaies nationales en Europe au profit de la monnaie unique. Déjà l’asymétrie créée par la libre circulation du capital face à l’immobilité relative du travail avait largement concouru à l’élargissement de l’éventail des rémunérations. Mais la monnaie unique, en interdisant de fait les transferts entre zones excédentaires et zones déficitaires va aggraver dans de très importantes proportions la dispersion des rémunérations, et plus encore celle des statuts, aussi bien entre Etats qu’à l’intérieur des Etats.

Les taux de change, outils maitres des Etats-nations, ayant disparu il n’y a plus de limite à la croissance du surplus des compte courants allemands. En contrepartie, la Grèce ayant perdu la protection des taux de change ne peut plus connaitre de butoir au déficit de ses échanges courants. La logique de son « développement » se borne aux simples échanges assurés par la grande distribution qui en retour assure la vraie désertification économique du pays.

Ces problèmes d’excédents et de déficits, sont légions à l’intérieur des espaces des vieux Etats nations et les transferts porteurs de rééquilibrage ne soulèvent aucune difficulté au sein d’une communauté nationale dont l’Etat central assure une certaine qualité du vivre ensemble. Mais les transferts sont impensables à l’échelle de l’Europe où la solidarité ne va pas de soi. Dès lors la solution est ce qu’on appelle les suicidaires dévaluations internes, le plus souvent non démocratiquement décidées, qui accroissent les inégalités et l’effacement des Etats- providence dans les pays dont le déficit est comprimé par la règle monétaire nouvelle.

Curieuse situation où la monnaie qui était l’outil efficace de construction de la souveraineté devient l’agent de sa destruction et de la mise sous tutelle d’anciens Etats-Nations. La nouvelle monnaie est dépourvue de peuples souverains et ces derniers en sont la victime avec toutefois une exception : le peuple souverain allemand qui sans être propriétaire de la monnaie unique en est le grand bénéficiaire ce qui le mute en peuple impérial malgré lui.

Parce que la monnaie unique désarme les politiques souveraines, parce qu’elle engendre des passagers clandestins, elle détruit petit à petit les espaces de solidarité et créent des clivages majeurs nourris de spécialisations difficilement supportables dans la durée : trop d’usines en Allemagne, trop d’immobilier en Espagne, trop de fonctionnaires en France, trop de clientélisme en Grèce, etc.  Ces spécialisations sont inappropriées en ce que certaines engendrent des gains de productivité ( Industrie) et d’autres pas (fonction publique) d’où des divergences de plus en plus massives que l’on ne plus corriger avec l’arme du taux de change mais avec les seules réformes dites structurelles[16] imposées par un pouvoir qui surplombe les Etats-nations . Désormais dans ces Etats l’exercice de la démocratie se trouve limité puisque le résultat du vote ne peut aller contre l’injonction des réformes structurelles.

La résolution de la crise de 1929 s’était durablement établie dans la construction d’Etats-Providence » porteurs du vivre ensemble des sociétés salariales qui se sont mises en place. Ces constructions utilisaient en particulier l’arme monétaire encore souveraine, une souveraineté marquée par la désignation politique des constituants de la monnaie et le contrôle des banques centrales. L’arme monétaire- durant toute la période des trente glorieuses- permettra aux Etats de créer de l’homogénéisation en particulier par la construction d’immenses classes moyennes.

La séparation de l’arme monétaire des mains des peuples souverains déclenche aujourd’hui l’effritement des Etats- providence dans une société qui reste encore salariale. Les Etats, en particulier ceux qui sont allés le plus loin dans cette séparation, perdent ainsi le pouvoir de fabriquer de l’homogénéisation. Un pouvoir source de forte légitimité politique. L’avenir est ainsi fait de désagrégation du lien social, d’illégitimité croissante des pouvoirs en place, d’un sauve qui peut dans le communautarisme ou dans un individualisme consumériste et festif forcené. Les plus démunis en « capital social » pouvant ajouter au délitement par l’exercice de la violence comme simple fin.

Dans l’Union Européenne et en particulier sa zone euro qui est le cœur du délitement généralisé, la solution n’est pourtant pas simple. Peu de forces politiques ont pris conscience que l’Euro tel qu’il fut construit est le catalyseur essentiel des forces de la décomposition. Parce que devenu Talisman la monnaie unique est respectée voire vénérée. Comment mettre fin au règne du sacré ?

 


[1] On pourra se reporter ici à « Regard sur les banques centrales : essence, naissance, métamorphoses et avenir » Jean Claude Werrebrouck , in Economie Appliquée, tome LXVI-N°3- septembre 2013, pages 149-177. On pourra également se reporter sur l’excellent ouvrage de Michel Aglietta : « La monnaie entre dette et souveraineté », Odile Jacob,2016.

[2] On reprend ici la célèbre expression de Pierre Clastres dans son ouvrage : « la société contre l’Etat, Recherches d’anthropologie politique’, Minuit, 1974.

[3] Expression que l’on doit à Bloch-Lainé. Cf son cours à l’IEP de Paris : « Le Trésor Public. Introduction générale ». Cf également : François Block-Lainé et Pierre de vögue : « Le Trésor Public et le mouvement général des fonds, PUF, 1960.

[4] Cf Jean Claude Werrebrouck : « La loi d’airain de la monnaie » in Medium , Janvier-février-mars 2013, pages 101-119.

[5] La Banque de France est fondée par Bonaparte en 1800 et se voit immédiatement octroyée un monopole de l’émission pour la région parisienne.

[6] Règle instituée à partir d’octobre 1948.

[7] A cette époque le service de la dette correspondait à 25% des charges de l’Etat

[8] En particulier les 18 spécialistes en valeurs du Trésor d’aujourd’hui ne pouvaient jusqu’à une époque très récente proposer que des prix élevés aux adjudications de l’Agence France Trésor (Bercy), car ces prix devaient « produire » la rentabilité financière de nombre de produits, et des produits qui ne seraient pas achetés si la rentabilité n’était pas suffisante.

[9] Il faut bien comprendre que dans ce type de dispositif la puissance de création monétairee , ce qu’on appelle le multiplicateur du crédit, est particulièrement faible ce qui nous fait penser que le souverain l’est pleinement par le type de circulation monétaire qu’il entend faire respecter ;

[10] Le système mis en place en 1944 disparait au terme de la déclaration du Président Nixon le 15 aout 1971.

[11] Aujourd’hui le marché des changes concerne chaque jours  environ 5500 milliards de dollars, soit 20 fois le montant des biens et services réellement échangés. Jacques de la Rosière vient de prendre récemment conscience des conséquences de la conférence de la Jamaïque : « « On a sous-estimé à l’époque la portée de l’effondrement du système de Bretton Woods. On a vu à l’usage combien le flottement des monnaies a encouragé le laxisme budgétaire et monétaire dont les effets cumulés nous écrasent aujourd’hui. Comment imaginer qu’un tel régime de liberté incontrôlée puisse être compatible avec une coopération économique mondiale et avec la stabilité du système financier. Bien que trop rarement dénoncé, cet enchaînement de conséquences de la décision d’août 1971 est à mon sens à l’origine de nombre des déséquilibres structurels d’aujourd’hui » In : « 50 ans de crises financières », Odile Jacob, 2016.

[12] Ce qui était le cas français jusque 1973 et ce qui était le cas général lors des guerres du 20ième siècle

[13] Il va sans dire que la réduction de la loi d’airain de la monnaie ainsi obtenue n’était pas sans risques puisque la planche à billets correspondante n’était efficace qu’en cas de sous -utilisation de facteurs de la production et aussi  dans les limites du seuil de confiance des citoyens.

[14] C’est ce que nous avons appelé le passage au « mode marché » de la gestion de la dette publique. Cf ici Jean Claude Werrebrouck ; « Banques centrales, Indépendance ou soumission, un formidable enjeu de société », Yves Michel, 2013

[15] Les énormités en la matière que l’on trouve dans la presse même spécialisée sont aussi le fait de choix politiques car effectivement il fut déjà décidé, dans le tumulte de la crise financière de recapitalise la BCE en 2010. Même le monde académique, qui pourtant sait que la notion de capital social d’une banque centrale n’a strictement aucun sens, s’est plié à ce type de désinformation.

[16] Ces réformes dites structurelles concernent essentiellement le cout du travail qu’il faut déprécier (dévaluation) interne puisque la dépréciation externe (taux de change) n’est plus une arme souveraine.

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12 juillet 2016 2 12 /07 /juillet /2016 10:06
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28 juin 2016 2 28 /06 /juin /2016 16:39

 

Vu de haut il pourra bientôt être dit que l’aventure de l’union européenne est finalement passée par 4 grandes  phases : celle de la construction (années 50-70) celle du mode mondialiste quasi parfait (années 80 et jusqu’en 2007), celle de la décomposition masquée ( 2007-2016), enfin celle de la décomposition active ( aujourd’hui).

La construction (années 50-70)

La première bien connue ne soulève guère de questions. L’Europe des 6 ou du marché commun disposait d’un projet clair : éloigner tout risque de guerre en promouvant les vertus apaisantes du commerce chères à Montesquieu. Il ne s’agit pas de mettre en place une société de marché mais une société à économie de marché complétement régulée par le modèle keynésien de représentation et de régulation du monde. La coopération l’emporte sur la compétition, ce qui signifie que l’homogénéisation - déjà en cours à l’intérieur de chaque Etat, ce qui est le principe classique de fonctionnement des Etats[1] -  se manifeste par le haut et non par le bas. Bien évidemment cette homogénéisation est aussi alimentée par un modèle fordiste de croissance garantissant des gains de productivité importants à redistribuer.

La phase mondialiste quasi parfaite (années 80- 2007)

La seconde est celle du marché unique, de l’idéologie de la fin de l’histoire avec l’effondrement du bloc soviétique, de  l’élargissement vers le sud et l’est, de  la fin du politique et des Etats au profit des règles et de la bonne gouvernance, de l’édification paradoxale d’une machinerie gigantesque productrice de directives , résolutions, normes, sanctions, toutes orientées vers l’ordre d’un marché non faussé, du développement fantastique des « Autorités Administratives Indépendantes », du développement d’agences de notation des Etats, etc... Le tout baignant dans la remise -par les Etats-  des clés de la monnaie à la Finance[2]. Désormais les taux de change ne sont plus définis par décret mais par le marché, les Etats cessent d’accéder à la monnaie en raison de l’indépendance des banques centrales, une indépendance qui deviendra radicale avec la naissance de l’euro-système. I ’idée de projet se dissout dans le marché généralisé, et s’il existe une volonté, c’est bien celle de faire de l’Union européenne un modèle, certes réduit, mais parfait de la mondialisation néo-libérale.

C’est l’introduction de l’euro qui fait de la zone correspondante le modèle réduit et parfait de la mondialisation néolibérale : les taux de change à l’intérieur de la zone ne sont plus politiquement fixés, ne sont plus outils de correction des déséquilibres, et disparaissent[JCW1]  pour laisser la place à la circulation libre du capital. Cette disparition est aussi celle d’un élément fondamental de la souveraineté : aux Etats de s’adapter selon les mouvements du marché. La disparition des taux de change fait ainsi disparaitre toutes les cloisons, transformant les sociétés en êtres dépourvus de peau protectrice. Bien évidemment il ne s’agira plus de coopérer (premier stade la construction) mais d’entrer dans une concurrence généralisée y compris celle des Etats, en particulier de leur politique fiscale et sociale. Le principe d’homogénéisation est abandonné, la construction se poursuivant selon un mode bancal : il faut créer des avantages compétitifs donc des différences[3] que l’on essaiera de combler en permanence, non par le haut comme au temps de la coopération, mais  par le bas. On passe ainsi d’un modèle d’homogénéisation par le haut à une modèle d’hétérogénéisation combattue par un éternel et précaire nivellement par le bas. Nous ne sommes plus très loin des sempiternelles réformes structurelles.

La phase de la décomposition cachée (2007-2016)

Plusieurs dizaines d’années plus tard l’hétérogénéité est devenue problématique. Le modèle réduit européen de mondialisation est d’abord bloqué par la crise mondiale de surproduction que la dette croissante ne peut plus masquer[4] : les subprimes (USA) sont la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Les masse financières gigantesques déployées au titre de la sécurisation des taux de change[5], masses devenues le très lourd prix de la remise des clés de la monnaie à la Finance, déstabilisent de non moins gigantesques établissements financiers qu’il faut sauver ….par des Etats dont on voulait rétrécir le périmètre d’intervention… A partir de 2008, à l’échelle de l’UE, il faudra se rendre compte de la catastrophe correspondante et essayer d’en masquer les effets.

 Le modèle néolibéral adopté par l’Union européenne a renforcé les spécialisations productives dans tous les pays : plus d’industrie en Allemagne, plus de finance à Londres , plus de services en France, plus de bâtiments en Espagne, plus de tourisme en Grèce, et parfois même des innovations comme celle de la fraude fiscale au Luxembourg. Les gains de productivité associés à ces spécialisations étant différents, les revenus entre pays ne peuvent que se différencier de manière croissante et n’ont pu être masqués que par des soldes extérieurs éloignés des écrans radars des statisticiens : la Grèce, voire la France ont pu continuer à vivre sous la protection de l’Euro alors que la même monnaie unique en détruisait la substance. A l’inverse l’Allemagne a pu s’offrir un mercantilisme de grande dimension par le biais d’une monnaie sous-évaluée. Bref, le modèle fait entrer en décomposition l’aventure européenne : il fallait s’unir ou se rassembler mais la méthode choisie aboutit au résultat inverse.

Face aux déséquilibres que le principe de concurrence ne peut corriger, il a fallu tenter de mettre en congruence ce qui ne pouvait pas l’être en ayant recours à des bricolages réglementaires et financiers : austérité budgétaire pour le sud pour rassurer une Allemagne qui ne peut accepter de transferts mais qui a besoin de poursuivre son mercantilisme, effondrement de l’investissement en raison du multiplicateur budgétaire négatif, maintien de la liberté de la Finance avec sa spécialisation londonienne pour respecter le principe d’indépendance des banques centrales sans lequel l’existence même de l’euro disparaitrait. Il faudra même aller plus loin en intervenant directement sur les Etats, l’Italie, mais surtout la Grèce dont un gouvernement est écarté (2011) avant la mise sous tutelle directe[6] (été 2015).

Les politiques d’austérité, indispensables sauf à mettre en cause l’ensemble de l’édifice, font apparaitre la réalité : des Etats européens qui ne font que s’éloigner les uns des autres sur le plan économique avec toutes les conséquences politiques et sociales. Mieux , à l’intérieur des Etats, des différenciations croissantes entre zones gagnantes et zones perdantes de la mondialisation, une hétérogénéisation que les Etats, parce que démunis de leurs attributs classiques ne peuvent plus compenser[7]. Le référendum sur le Brexit est ainsi révélateur d’une extraordinaire réalité : un royaume uni tellement disloqué que certains imagineraient légitime l’indépendance de la ville de Londres par rapport au reste du territoire.

Bien évidemment l’étape la plus remarquable de cette décomposition cachée est l’intervention massive de la BCE pour masquer la réalité de la dette publique dans nombre d’Etats : en rachetant cette dernière, en pratiquant durablement une politique de taux zéro, on permet la reproduction comateuse du système de décomposition.  Avec ce curieux résultat : celui d’une Finance qu’on a voulu libérée, que l’on veut maintenir libre, et qui se trouve partiellement assujettie à un effondrement de sa rentabilité.

La phase de décomposition active de l’Union Européenne (2016… ?)

Cette phase ne peut être appréciée que par rapport aux grandes forces en présence qui vont de par le symbole du Brexit pouvoir se déchainer plus ouvertement. De ce point de vue l’Histoire retiendra que c’est la Grande Bretagne, pourtant située à la périphérie de l’ordre institutionnel bruxellois, qui ouvre le bal de la phase active de la décomposition.

Ces forces sont nombreuses : les lobbyistes de l’économie réelle, ceux de la Finance, le personnel politico-administratif du monde bruxellois, les entrepreneurs politiques des divers pays, les salariés, les citoyens, les consommateurs, les épargnants de ces mêmes divers pays[8], les entrepreneurs politiques des pays étrangers. Chaque groupe est porteur d’intérêts directs ou porteur d’une composition ou « bouquet » d’intérêts[9].

La résultante des forces en jeu est donc complexe tant les éléments constituants le sont. Et cette complexité est d’autant plus grande que pour nombre d’acteurs il y a difficulté à distinguer ce qui relève de l’intérêt objectif – parfois difficile à mesurer- et ce qui relève de l’idéologie.  Toutefois il semble que les forces de désintégration devraient logiquement l’emporter sur celles à vocation intégrative.

L’idéologie d’un intérêt général post national est extrêmement puissante et donc c’est une alliance de forces européistes qui devraient logiquement continuer à s’imposer dans l’immédiat. Avec 3 possibilités : la marche vers plus d’horizontalité, celle d’un libre échange en continuelle expansion ; celle de la verticalité, c’est-à-dire celle d’un fédéralisme ; enfin, la moins européiste, celle « oblique » d’une coopération renforcée entre Etats.

Les deux premières sont explosives.

La première n’est compatible avec l’euro que si les continuels perdants du libre- échange acceptent en permanence la contrainte correspondante de la dévaluation interne, donc la baisse continue des rémunérations et protections associées. Parce que le libre- échange permet de ne plus voir dans les salaires un débouché, et n’y repérer qu’une contrainte de couts, la tendance à la baisse des rémunérations devient récurrente. Et le pays dominant ne peut en être épargné : même l’Allemagne ne pourra rester compétitive qu’en faisant pression sur les rémunérations. De ce point de vue l’euro apparait bien comme un double outil : d’abord sociologiquement une arme efficiente de lutte de la classe dominante contre la classe dominée, ensuite économiquement un instrument accélérateur de la crise mondiale de surproduction. L’européisme de l’horizontalité marchande trouve ici une limite : les entrepreneurs politiques nationaux ne pourront se reconduire au pouvoir ou conquérir le pouvoir dans l’ordre libéral que si l’euro disparait….et avec lui nombre des institutions européistes correspondantes….De ce point de vue l’affrontement entre les politiques nationaux, pris dans le piège de la contestation de plus en plus radicale des dominés, et le personnel politico-administratif bruxellois devrait prendre de l’ampleur, ces derniers ne pouvant se reconduire au pouvoir qu’en développant un laxisme croissant sur les règles fondamentales de fonctionnement de l’eurozone. Affrontement de classes (à la base) qui débouche sur des affrontements secondaires à l’intérieur de l’oligarchie ( le sommet) diraient les marxistes…le tout dans un marasme économique se perennisant  (austérité continue) et débouchant sur la fin du vivre ensemble que devaient normalement assurer jusqu’ici les Etats. Ou le maintien d’un certain vivre ensemble ou l’euro : il faudra choisir.

La seconde, le « plus d’Europe » peut donner le change par des politiques fiscales voire sociales plus harmonisées. Bien évidemment on peut rediscuter sur les migrations, le terrorisme, etc. On peut même imaginer un gouvernement de la zone euro avec un parlement responsable[10]. La limite est pourtant très claire : sans redistribution depuis les zones excédentaires vers les zones déficitaires, la situation restera bloquée pour nombre de pays du Sud. Cette redistribution n’étant pas politiquement acceptable pour l’Allemagne, nous nous retrouvons dans une situation proche- certes moins douloureuse – de la première. C’est dire que là encore, une intégration plus forte passe d’abord par la disparition de la monnaie unique. Ce qu’aucun entrepreneur politique classique ne peut évidemment reconnaitre.

La troisième n’est envisageable qu’à la condition de la disparition de la monnaie unique. Sans cette disparition, des projets intergouvernementaux, par exemple d’investissements massifs dans des infrastructures, dans le redéploiement écologique, etc. ne peuvent assurer automatiquement les transferts obligatoires vers les zones déprimées, donc transferts qui ne peuvent qu’être bloqués par l’Allemagne.

La Grande Bretagne a ouvert le bal de la décomposition puisque désormais la porte autorisée par l’article 50 du Traité est ouverte. La question est alors de savoir qui, du centre institutionnel bruxellois, c’est-à-dire la zone euro, va la franchir le premier. Parce que les acteurs politiques se doivent d’être prudents dans leurs stratégies de conquête ou de  reconduction au pouvoir, ils doivent emprunter la sortie de façon indirecte mais surtout intelligente, c’est-à-dire sans mettre en cause directement une monnaie unique promue au rang de Talisman.

Parce que les humains ne peuvent jeter un Talisman, il faut trouver un moyen propre pour s’en débarrasser. Le Blog recommande à cet effet de s’attaquer d’abord à son environnement immédiat c’est-à-dire à la BCE qui doit être simplement réquisitionnée[11]. Une réquisition qui devrait logiquement entrainer le déclenchement de la fin avec le départ précipité de l’Allemagne. Une stratégie de sortie ferme mais intelligente , celle contournant le Talisman, pour  laisser la responsabilité de sa mise au rebut à l’Allemagne ne peut être le fait que d’un grand pays : la France est désormais porteuse de ce choix stratégique.

Quand plus rien n’est réparable, la sagesse consiste à précipiter l’effondrement définitif pour reconstruire un tout autre monde. La Grande Bretagne a déverrouillé la prison. A la France d’en faire sortir les prisonniers.

 

 

[1] http://www.lacrisedesannees2010.com/2015/04/avenir-des-etats-declin-fragmentation-union-desunion-partie2.html

[2] http://www.lacrisedesannees2010.com/article-la-finance-ou-la-reussite-de-la-petition-des-marchands-de-chandelles-frederic-bastiat-1845-121172557.html

[3] http://www.lacrisedesannees2010.com/2014/10/la-surclasse-mondialiste-interdit-la-fin-de-la-crise.html

[4] On pourra mieux comprendre cette question en lisant l’ensemble des textes de la rubrique : http://www.lacrisedesannees2010.com/tag/critique%20des%20raisonnements/ que l’on trouve sur le blog.

[5] Les opérations de change sont en masse environ 100 fois supérieures à celles des operations économiques réelles d’exportation et d’importation

[6] http://www.lacrisedesannees2010.com/2014/12/test-du-modele-du-monde-tel-qu-il-est-le-protectorat-grec.html

[7] http://www.lacrisedesannees2010.com/article-etats-effondres-failed-states-dans-la-mondialisation-120988085.html

[8] http://www.lacrisedesannees2010.com/article-le-monde-tel-qu-il-est-78572081.html

[9] Il est clair que les entrepreneurs politiques dont l’intérêt est la conquête ou la reconduction au pouvoir utilisent aussi les groupes d’intérêts qu’ils sont censés représenter. Et c’est parce que le premier ministre britannique a mal saisi les forces en présence que son objectif privé de reconduction au pouvoir fut un échec.

[10] http://www.lacrisedesannees2010.com/2015/12/un-authentique-parlement-de-la-zone-euro-est-il-pensable.html?

[11] http://www.lacrisedesannees2010.com/2016/05/une-requisition-de-la-bce-au-service-des-zones-devastees-par-l-euro.html


 [JCW1]

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13 juin 2016 1 13 /06 /juin /2016 08:28

Quel que soit le résultat du référendum du 23 juin les conséquences seront probablement considérables.

Hypothèse du maintien dans l’UE

Ce scénario n’est pas celui de la continuité car il marque le succès d’une stratégie de blocage de l’intégration vers toujours plus d’Europe. Les britanniques en utilisant pour la première fois dans l’histoire un article conçu pour ne jamais être utilisé (article 50 évoquant les conditions d’un départ de la construction européenne) obtiennent un régime d’exception. Il n’est pas douteux que cette stratégie deviendrait un chemin banal pour les pays qui sans vouloir déserter chercheraient à améliorer leur position dans l’édifice. L’UE européenne ne serait plus un bouc émissaire seulement désigné mais concrètement utilisé, et les forces de dislocation concurrenceraient celles d’une cohésion historiquement toujours croissante.

La conséquence est bien sûr aussi la victoire des stratégies néo libérales de déréglementation et la fin des projets de mise en place d’un ministre européen de l’économie et des finances. Elle est aussi la continuité de l’approfondissement des accords de libre Echange avec les USA ou le Canada, l’accord sur la libéralisation des services, etc.

Hypothèse du « leave ».

N’abordons pas ici les résultats souvent négatifs proposés par la multitude des modèles qui se sont intéressés à la question. Calculer comme le font la plupart la prétendue diminution de PIB à partir de ce qu’on appelle une « augmentation des couts du commerce international », lui-même induit par un éloignement du marché unique n’a guère de sens. L’effet du Brexit n’est pas dans le registre du calculable. Et, n’est pas calculable non plus, la différence (donc le « solde » ?)  entre un éventuel PIB plus faible et une  « démocratie plus grande » en ce que les résultats de son jeu ne serait plus prédéterminé par les métarègles de l’UE.

Bien évidemment des conséquences économiques émergeraient rapidement, mais pour autant, elles seraient maitrisables. Rapides, car on peut parier sur un courant spéculatif vigoureux, portant sur la vente d’actifs britanniques défavorables à la tenue de la livre. La balance courante structurellement déficitaire est jusqu’ici couverte par des achats d’actifs britanniques.  La réorientation spéculative du flux de capitaux entrainerait une forte chute de la livre, d’où probablement une forte hausse des taux, et une augmentation de l’épargne. Le changement ne serait pourtant pas catastrophique et l’effet récessif attendu serait partiellement compensé par une amélioration de la compétitivité impulsée par la baisse du taux de change. Reste la question des taux sur une dette publique importante, question qui elle aussi n’est pas insoluble. Il est toutefois impossible de fixer le résultat global d’un tel changement et là encore les modèles économétriques ne sont pas épistémologiquement sérieux.

A moyen terme, sur le plan financier, la place de Londres ne serait pas menacée, car les barrières à l’entrée qui s’opposent à toute place se voulant concurrente sont colossales : accumulation de compétences techniques en tous domaines sur un même lieu, qualité des infrastructures, liberté des rémunérations, adossement « naturel » sur des paradis fiscaux, etc…. la place de Paris malgré ses compétences humaines ne saurait rivaliser avec celle de Londres de l’après Brexit.

Toujours à moyen terme, la renégociation des accords avec l’UE au-delà des intérêts divers est parfaitement envisageable. Inscrite dans la durée (deux années selon l’article 50) elle n’empêchera pas le maintien des contrats ou des normes, et permettra le maintien de toutes les activités tant il est vrai que l’esprit libre échangiste sera maintenu[1].

On voit mal la France punissant la grande Bretagne en imposant des clauses restrictives sur les importations en provenance d’Outre-Manche, au prétexte qu’il faut faire peur… au Front National…et ce d’autant que l’excèdent français sur la Grande Bretagne est important ( 8,4 milliards d’euros pour 2015) et présente un caractère d’exception puisque la France est déficitaire au regard de la plupart des grands pays partenaires. Il n’est pas dans l’intérêt de la France de gêner en quoi que ce soit l’épanouissement des intérêts britanniques jusqu’ici garantis par les textes existants.

On voit mal l’Allemagne punissant la Grande Bretagne alors qu’elle exporte massivement ( 89 milliards d’euros en 2015) vers ce dernier pays. Là aussi tout sera fait pour ne pas gêner un client si important.

On voit mal l’Irlande cherchant à créer une frontière avec sa partie nord pour punir la Grande Bretagne…

Etc.

 Clairement, le ton sera celui de la bienveillante dans les négociations de sortie et l’on se dirigera peut-être vers l’appartenance à L’Espace Economique Européen, (EEE) voire l’AELE (Association Européenne de Libre Echange). Plus probablement l’issue sera celle d’accords classiques en raison du fait que EEE et AELE valident la liberté de circulation du travail que la Grande Bretagne cherche à maitriser. Du point de vue de la grande Bretagne la sortie correspondrait mieux à sa vocation libre échangiste avec la possibilité de conclure des accords bilatéraux avec n’importe quel pays, ce qui n’est pas vrai aujourd’hui. Ajoutons qu’une telle solution correspondrait aussi mieux à sa réalité puisque plus de 50% de son commerce mondial se réalise avec des pays étrangers à l’UE. La Grande Bretagne libérée du carcan communautaire retrouverait ainsi sa vocation mondiale. Précisons enfin- pour reprendre les termes de « cout du commerce international » des fabricants de modèles-  que cette dernière solution est la plus avantageuse en raison des énormes contributions financières correspondants à l’appartenance à l’EEE ou L’AELE.

Les réactions politiques

Si le tabou de l’article 50 est levé et qu’au surplus il aboutit à une sortie, il est clair que les forces de dislocation deviennent plus dangereuses et qu’à cet égard les forces politiques intégratives seront déployées[2]. La première d’entre elle est bien sûr le personnel politico-administratif qui a fait carrière et trouve des débouchés croissants au sein des énormes pyramides institutionnelles de l’UE. Elle sera la première force en quête de mobilisation des acteurs politiques nationaux. Elle sera toutefois bien en peine dans son choix stratégique d’influence auprès des décideurs politiques nationaux : pour éviter la désintégration et donc se reproduire au pouvoir dans la pyramide institutionnelle européenne faut-il choisir davantage de fédéralisme ? Ou éviter toute nouvelle forme de mutualisation comme c’est le cas encore aujourd’hui ?

Les choses ne sont pourtant pas simples car il faut compter à l’intérieur de chaque Etat avec la montée des partis non européistes, voire des partis sécessionnistes. Et surtout il faut compter avec l’éternel problème de l’euro, monnaie dont on commence à avouer- avec 20 années de retard - qu’elle est « incomplète » …et probablement frappée d’incomplétude…ce qui n’est pas encore avoué…

 La Catalogne voit d’un bon œil le Brexit et ses conséquences possibles sur la sécession d’une Ecosse demandant son intégration dans l’UE. Son intérêt est peut-être de freiner une intégration plus forte l’emprisonnant davantage dans une Espagne qu’elle veut quitter. Les choses sont plus claires pour des Etats-nations plus solides :la montée du populisme en Hollande bloquera les ardeurs du président de l’Euro Groupe ; la montée de l’AFD en Allemagne rendra prudent le gouvernement correspondant ; la montée du Front National agira de la même façon pour la France. On pourrait multiplier les exemples.

Ces blocages internes qui poussent à l’arrêt de l’approfondissement se heurtent toutefois au problème fondamental de la monnaie unique qui lui exigerait à court terme une volonté plus intégratrice.

On sait que la suppression des taux de change est la condition fondamentale de l’existence d’une monnaie unique entre nations différentes. A l’intérieur d’une nation, les déséquilibres régionaux ne posent guère de problème et des transferts existent -et sont politiquement acceptés en raison de l’homogénéité existant à l’intérieur d’un espace national -  entre régions excédentaires et régions déficitaires. La région déficitaire ne dévalue pas une monnaie nationale – chose au demeurant impossible-  pour restaurer l’équilibre, et va donc bénéficier de la solidarité des régions riches de la même nation. Tel n’est pas le cas entre nations différentes où aucun espace de solidarité naturelle n’existe.

Concrètement le bon fonctionnement de l’euro suppose des transferts entre nations …des transferts dépourvus de toute légitimité naturelle. Il n’existe pas d’espace de solidarité entre l’Allemagne et la Grèce. D’où les très importants disfonctionnements de la zone euro. En cas de Brexit Les schémas d’intégration renforcée prennent -ils en compte cet élément d’hétérogénéité qui délégitime l’idée de solidarité ?  La réponse est clairement non.

Tous les projets de renforcement actuellement sur la table, près d’une dizaine, butent sur la question des transferts. Tous militent pour un pouvoir discrétionnaire appuyé par un parlement authentique de la zone euro. Tous militent pour un gouvernement économique avec un budget important, une convergence fiscale et sociale, parfois même avec une assurance chômage centralisée, des dépenses d’infrastructures appuyées par ce qui serait un budget de la zone euro au sein d’un Trésor de la zone euro. Mais quelle que soit la solution retenue, il est clair que l’Allemagne ne pourra que s’opposer au fait que les dépenses correspondantes seraient de fait payés automatiquement par les allemands. On peut ainsi penser que jamais l’Allemagne n’acceptera un parlement authentique, capable de légiférer démocratiquement sur des recettes et dépenses, un parlement où pour des raisons de simple arithmétique démographique elle serait éternellement et fort légitimement minoritaire

Ainsi on peut raisonnablement penser que le Brexit accélérera la mise à nu de l’existence d’un nœud gordien, que ce même Brexit permet de trancher. En particulier la Grande Bretagne partie, il n’y a plus que 2 pays importants : l’Allemagne et la France, de quoi imaginer l’instauration d’un rapport de forces nouveau pour peu que le nouveau président de la République prenne conscience de la nécessite de trancher le nœud gordien : ou bien l’Allemagne accepte de nouvelles règles ou bien la zone euro disparait…

Parce que le Brexit éloigne un tabou, parce qu’il permet de poser des questions jusqu’ici interdites, parce qu’il engendre des idées de liberté chez les peuples, une liberté que les appareils politico-administratifs nationaux et communautaires tenteront de contenir en démasquant - bien involontairement -  le nœud gordien de l’euro, il accélérera la décomposition de l’UE telle qu’elle s’est historiquement constituée.

Et cette décomposition porteuse du rétablissement de la démocratie ( le résultat des élections peut être respecté car les métarègles européennes non démocratiques ont disparu) va dans le sens de la présente histoire : l’affirmation , partout dans le monde, d’Etats- nations soucieuses de souverainetés portant en elles l’espérance démocratique.[3]

 

 

[1] Et cette bienveillance sera présente même si la colère de certains se fait vive, comme celle par exemple de l’euro députée Sylvie Goulard qui vient d’écrire une charge contre le premier ministre Britannique ;« Goodbye europe » publié chez Flammarion. Voici un court extrait qui donne le ton : « Un premier ministre britannique récalcitrant en difficulté avec son propre camp, dicte ses conditions et voilà que 27 dirigeants et toutes les institutions européennes cautionnent un discours de dénigrement et cèdent au chantage. C’est extravagant ».

[2] Il faut en effet bien comprendre que ce serait aussi historiquement le premier référendum contre l’Europe, consultation organisée dans un grand pays, qui donnerait lieu à un succès et surtout qui serait  exécuté. D’autres référendum se sont produits notamment celui du 29 mai 2005 en France, mais ils ont toujours terminé leur parcours dans les oubliettes. Ce ne serait pas le cas d’un Brexit.

[3] En reprenant les propos d’Olivier Gosset (XERFY) on assisterait ainsi à la « déseuropéanisation » en parfaite congruence avec ce qu’il croit être une démondialisation à l’œuvre. Il est vrai que déjà les mouvements de capitaux entre pays de l’UE ont pratiquement disparu tandis que le poids du commerce inter UE se réduit.

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8 juin 2016 3 08 /06 /juin /2016 16:00
J'invite tous mes lecteurs à cette rencontre parisienne. merci de bien vouloir vous inscrire.

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17 mai 2016 2 17 /05 /mai /2016 14:46
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16 mai 2016 1 16 /05 /mai /2016 09:57

 

L’euro a déjà ruiné l’Europe.....

Il est inutile de rappeler qu’une homogénéisation financière dépourvue de puissance souveraine constitue la matière première fondamentale du fonctionnement de la zone euro. Sans totale liberté de circulation des capitaux et sans indépendance des banques centrales il n’y avait pas de monnaie unique possible. Et c’est cette homogénéisation qui fut à l’origine de l’aggravation de l’hétérogénéité économique entre Etats. C’est bien  le système financier homogénéisé qui va permettre l’implantation massive de banques françaises et allemandes en Grèce, et va autoriser la ruine de ce pays : développement du crédit public et privé, destruction d’une industrie locale au profit de la grande distribution et d’importations massives…aves ses conséquences en termes de diminution de la production, d’élévation de la demande globale, et au final la ruine, y compris celle des banques qu’il faudra réellement sauver derrière le mythe du sauvetage de la Grèce. Parce que les impérieux ingrédients du bon fonctionnement de l’euro produisent de l’homogénéisation financière, ils produisent aussi ce que l’on ne voulait peut-être pas, à savoir de l’hétérogénéité économique avec, selon l’expression de Charles Gave, « trop de maisons en Espagne, trop de fonctionnaires en Grèce et trop d’usines en Allemagne »[1]. Ce dernier auteur aurait pu ajouter : « trop de braconnage fiscal au Luxembourg ».

Mais les sauvetages et rapiéçages successifs initiés depuis 2010 ne font qu’aggraver la marche vers la ruine de l’Europe. Une ruine économique croissante, mais aussi une ruine politique.

Une ruine économique croissante car les transferts du nord excédentaire vers le sud déficitaire sont légitimement inacceptables pour l’Allemagne. L’Europe n’est pas un Etat Nation porteur d’incontestables et incontestées solidarités internes, et l’Allemagne d’aujourd’hui n’est pas l’Amérique de 1945, porteuse d’une idée régionale ou mondiale : elle ne peut initier un quelconque plan Marshall[2].

Parce que les soldes TARGET 2 du sud figurent au bilan de la banque centrale Allemande, qu’ils matérialisent le déficit du sud et sont la marque de son insolvabilité, ils sont repoussés par une Allemagne qui exigera de Bruxelles la mise en place de politiques d’austérité porteuses d’une aggravation continue de la ruine. Le taux de change ne pouvant être modifié, le déséquilibre est censé devoir être combattu par la dévaluation interne, d’où un multiplicateur négatif générant une contraction de la demande globale, une chute de l’investissement public et privé, elle-même porteuse de la ruine aggravée future…. L’austérité exigée prévalant sur l’ensemble des pays du sud, c’est bien évidemment la totalité de la zone qui en sera affectée.

Une ruine politique croissante car c’est dans l’urgence que l’on devra adopter un ensemble de règles techniques porteuses d’une prétendue régulation. Une urgence qui, à ce titre, ne peut passer par des débats démocratiques dans chaque pays concerné. D’où des débats budgétaires nationaux qui doivent s’inscrire dans un cadre imposé de l’extérieur. D’où des législations nationales, de fait toutes celles portant sur les réformes dites « structurelles », imposées par l’extérieur. Autant de règles qui stipulent que les élections ou référendums doivent déboucher sur des résultats bien délimités, à l’exclusion de tous les autres…D’où l’idée de démocratie et de souveraineté limitée. D’où au final la démonétisation de gouvernements jugés compradores et la contestation grandissante de la légitimité des pouvoirs en place.

Mais la BCE va aider à quitter le champ de ruines........

En quittant d’abord doucement puis plus vivement le champ de ses activités traditionnelles, la BCE flirte déjà avec les prémices de la fin de l’euro.

L’irruption du QE fut déjà une première entorse puisque de fait il s’agir d’un outil qui contourne l’interdit de l’achat direct de dette publique. Il ne s’agit pas d’une monétisation et le volume de dette publique ne diminue pas. Par contre il en allège considérablement sa gestion et a fait disparaitre les spreads de taux….de quoi maintenir l’homogénéité financière…et donc la survie de l’euro. En poursuivant, cette même BCE a sécurisé la dette publique jusqu’à la transformer en « service de coffre-fort » : les taux négatifs sont le prix d’un tel service. La gestion de la dette publique s’en trouve considérablement allégée, un peu comme au temps du circuit du Trésor français au cours de la période de reconstruction[3]. Et il est vrai que le QE peut donner des idées : pourquoi ne serait-il pas aux mains des Etats qui eux ne se contenteraient pas d’assurer la solvabilité et la liquidité bancaire dont on sait qu’elle ne débouche pas sur de l’investissement ?

Beaucoup plus intéressante est la perspective de « l’helicopter money » (HM). La résistance allemande sera en principe très forte tant elle remet en question un ordo- libéralisme jusqu’ici sacralisé. Et ici l’innovation est radicale puisqu’à l’inverse du QE, il s’agit d’une monétisation pure : de la monnaie serait émise sans contrepartie d’une dette….comme au bon vieux temps des « avances non remboursables » que le Trésor Français obtenait de la banque de France . De surcroit, si un tel débat devait s’enclencher on s’apercevrait très vite que la BCE ne dispose pas des autorisations nécessaires pour se lancer dans une telle politique, mais surtout on constaterait la radicale opposition du système financier qui verrait sa part de marché considérablement diminuée. Au-delà encore quelle légitimité aurait une organisation pour sélectionner les agents économiques bénéficiaires, distinguer la part du HM pour l’investissement public , l’investissement privé, la consommation des ménages, etc. 

On sent ici que si le scénario du HM devait, malgré les multiples oppositions se manifester, il resterait système assis entre 2 chaises : interventionnisme accru et donc plus de surveillance, plus de règlements, plus de barrières, plus de décisions et moins de marché….sous la houlette d’un acteur- la BCE- situé en dehors du champ politique… une BCE devenue sorte d’Autorité Administrative Indépendante à l’instar de toutes les autres qui ont tant fait pour la marginalisation du débat démocratique. Parce qu’une telle réalité deviendrait politiquement difficilement gérable,Il est clair que le chemin menant au HM a pour destination ultime la fin de l’indépendance des banques centrales…surtout si le dispositif devait- comme la simple logique le voudrait-  être décentralisé au niveau des banques centrales nationales….

A ce niveau, si le monde a déjà changé, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout et prendre la corde que la BCE tend aux Etats pour la pendre ? La question est donc de savoir qui, quel Etat, poussera un peu plus la BCE dans sa chute en prenant directement les commandes, une prise qui correspondra de par ses conséquences à une possible fin de l’euro zone. Il est impossible de décrire le scénario de cette « pendaison » et le rétablissement de la souveraineté qui va lui correspondre. Il est simplement recommandé aux acteurs politiques les plus conscients de la future élection présidentielle française de saisir opportunément cette corde et de s’en servir comme arme de guerre pour changer les règles du jeu. Les choses sont évidemment très limpides : déclarer qu’en cas de victoire électorale il sera proposé à l’Allemagne de mettre fin à l’indépendance de la Banque centrale, c’est entrer dans un combat clair qui l’empêchera de fuir : accepter la proposition française au prix du renoncement à l’ordo- libéralisme , ou quitter le terrain de jeu et accepter la responsabilité politique de la fin de la zone euro. La France n’a aucun intérêt à conserver la « patate chaude », et les acteurs politiques non compradores doivent courageusement et durablement la céder à l’Allemagne qui doit légitimement et moralement supporter l’intégralité des conséquences de son carcan idéologique.

Si l’on se place dans le scénario d’une victoire de forces politiques non compradores en France en 2017, victoire associée au refus de l’Allemagne de toute modification du statut de la BCE, il est clair que l’on se dirige vers un rétablissement des taux de change….à l’échelle de l’Europe toute entière à l’exception probable d’un « groupe Mark ».

 Le rétablissement des taux de change peut ne pas être ruineux....

Au-delà du protocole technique qui ne soulève guère de problèmes (maintien du système des prix internes par définition d’une unité de compte ayant valeur légale et correspondant à un euro, surcharge d’un tampon sur chaque billet avant impression de nouveaux billets par la Banque Centrale nationale, échange rapide des pièces, etc..), une garantie juridique est promulguée par le ou les dirigeants politiques ayant pris la décision : garantie portant sur le maintien nominal de la valeur de tous les actifs au moment où est prise la décision.

La prise de décision vaut par conséquent gel de toutes les positions et peut-être fermeture momentanée de la Bourse et des banques. Il est par ailleurs évident que décision de sortie et décision de garantie publique se trouvent dans le même acte juridique. C'est dire que les pays pouvant procéder de manière autoritaire, par simple ordonnance de l’exécutif, disposent d’un avantage. Ce qui pose la question du déclenchement de la panique dans les pays qui ne peuvent agir ou réagir avec la célérité qui s’impose.

La garantie de la valeur nominale suppose la définition d’un point fixe qui n’est autre que la définition de la nouvelle parité, laquelle doit être déclarée intangible bien au-delà de la période de temps nécessaire à une réorganisation générale aux effets neutres sur tous les bilans et contrats. Le champ de la garantie offerte à tous les agents économiques du pays sortant concerne les détenteurs d’actifs étrangers : ménages, entreprises, institutions financières, Etat lui-même. Il s’étend aussi aux non-résidents et étrangers détenteurs d’actifs nationaux.

La notion d’actif doit aussi être précisée. Il s’agit bien sûr de tous les titres financiers : actions, obligations privées et publiques, produits structurés, produits d’épargne et comptes bancaires, etc. Pour ces titres la garantie repose sur la seule variation (perte ou gain) mécanique de valeur, calculée sur la base du nouveau taux de change. La valeur sur laquelle s’applique le nouveau taux étant celle correspondant à l’heure fixée dans l’acte juridique de décision de sortie. Mais il s’agit aussi de tous les contrats de l’économie réelle et ce, y compris, les contrats de travail des travailleurs frontaliers.

La garantie publique est le point fixe qui se substitue à l’Euro, une sorte de SAS permettant le passage d’une zone où les taux de change ne sont pas maitrisés vers une zone où ces mêmes taux sont politiquement définis. La garantie publique du respect des contrats signifie que, si les agents économiques du pays sortant ne peuvent perdre, ils ne peuvent davantage gagner. A titre d’exemple, si des français titulaires de contrats d’assurance-vie incorporant des titres publics grecs ne peuvent être victimes du rétablissement de la Drachme, ces mêmes français titulaires de contrats semblables incorporant de la dette publique allemande ne peuvent bénéficier du rétablissement du Mark. La garantie correspond donc bien à la volonté de neutralité sur les bilans des agents vis-à-vis d’une sortie de l’Euro. Et cette neutralité est bien ce qui interdit tout mouvement spéculatif. Le déclenchement des CDS est lui-même interdit en ce que la sortie ainsi envisagée n’est en aucune façon un « incident de crédit ».

Un helicopter money maitrisé par le souverain....

Le respect intégral et rigoureux des contrats ne peut évidemment s’établir par une compensation directe entre gagnants et perdants. Il faut par conséquent trouver un tiers chargé d’assurer le passage de l’ancien au nouveau monde, si possible sans destruction du projet européen. Il faut en effet avoir en tête l’énorme effet destructif d’une explosion non contrôlée de l’Euro. Dès lors, la solution qui s’impose est le recours aux banques centrales nationales qui sont réquisitionnées dès l’annonce de la sortie. Et pour un travail d’importance car il faut se rendre compte que pour un pays comme la France l’empilement des actifs et dettes externes des entreprises, des banques et de l’Etat représente en 2016 620% du PIB[4]. Si donc La France devait dévaluer sa monnaie de 20%, nous sommes en présence d’un redéploiement approximativement égal au PIB du pays – environ 22OO milliards d’euros- ce qui est proprement colossal. C’est la raison pour laquelle une garantie publique s’impose.

La procédure est donc simple : Pour les pays qui quittent la zone en dévaluant, l’ordonnance de réquisition stipule que la Banque centrale de l’Etat sortant, crédite le compte du Trésor correspondant, à hauteur des engagements de ce dernier au titre de la garantie du respect de tous les contrats. Les fonctionnaires du Trésor fixent le montant des dédommagements et ordonnent à la Banque les paiements correspondants. Le cas échéant des magistrats et commissaires au compte attestent de la bonne exécution des garanties. L’unité de compte retenue pour le dédommagement peut être la nouvelle monnaie nationale. Ainsi l’exportateur allemand de marchandises vers la Grèce – si ce dernier pays quitte la zone- se voit payé par son client dans la monnaie dont il dispose, auquel il faut ajouter le prix de la dévaluation, prix exprimé en Drachmes, et au final supporté par la Banque centrale de Grèce. Toujours s’il s’agit d’une sortie grecque, La Société Générale voit, à l’actif de son bilan, ses obligations publiques grecques transformées en drachmes, valeurs augmentées du montant de la dévaluation. On pourrait multiplier les exemples. Bien évidemment s’élèvent d’immenses balances en Drachmes que le dispositif « Target 2 » cachait  difficilement. Il faut donc imaginer que ces balances en Drachmes sont acheminées vers les Banques centrales des Etats correspondants (dans notre exemple celle d’Allemagne pour l’exportateur allemand, et de France pour la Société Générale) et transformées en nouvelles monnaies nationales.

 

Au final la monnaie émise (dont la quantité est égale au produit de la dévaluation par le total des engagements) se trouve stockée dans les pays qui sont dans une situation favorable : peu ou pas de dévaluation, peu de dette extérieure, dette publique faible ou nationalisée. De quoi provoquer une hausse des prix plus rapide que dans les pays ayant massivement monétisés. Le dispositif, retenu, sans doute trop brièvement exposé, et ne réglant pas toutes les situations (comment traiter les CDS même s’il n’y a pas juridiquement « accident de crédit » ?) évacue complètement l’idée de défaut, de soutien au système bancaire, de surveillance des spreads de taux etc.

Quitter la monnaie unique pour reconstruire.....

La réanimation de l'outil " taux de change " constitue bien sûr un avantage puisque les dévaluations externes sont en théorie autrement plus efficaces que les dévaluations internes.

A l'inverse de la dévaluation interne, tous les prix sont affectés par le changement de parité et la demande interne n'est affectée négativement que si les importations - en supposant que les exportateurs étrangers ne changent pas leurs politiques de prix - sont incompressibles, soit une élasticité nulle. En revanche, la hausse de la demande externe est infiniment plus probable. La France est concernée par cette hausse de la demande externe dans la mesure où elle se situe dans des productions moyennes assez sensibles aux prix. Sa demande interne est aussi assez bien concernée par une modification de parité car elle importe davantage pour consommer que pour produire.

De ceci, il résulte que la dévaluation par réintroduction d'un taux de change, correspond à la mise en place d'un processus infiniment préférable à la dévaluation interne. En la matière, tout dépendra de la valeur des élasticités prix des importations et des exportations, ce qui nous renvoie au théorème dit des "élasticités critiques" de Marshall-Lerner. Et ce processus est en principe le retour de la croissance puisque les demandes aussi bien interne qu'externe peuvent logiquement augmenter.

Ce jugement doit pourtant être nuancé.

Tout d'abord, il convient d'introduire dans le raisonnement, des coûts de risque de change que l'euro avait fait disparaitre. Il est possible d'en diminuer l'importance en adoptant des taux de change fixes. Il n'est toutefois pas possible de les faire disparaitre. Ces coûts resteront proportionnels à la longueur des chaines de valeur et impulseront peut-être sa réduction et donc un processus de relocalisation pour les pays qui dévalueront. Un tel processus ne s'enclenche que dans la durée et ne produit pas de résultats immédiats.

En second lieu, l'élasticité prix de la demande d'importations peut entrainer un effet revenu négatif comprimant la demande interne. C'est le cas lorsque la dévaluation entraine une hausse des valeurs importées (pétrole). Auquel cas la demande interne entraine la chute du PIB, chute qui ne peut être compensée que par une forte élasticité prix des exportations.

En supposant qu'il n'existe pas d'effet revenu négatif, la hausse de la demande interne peut toutefois être bloquée par une inélasticité de l’offre : la non substituabilité des importations par des productions nationales s'expliquant par l'impossibilité de produire localement[5]. C'est malheureusement la situation présente, notamment pour la France : les biens importés peuvent techniquement être substitués par des productions domestiques en cas de dévaluation. Malheureusement des décennies de désindustrialisation ont fait table rase de compétences techniques et de savoirs faire, voire même d'outils de formation, capital qui exige de nombreuses années pour se reconstituer.

Une autre difficulté résulte du risque de guerre des monnaies. Les dévaluations internes étaient non coopératives et développaient des externalités : l'exportation possible du chômage. Les dévaluations externes ne le sont pas moins. L'ensemble de la zone euro dispose d'un Excédent de 2,6% de son PIB avec un euro dont le taux de change est probablement plus élevé que la moyenne des taux qui se formerait sur la base des anciennes monnaies reconstituées. C'est dire que l'excédent global pourrait s'élever davantage encore et gêner les pays émergents. C'est dire aussi qu'au-delà de possibles guerres des monnaies à l'intérieur de l'ex-zone, une réelle guerre des monnaies peut se matérialiser avec des nations (Chine en particulier) qui, jusqu'à présent, disposaient de solides possibilités exportatrices au regard de pays du sud (Grèce, Italie, Portugal, Espagne, etc.)

La fin de l'euro c'est assurément la fin des politiques suicidaires et donc la fin du processus menant à la ruine de l’actuel projet européen. Elle n'est pourtant pas un bond en avant automatique.

Miser sur un ordre monétaire respectueux des nations….

La zone euro est encore aujourd'hui un modèle réduit de mondialisation malheureuse : une offre potentielle excède une demande muselée par les politiques de dévaluation interne. D'où un surplus exportable et une demande qui, tout en étant muselée, est artificiellement gonflée par la croissance de la dette .

La mondialisation vit encore sur ce modèle initié dans les années 70 du siècle dernier. A l'époque, il s'agissait de délocaliser des productions comme solution aux premières formes d'un fordisme déclinant. Les gains de productivité qui s'affaissaient étaient compensés par la dévaluation du travail : les salaires des pays périphériques étaient autrement avantageux que ceux du centre. Les débouchés des implantations délocalisées n'étaient pas locales et correspondaient à des exportations vers le centre : la fameuse alliance de Wal-Mart et du parti communiste chinois. Simultanément, centre et périphérie devaient contenir les salaires : le centre pour ne pas être envahi, et la périphérie pour rester compétitive alors que le poids et le nombre de ses acteurs en concurrence entre-eux n’a cessé de s'élargir.

La mondialisation devenait ainsi "malheureuse" en ce qu'elle allait correspondre à un déséquilibre croissant entre offre et demande globale, déséquilibre masqué par une montée des dettes publiques et privées plus spécifiquement au centre.

La zone euro toute entière est ainsi devenue le modèle réduit de cette mondialisation malheureuse avec une Allemagne devenue Chine de l'Europe en raison de son surplus exportable et donc de sa demande interne très insuffisante, et un sud, dont la France, jouant le rôle des USA importateurs.

La disparition de l'Euro ferait peut-être disparaitre le modèle réduit de mondialisation malheureuse mais ne ferait pas disparaitre le modèle global. Et si d'aventure le surplus exportable de ce qui serait devenu l'ex-zone euro devait s'accroitre en raison des dévaluations externes, la situation deviendrait insupportable pour l'ex- périphérie devenue ensemble de pays émergents connaissant toujours une demande interne largement insuffisante. Clairement l'euro leur permettait de ne point dévaluer. Sa disparition est donc  la possible naissance d'une guerre mondiale des monnaies dont l'origine repose sur une demande mondiale inférieure à l'offre.

La disparition de l'euro militerait ainsi pour un nouvel ordre monétaire basé sur un principe général de coopération et non de concurrence entre les nations. Une coopération visant à la recherche d'un équilibre extérieur de chaque nation. Cela passe bien sûr par un contrôle politique négocié des parités et la fin du processus de privatisation des monnaies commencé dans les années 70 du siècle dernier.

En finir avec l'euro c'est aussi la possibilité et la tentation de soustraire les monnaies à l'empire mondial de la finance. C'est aussi le possible rétablissement des souverainetés disparues avec la privatisation des monnaies[6] . C'est enfin le possible cheminement vers une forme renouvelée de l'Etat-Nation.

C'est en conséquence le possible rétablissement d'une démocratie confisquée. Un mouvement dont le cheminement et les contours sont encore difficiles à imaginer aujourd'hui.

.....Mais miser aussi massivement sur l’industrie

S’agissant de la France, la fin de l’euro, certes avec les difficultés sus visées, serait le point de départ à d’une authentique réindustrialisation du pays, réindustrialisation sous l’égide d’un Etat qui impulse et qui coordonne. On sait en effet que le taux de change imposé par l’euro fut particulièrement catastrophique pour l’industrie française laquelle fut la plus touchée par le phénomène de désindustrialisation qui a affecté tous les pays de la zone à l’exception de l’Allemagne.

 La fin de l’indépendance de la banque centrale et la possibilité de rè-initier l’équivalent de ce qui fut naguère le circuit du Trésor, permettraient le retour d’investissements massifs vers le cœur de l’industrie, c’est-à-dire l’ensemble des industries militaires, spatiales, aéronautiques, du transport et de l’énergie, auxquelles il faudrait ajouter aujourd’hui celles liées à l’environnement. Parce que ces branches sont le cœur de la Recherche/Développement d’un pays, qu’elles apportent l’essentiel des gains de productivité, et qu’elles sont aussi la pièce centrale de ses exportations, elles doivent recevoir la priorité des investissements engendrés par la nouvelle souveraineté monétaire.

 


[1] http://institutdeslibertes.org/wp-content/uploads/2015/09/IDL-Transfert.png

[2] http://www.lacrisedesannees2010.com/2016/04/gestion-de-l-euro-l-helicopter-money-peut-il-remplacer-le-necessaire-deversement-des-excedents-allemands-vers-le-sud-il-est-inutile

[3] On trouvera un bon exposé du circuit du Trésor chez Benjamin Lemoine : « l’ordre de la dette ; enquête sur les infortunes de l’Etat et la prospérité du marché », La Découverte, mars 2016.

[4] Natixis : http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=90392

[5] C’est globalement le point de vue des économistes de Natixis pour qui les taux de change dans un monde de très fort émiettement des chaines de la valeur n’ont plus qu’une opérationnalité limitée.

[6] Curieusement la Suisse avec son projet très spécifique et très doux « d’helicopter money » appelé « ration monétaire »st un pays qui réfléchit beaucoup à cette fin de privatisation des monnaies. Cf l’article de Michaël Malquarti : « La Suisse, pionnière de la monnaie par hélicoptère » dans Le Monde du 27 avril 20016.

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9 mai 2016 1 09 /05 /mai /2016 15:08

 

Il est maintenant unanimement accepté qu’il existe sur l’ensemble du monde une offre d’épargne largement supérieure à la demande d’investissements[1]. Cet excédent récurrent depuis le début du siècle est la première cause d’un affaissement progressif des taux de l’intérêt. Mais il est aussi la marque d’un déséquilibre plus fondamental entre offre globale et demande globale, et si l’incitation à investir est devenue si faible, c’est en raison de débouchés limités par le freinage des salaires.

Une hausse coordonnée et planétaire des salaires est pourtant impensable en mondialisation en raison de la liberté de circulation des marchandises et des capitaux qui font que les salaires ne sont plus un débouché fondamental mais seulement un coût[2]. La mondialisation se nourrissant de différences, la régulation d’ensemble s’est dans un premier temps manifestée par une hausse de l’endettement privé et public : ce fut le cas américain avec un achat de dette publique par une Chine excédentaire, mais aussi le cas français qui va par endettement venir combler les charges sur salaires devenues inadaptées au nouvel ordre du monde. Et ce fut aussi le cas de nombreux pays où la spéculation immobilière est venue nourrir une dette privée censée abonder des rémunérations jugées insuffisantes.

Plus on mondialise et plus le divorce fondamental entre offre et demande se renforce, et plus un excédent d’épargne viendra nourrir une dette publique ne passant plus par un investissement croissant, lequel venant nourrir une croissance qui ne sera plus celle des trente glorieuses. Le maintien relatif de cette dernière se fera sur la base de l’explosion des dettes publiques : la croissance très rapide de la Chine suppose celle des dettes publiques occidentales. Et à l’intérieur de ce modèle réduit de mondialisation que sera la zone euro, les croissances des pays périphériques seront le produit d’une véritable explosion des dettes privées et publiques (Espagne, France, Grèce, etc.)

C’est cette explosion qui a fait naitre en Europe ce que l’on a appelé la crise de la dette avec en particulier la montée des taux d’intérêt.

Les modalité concrêtes de construction de l’Euro ont interdit et interdisent encore toute forme de fédéralisme et ont débouché sous la houlette de l’Allemagne vers le développement de politiques de rigueur.

Les effets dépressifs de ces politiques se devaient d’être compensés par des politiques monétaires d’un type nouveau ce qu’on a appelé le QE déjà utilisé aux USA. De fait, l’objectif n’était pas une compensation de la rigueur économique mais un soutien au système bancaire et aux Etats victimes de taux insupportables, soutien permettant lui-même de renouer avec le financement des investissements.

Le bilan des QE se révèle aujourd’hui très limité[3]. Si l’explosion des dettes privées et publiques compensaient plus ou moins des salaires qui ne suivaient pas la croissance (cas américain) elles semblaient plus efficaces en Europe du sud où les salaires ont rapidement augmenté aves la naissance de la zone euro. D’où des forces dépressives plus importantes avec l’irruption des politiques d’austérité. D’où un QE bienvenu mais seulement compensateur des effets dépressifs, et donc ne venant pas résoudre durablement la question des débouchés des investissements potentiels.

Parce que le QE ne vient pas directement impacter l’équilibre macro-économique par une hausse directe de la demande globale , il n’augmente pas l’incitation à investir malgré des taux directeurs historiquement très faibles. De ce point de vue, la zone euro ne peut que stagner  sur un parking à l’écart de la croissance. Le QE ne fait que calmer la spéculation sur les spreads de taux , il ne débouche pas sur une dynamique d’investissements et de salaires. Le QE n’est donc pas en prise directe sur l’économie réelle.

« L’Helicopter money » (HM) évoqué par le président de la BCE sera-t-il en prise directe et si oui à quel prix ?[4]

Au-delà de sa répartition entre pays, la question est de savoir quelle est la modalité la plus efficiente : Investissements, ou « for the people » c’est-à-dire la consommation des ménages ?

Si effectivement les banques centrales deviennent organisatrices, directement ou indirectement,  de la distribution des dons ou crédits, nous nous heurtons à la question de l’éloignement du marché quant à la sélection et le périmètre  des projets. Très vaste débat que l’ultralibéralisme avait cru pouvoir régler  il y a bien longtemps. Rappelons les antiques polémiques entre Lerner, Lange et Dickinson d’un côté et Mises et Hayek de l’autre : Même si l’on est favorable à une économie de marché , ce dernier n’est pas un lieu d’ajustement passif (ce que pensaient les premiers) , mais un processus de création, lieu de toutes les innovations (ce que pensaient les seconds). Et de ce point de vue il est vrai que le choix loin du marché (règlement) brise l’innovation[5] On peut aussi se poser des questions plus juridiques : que devient le droit de la concurrence sur lequel s’appuie nombre de décisions européennes ?

Si maintenant, les banques centrales distribuent directement ou indirectement des revenus complémentaires aux ménages, il n’est pas sûr que l’on aboutisse à un schéma macroéconomique vertueux : Les ménages grecs importeront davantage et l’effet sur l’investissement porteur d’emplois se fera attendre….sauf si l’on renonce à la concurrence libre et non faussée…..ce qui réintroduit le règlement au détriment du marché….

Investissement ou consommation,  le HM est porteur d’un changement de paradigme.

Et si l’on raisonne aux limites, on peut très bien imaginer un HM « portant » l’intégralité de la masse salariale : A la banque centrale de supporter le coût du travail et à l’entreprise de bénéficier d’un surprofit équivalent à la masse salariale. Cela signifierait probablement une hausse des prix mais surtout une inflation sur les actifs car la masse salariale n’ayant pas augmenté les débouchés, les profits se trouvent moins dans l’investissement que dans la spéculation. D’où là aussi une question concernant la justification d’une intervention publique.

Le raisonnement aux limites ne fait que confirmer le changement de paradigme. Parce que la mondialisation qualifiée probablement à tort d’ultralibérale débouche sur la vieille question de l’incitation à investir, elle se heurte au mur de la tendance mondiale à la stagnation[6]. Sans doute faudra-il un jour passer par le HM, particulièrement en Europe, mais il faut se rendre compte qu’un tel passage se fera dans la douleur des résistants du libéralisme en vigueur. Et pas simplement dans la seule zone euro.

 


 

[1] Ce que Mario Draghi vient de rappeler le 2 mai dernier dans son discours à Francfort.

[2] Cf http://www.lacrisedesannees2010.com/2015/08/l-intensification-de-la-crise-planetaire-de-surproduction.html. Cf également : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-mir-acles-de-l-offre-competitive-et-aggravation-de-la-crise-planetaire-de-surproduction-123382311.html

[3] Cf : http://www.lacrisedesannees2010.com/2016/04/questions-autour-de-l-euro-qe-helicopter-money-ou-reconstruire-le-circuit-du-tresor.html

[4] On aura une vue globale du HM en consultant : http://www.lacrisedesannees2010.com/2016/04/gestion-de-l-euro-l-helicopter-money-peut-il-remplacer-le-necessaire-deversement-des-excedents-allemands-vers-le-sud-il-est-inutile

[5] Sans revenir aux fondamentaux de la théorie on pourra lire le très court article de Sofiane Aboura dans les Echos du 9 mai : « Gouvernement ou marché : qui gère le mieux l’économie ? ». l’auteur s’amuse ainsi à montrer que la cigarette électronique est une innovation de marché autrement efficace que la lutte contre le tabagisme…..il reste à démontrer que la gestion  d’EDF est plus satisfaisante depuis son immersion dans le marché… ce que beaucoup récusent ( cf Notamment Rémy Prudhomme)

[6] Keynes s’est longuement penché sur la question de l’incitation à investir. Il pensait toutefois que la répression financière, l’euthanasie des rentiers et des taux faibles permettraient de restaurer l’incitation à investir. C’était vrai dans un monde plus ou moins fermé. Ce n’est plus le cas dans la présente forme de mondialisation.

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