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22 février 2024 4 22 /02 /février /2024 15:15

A plusieurs reprises, nous nous sommes interrogés sur la réalité de l’industrie financière et en particulier de sa corrélation entre l’importance considérable de la dette publique et la démesure de la finance[1].

La présente note se propose d’aller un peu plus loin à un moment où s’agissant de la France, le budget de l’Etat doit être rapidement corrigé en raison d’un creusement de déficit qui serait impulsé par un défaut de croissance[2].

La couverture du déficit et de la dette correspondante se déroule, en France comme ailleurs, par le biais d’un accord contractuel entre une agence (l’Agence France Trésor chez nous) et des institutions bancaires ou financières. Ces dernières deviennent en quelque sorte des organisatrices du marché de la dette publique. Appelées « dealers » aux USA, elles sont « SVT » (spécialistes en valeurs du Trésor) en France.

Les effets premiers de toute levée de dette publique.

Au terme d’une adjudication dans laquelle elles sont engagées, (2% minimum du capital de dette levée pour chacune des 15 SVT pour la France) le compte du Trésor à la banque centrale est crédité du montant de dette souscrite, tandis que les comptes des banques acheteuses à cette même banque centrale sont débités pour un même montant. Globalement au terme de l’opération, le total du bilan de la Banque centrale est inchangé. Ce qui change est bien évidemment la liquidité du Trésor qui se trouve améliorée au titre de la mise œuvre de ses différentes opérations de dépenses, mais aussi à l’endroit de toutes les banques et donc pas seulement les SVT qui ont participé à l’adjudication. Ces banques et autres institutions financières ont pu participer aux enchères concernant la vente de bons du Trésor soit à partir d’une épargne figurant au passif de leur bilan, soit par simple création monétaire, soit par le recours à de la dette : une institution financière peut en effet s’endetter pour acheter des bons du Trésor. Les effets premiers laissent donc fermer le robinet de la création monétaire par la banque centrale. Quant à la dette nouvelle, cette dernière est soit financée par une épargne soit classiquement, par la création de monnaie de banque.

Des effets secondaires

Les choses peuvent rapidement se complexifier.

Une première complexification est que la dette publique nouvelle serve au remboursement de bons arrivés à échéance (environ 50% des adjudications en France aujourd’hui). C’est dire que plus l’endettement passé est lourd,  plus il faut alourdir la nouvelle dette.

Une seconde complexification est que la dette fait l’objet d’une cotation en continue et donc se trouve soumise à la spéculation. Ainsi chaque mois se trouve brassé sur la seule dette américaine, un peu plus du total du PIB des Etats-Unis. [3] C’est dire que l’on trouve un très grand nombre d’acteurs qui ne sont nullement engagés sur le terme de la dette mais sont davantage intéressés par des fluctuations de prix. D’où des prises de risques, toujours selon les autorités américaines, allant jusqu’à 55 fois la mise de départ. Cette complexification entraîne d’autres risques tel celui de la formation d’un spread de taux au regard de dettes publiques concurrentes.

Une troisième complexification est celui de la revente immédiate à la banque centrale de tout ou partie des titres achetés. Cette revente se matérialise de la façon suivante : les comptes des banques à la banque centrale sont crédités des montants cédés à cette dernière. Le passif et l’actif de la banque centrale augmentent et donc le bilan s’alourdit ce qui correspond à une création monétaire par la banque centrale. Le robinet de monnaie centrale est ouvert.

Des effets de troisième ordre.

La revente à la banque centrale rétablit la liquidité bancaire et les établissements correspondants peuvent mobiliser leur compte à la banque centrale pour se livrer à de nouvelles opérations. Dans le même temps, le flux des dépenses publiques augmenté de la dette nouvelle se retrouve au passif des banques (l’endettement nouveau du secteur public est aussi un excédent nouveau pour le secteur privé). Au final, l’aisance des banques s’accroit du montant de la dette nouvelle et leur potentiel de création monétaire se gonfle. A ce niveau, une interrogation et des choix doivent s’opérer :

- « La surliquidité choisit l’économie » : Si le mouvement des affaires laisse espérer une rentabilité supérieure par le canal de l’investissement dans l’économie réelle (par exemple l’achat d’une nouvelle machine dans une PME), la nouvelle liquidité bancaire sera affectée à des projets porteurs de valeur ajoutée dans l’économie réelle. Dans ce cas et quel que soit le lieu de l’investissement, un retour réel sous forme de valeur ajoutée est envisageable.

- « La surliquidité choisit la finance » : Si, inversement, le champ de la spéculation s’élargit et laisse espérer une meilleure rentabilité que dans l’économie réelle, la nouvelle liquidité prendra le chemin de la seule finance. L’élargissement est d’abord la financiarisation de toutes les activités avec la transformation de toutes les marchandises, (y compris les « marchandises financières telles les actions,  produits dérivés, etc.) en « réceptacles » financiers (ce qu’on appelle le sous-jacent). Toutes les marchandises de l’économie réelle peuvent aujourd’hui devenir des réceptacles : toutes les matières premières, tous les produits de l’agriculture, tout l’immobilier, etc. On pourra même financiariser des marchandises irréelles en développant et en institutionnalisant (« Coinbase » par exemple) la spéculation sur les cryptos. Constatons que l’élargissement correspond aussi à une création continue de nouveaux marchés sur lesquels les outils spéculatifs peuvent s’aiguiser et se perfectionner. Les gains de productivité si courants dans l’économie réelle, peuvent devenir des gains de productivité financière uniquement tournés sur des paris concernant la fluctuation des prix. Concrètement, le Trading automatique peut en théorie améliorer la production de valeur comme le ferait le développement de robots sur des chaînes d’assemblages de voitures. Il s'agit au fond de réduire le temps, celui de l'information côté finance, celui de le production côté industrie. La question est pourtant de savoir s’il s’agit d’une valeur ajoutée réelle. Nous y reviendrons.

- Le scénario du choix de la finance domine celui de l’économie : S’agissant du choix fondamental entre « paris sur fluctuations de prix » (spéculation) et investissement réel, on constate qu’Il est plus facile d’acheter des actifs existants que d’investir sur des actifs en voie de construction, et donc on peut comprendre que les institutions financières gorgées de liquidités se tournent de plus en plus vers la finance et moins vers l’industrie. Et de ce point de vue, utiliser la surliquidité des banques en achetant des actions ou obligations d’entreprises industrielles ne signifie pas nécessairement un investissement réel mais simple pari. Cela concerne notamment le financement des start-up de la tech. Cela signifie que la surliquidité résultant d’un déficit public monétisé par la banque centrale doit logiquement cohabiter avec une bonne tenue des cours boursiers. C’est bien ce que nous constatons concrètement. Avec parfois l’étonnement –proprement inattendu- des économistes : pourquoi de telles performances sur les marchés alors que la croissance économique réelle reste si modeste ?

Résultats

1 - Un patrimoine inarticulé à la richesse : Parmi les produits financiers qui se développent le plus vite nous trouvons les actifs immobiliers figurant sous la forme d’actions ou d’obligations. Ainsi le capitalisme de la gestion d’actifs immobiliers a vu ses encours doubler depuis 2008. Il représente aujourd’hui, à l’échelle mondiale, près de 11000 milliards d’euros. S’agissant de la seule France, la surliquidité bancaire s’est aussi largement orientée vers la finance immobilière avec un encours de gestion de 365 milliards d’euros, soit une hausse de 80% sur une dizaine d’années pourtant marquées par une faible croissance économique globale. L’oligopole financier correspondant détiendrait ainsi plus de 30% du patrimoine immobilier d’entreprise et 50% de celui de Paris.

Pour autant, il ne s’agit probablement pas d’une rente injustifiée puisque que nous sommes, dans ce cas de figure, dans un investissement de l’économie réelle. Simplement, la surliquidité favorise la financiarisation et une élévation des cours du patrimoine correspondant. La surliquidité ne débouche pas sur de la richesse matérielle supplémentaire mais plus probablement sur un effet de creusement des inégalités : La surliquidité se trouve davantage sur les comptes bancaires d’agents fortunés ou aisés et cette surliquidité crée une hausse de prix d’une masse de richesses restées inchangées.

Au total le premier effet de l’ouverture du robinet monétaire de la banque centrale, faisant suite à l’augmentation d’un déficit budgétaire, est de constater un effet prix qui n’est pas la conséquence d’une augmentation de la richesse.

2 - L’aventureuse couverture des risques : Mais, le véritable problème de la financiarisation facilitée par la politique de monétisation d’un déficit budgétaire se situe plus particulièrement au niveau de la spéculation concernant la couverture des risques. A ce niveau, on constate empiriquement que les risques de taux de change ou de taux d’intérêt, voire plus encore aujourd’hui de prix de tous les intrants sont un vrai problème pour l’économie réelle. Que l’on soit producteur, exportateur, importateur, investisseur, voire simple ménage, les modifications de taux ou de prix[JW1]   - souvent peu prévisibles - sont un risque majeur pour les acteurs du jeu économique. Depuis très longtemps et bien avant la monétisation des dettes publiques, la finance était traditionnellement une industrie assurantielle contre ce type de risques. Bien évidemment, l’ouverture du robinet de monnaie banque centrale élargit considérablement la puissance de l’industrie financière. La monnaie centrale, au terme d’un périple initié par la dette lancée par les autorités publiques, devient la matière première essentielle au développement de son activité.

Rappelons en effet le schéma : nouveau déficit -> achat de dette par les banques -> rachat de la dette par la banque centrale-> surliquidité bancaire (la nouvelle dépense publique se trouve sur des comptes bancaires) -> financiarisation accrue -> spéculation généralisée.

 Retenons toutefois que la couverture des risques n’est qu’un pari qui ne fait jamais disparaître le risque lui-même.  Ce qui signifie que l’achat d’une protection n’est que le transfert d’un risque. Prenons une situation concrète pour mieux comprendre. Par contrat avec une banque, je me couvre contre par exemple une modification de taux de change, mais la banque qui accepte cette opération doit elle -même se couvrir contre le risque qu’elle prend en acceptant un tel contrat… d’où une chaîne sans fin qui explique le gigantisme financier. D’où un effet considérablement multiplicateur du robinet de monnaie centrale sur des marchés qui deviennent démesurés : 7000 milliards de dollars au quotidien sur le seul marché des changes, près de 1000 milliards de dollars au quotidien pour le seul marché de la dette publique américaine, 250 milliards de dollars au quotidien, pour les seules transactions financières sur le seul pétole brut, etc.  Des chiffres qui dépassent, au quotidien, de plusieurs dizaines de fois le total du PIB planétaire… Tout cela au nom de la couverture des risques…induits par l’activité économique de base. Finalement, toute une activité complètement irréelle qui mobilise des dizaines de millions de cadres et spécialistes très compétents à l’échelle de la planète. Les économistes devraient à ce niveau tenter de réfléchir sur le coût d’opportunité de ce marché du risque. Ainsi la valeur gagnée par les acteurs de la couverture est-elle réellement supérieure à la valeur perdue dans une économie réelle qui serait dépourvue de ces instruments de couverture ?  

Nous ne répondrons pas à cette question. Par contre, nous nous contenterons d’en poser une autre en tentant de comparer les actuelles institutions de la dette publique avec celles que nous avons si souvent évoquées[4]. Pourquoi les Etats doivent-ils être des interdits bancaires alors qu’ils pourraient, sous contrôle démocratique, retrouver leur pleine souveraineté sur la monnaie et donner des ordres correspondants à des banques centrales censées devenir raisonnablement obéissantes ? Pourquoi s’endetter en s’interdisant de créer de la monnaie et   en confiant la clé de cette création à une banque centrale dite indépendante ? Une institution qui sera incapable de faire en sorte que la-dite création se déploie dans l’économie réelle et se contentera de rester simple spectatrice d’un tsunami financier porteur d’inégalités croissantes entre les acteurs du jeu économique. Oui, l’économie va mal, oui l’économie réelle se trouve de plus en plus incapable de payer la dette…mais la finance se porte très bien. Simple corrélation ou lien causal ? Au lecteur de découvrir. Peut-être en tentant d’aller au-delà des très nombreux   bavardages actuels   impulsés par l’état des finances publiques de tout l’Occident.

                                                                                                       Jean - Claude Werrebrouck le 21/02/2024.


[1] Voir notamment : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-la-finance-n-est-pas-le-casino-quoique-59764126.html

[2] Le ministre des finances annonce le 18 février une réduction de la croissance pour 2024 (passage de 1,4 à 1% de croissance). Il s’agir encore d’un scénario optimiste qui toutefois entraîne une baisse de 10 milliards d’euros des dépenses programmées.

[3] 904 milliards de dollars chaque jour du mois de janvier 2024 selon la Sifma (Securities industry and financial Markets)


 [JW1]

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21 décembre 2023 4 21 /12 /décembre /2023 14:48

L’Etat est une entreprise qui achète et vend comme toute entreprise. Il achète des matières premières, de la force de travail (fonctionnaires) et vend ce qu’il produit (des services publics à prix nuls). Heureusement pour lui il peut couvrir tout ou partie de ses coûts par des subventions appelées impôts.

Il peut aussi être ambitieux, se livrer à de forts investissements et s’endetter, ce qui ne le distingue guère des entreprises qui elles aussi s’endettent. Cette opération est tout simplement un achat de monnaie sur le marché de la monnaie. Si les entreprises pouvaient fabriquer de la monnaie elles n’auraient pas à s’endetter et, probablement, elles  seraient grandement insouciantes vis-à-vis de la gestion. Très vite on produirait plus de monnaie que de marchandises et l’affaire se terminerait par une gigantesque inflation. Les entreprises elles- mêmes disparaitraient vite du paysage.

Des Etats qui vont perdre leur code génétique...

Les Etats à l’inverse des entreprises furent historiquement des créateurs de monnaies, privilège longtemps conservé et partiellement abandonné. De ce privilège il ne reste plus que le pouvoir de définir une base monétaire et assurer un cours légal : la monnaie légale en France est l’euro et tout le monde est obligé de l’accepter. Le pouvoir de création lui étant retiré, l’Etat ressemble de plus en plus à une entreprise, et s’il veut comme les entreprises dépenser plus qu’il ne gagne, il lui faudra s’endetter…en ayant recours au marché de la monnaie. Finalement l’Etat d’aujourd’hui ressemble bien à une entreprise : il est au moins pour ce qu’on appelle la dette, enkysté dans le marché. A ce titre il se trouve surveillé comme toutes les entreprises par la finance, ce que chacun peut constater avec les peurs gouvernementales concernant les décisions des sourcilleuses agences de notation.

Jadis, lorsqu’il a émergé dans l’histoire de l’humanité, l’Etat n’était pas enkysté dans une économie qui n’existait pas, et la monnaie qu’il allait inventer n’avait rien d’une marchandise. A l’époque, l’Etat était une stricte entreprise politique et s’il s’est mis à fabriquer de la monnaie c’est essentiellement pour couvrir les charges de la guerre au regard d’autres Etats. Cette monnaie fut très rapidement du métal accepté par tous, y compris ses ennemis et les mercenaires qu’il engageait dans la guerre. Simultanément, cette monnaie métallique étant issue de mines toujours trop rares, il lui fallait un moyen de récupérer tout ou partie de la masse métallique par le bais d’une fiscalité qu’il fallait là aussi inventer. Nous avons déjà là le circuit du Trésor qui sera remis au gout du jour au vingtième siècle. Au final l’Etat n’avait pas comme aujourd’hui besoin d’acheter une monnaie qu’il produisait. Avec toutefois une réelle contrainte : sa capacité à dépenser était limitée à sa capacité à produire du métal... ou à augmenter la pression fiscale. Au-delà, on entrait dans la dette ce qui fut historiquement le cas. D’où les fameux mercantilismes à partir du 16ième siècle en Europe et déjà une dépendance vis -à -vis d’une finance en voie d’épanouissement.

Avec la fin de l’or et l’avènement d’une monnaie fiduciaire inconvertible en métal il aurait été possible pour l’Etat de retrouver sa vie de jadis avec au surplus l’absence de limite à sa capacité créatrice de monnaie. Curieusement, c’est au moment où l’Etat se libère du métal qu’il va s’enkyster dans un marché de la monnaie. Sans s’attarder sur l’histoire concrète il est vrai que si tous les Etats avaient conservé leur puissance créatrice de monnaie, la course à la production de monnaie aurait été rapidement ruineuse. Chaque Etat aurait pu produire une très grande quantité de monnaie pour acheter les marchandises des autres Etats, ce qui aurait entrainé des chutes de change généralisées et une hyper inflation mondiale. Il fallait donc instaurer une discipline et, pour se faire, interdire aux Etats de créer de la monnaie. D’où la chasse à ce qu’on appelle encore la planche à billets et beaucoup plus tard l’indépendance des banques centrales. Le chemin historique aurait pu être autre et par exemple un pouvoir démocratique aurait pu imaginer un contrôle de l’émission monétaire par l’Etat, avec une liberté totale d’émission à l’intérieur d’un objectif de stabilité monétaire gravé dans le marbre d’une Constitution. Naguère, les mines de métal, toujours insuffisantes, pouvaient imposer la rigueur, aujourd’hui la Constitution pourrait faire office d’une mine de métal à la fois aussi sérieuse et moins rigide. La réalité historique et plus spécifiquement en Europe fut toute autre et l’on va enkyster les Etats dans le marché de la dette publique et donc le paiement d’un intérêt à la finance, qui elle va récupérer la totalité du pouvoir monétaire.

Le monde devenant progressivement englouti dans une économie à très forte croissance, ce que l’humanité n’avait jamais connu jusqu’au 19ième siècle, il faudra de plus en plus de monnaie pour faire circuler un PIB de plus en plus lourd. Et une monnaie qui sera créée par les seules banques et qui pourra nourrir les dépenses d’un Etat appelé lui aussi à un très fort grossissement. Désormais l’Etat se doit de passer par le marché de la dette publique alors qu’au vu de son passé historique rien ne l’y obligeait. Désormais les Etats doivent se comporter comme des entreprises qu’ils ne sont pourtant pas. Et  comme les entreprises ils doivent veiller à la soutenabilité de leur dette.

.... Mais Des Etats qui doivent le retrouver impérativement.

Les problèmes d’environnement et géopolitiques majeurs imposent aujourd’hui la reconstruction d’Etats puissants disposant de très gros moyens. Cela signifie que des Etats enkystés dans un marché de la dette publique ne pourront jamais faire face aux problèmes du moment. Il faut en effet disposer d’énormes moyens financiers que le marché est incapable de fournir dans la configuration qui est la sienne. Il doit se réarmer comme au bon vieux temps de sa naissance pour mener plusieurs guerres dont bien sûr celle de l’environnement.

Si les choses sont politiquement difficiles, elles sont pourtant techniquement simples. Il n’a même plus besoin de mines de métal et l’Etat peut se contenter de créer de la monnaie en donnant des ordres à sa banque centrale. L’équivalent du circuit du métal de jadis est le suivant :

               1 -  Ordonner à la banque centrale d’effectuer les dépenses publiques nouvelles, celles devant faire face aux nouveaux dangers. La banque centrale abonde donc le compte du Trésor du montant exigé et effectue les virements correspondants à la dépense publique ;

                                                    2 - Constater l’abondement des dépenses sur les comptes des banques et l’abondement de leur compte à la banque centrale ;

                                                           3 - la liquidité excessive qui se forme sur les comptes devient une épargne : des agents bénéficiaires de la nouvelle dépense publique vont consommer et épargner ;

                                                          4 - La fiscalité plus importante retourne sur le compte du Trésor à la banque centrale : on consomme, on épargne mais on paie aussi des impôts.

                                                           5 -  l’épargne nouvelle est aussi un stock de monnaie que le Trésor peut éponger en offrant des bons du Trésor.

 Les dépenses gouvernementales créent un déficit public dont la contrepartie est un excédent faisant à priori le bonheur du secteur privé. Il existe toutefois 2 limites. La première est le risque d’inflation si les dépenses ne rencontrent pas les moyens matériels de la réponse aux nouveaux défis (la main d’œuvre et les divers intrants). La seconde est que le secteur privé est aussi fait de l’étranger et les dépenses nouvelles peuvent entrainer un déficit extérieur.

Un nouveau monde ?

En supposant  que  ces questions soient techniquement et politiquement résolues, nous constatons l’émergence d’un autre monde. Le marché de la dette n’existe plus et les taux croissants justifiés par  le volume croissant de la dette publique n’existent plus. Il n’existe plus de risque de taux ou de spreads de taux qui attirent les attaques de la finance spéculative. Les crises des finances publiques de la décennie 2010 ne peuvent plus menacer. Les problèmes de la Grèce de l’Italie, voire de la France disparaissent.

La finance n’en veut pas

Mais ce nouveau monde est difficilement acceptable par la finance qui y verrait une réduction considérable de son périmètre d’activité. La dette publique dans sa configuration actuelle fait partie du marché et à priori un marché de qualité puisque les bons du Trésor sont des actifs réputés sûrs servant de matière première aux constructions financières. Au-delà si l’Etat redevenait politique il pourrait ne plus respecter les règles du jeu de l’économie de marché : il pourrait devenir éléphant dans un magasin de porcelaine et trop largement substituer son Etat-providence au marché. Reconnaissons toutefois qu’il pourrait aussi diminuer les impôts ce qui serait favorable au développement des marchés. Reconnaissons aussi qu’il faudrait aussi veiller au non développement de l’inflation donc se fixer une limite en matière de création monétaire.

La conclusion de ce raisonnement est simple : La finance doit veiller à ce que la dette publique existe et qu’elle doit se vivre à l’intérieur des règles du marché. Mais la finance doit aussi veiller à ce que ce marché soit sécurisé : la dette publique doit-être contenue dans les limites de la soutenabilité, à peine de crise et de possible effondrement financier. Pour se faire elle agite les outils de la surveillance des Etats en proposant le recul des activités publiques permettant aussi le recul de la pression fiscale.

L’Etat pourra-t-il reprendre le pouvoir?

L’intérêt de l’Etat est clairement de se retirer de sa position d’agent capturé par la finance et de se reconstituer comme être politique. Il doit se repositionner comme créateur au moins principal de monnaie. A ce titre il perdrait son statut idéologique d’endetté fragile et peu sérieux.

D’abord il lui faut constater -  et surtout faire constater par ses électeurs - que le statut de créateur de monnaie est clairement meilleur. Bien sûr il y aura toujours des achats de bons du Trésor dans le nouveau modèle. Mais ces achats sont d’une toute autre nature. l’Etat ne doit plus - comme aujourd’hui-  acheter de la monnaie pour dépenser. Il décide de dépenser, et les bons du Trésor achetés ne font que suivre la dépense : l’Etat offre simplement d’éponger la surliquidité qu’il a lui-même engendré et offre ainsi un débouché à une épargne qu’il a lui-même crée. De quoi renverser complètement le tintamarre de la logique d’un endettement qui se ferait aux dépends des générations futures. Et effectivement il y   a bien un renversement du monde puisque l’Etat n’est plus quémandeur sur un marché dans lequel il est surveillé, mais un offreur d’opportunités nouvelles. Logiquement le taux d’intérêt offert pour cette nouvelle épargne doit contrer le risque extérieur. En effet, il faut empêcher une éventuelle fuite des capitaux et capter la nouvelle épargne par une rémunération suffisante.

Le seul et vrai problème est donc ailleurs. Comment mettre fin à une tutelle financière adossée à un système institutionnel qui lui confère une légitimité ? Plus particulièrement eu Europe le système financier dispose de ce bouclier très puissant qu’est la monnaie unique.

Conclusion :

La conclusion du raisonnement que l’on vient de tenir est simple : on ne pourra pas faire face aux immenses défis d’aujourd’hui, sans d’abord s’attaquer aux questions monétaires et financières. De cette constatation, il en découle que tout programme politique ne mettant pas au premier rang cette question n’est tout simplement pas sérieux.

Nous tenterons dans un prochain article d’aborder la question de l’appariment de l’impérieuse réforme monétaire avec les institutions de la monnaie unique.

 

 

 

 

 

 

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18 décembre 2023 1 18 /12 /décembre /2023 07:26

 Le point fondamental de la reconstruction est un combat contre toutes les causes,  les formes de déliaison sociale et de leurs effets collatéraux. Il s’agit d’une recherche de compétitivité globale, ennemi radical des « réformes structurelles » qui n’ont jusqu’ici fait qu’engendrer un mal être croissant entre les humains (creusement des inégalités, voire émergence de communautés antagonistes) d’une part, et entre ces derniers et le reste du vivant d’autre part.

Une compétitivité qui cesse d’être unidimensionnelle.

 La compétitivité n’est plus un état fonction d’une seule variable, mais de la totalité des paramètres qui caractérisent un ensemble humain vivant dans un territoire lui-même en liaison avec d’autres territoires. Elle est faite du sens des autres, du souci du bleu contre le gris, de celui du chaleureux contre le froid, de l’humain contre le mécanique et l’automatique. Elle est certes faite de libertés fondamentales dont bien sûr la démocratie et la liberté d’entreprendre, mais elle est également faite de cohésion sociale, de respect des cultures, de respect de l’environnement[1], de respect des territoires extérieurs à ladite société et de leurs habitants, donc de respect des nations. La compétitivité totale n’est donc pas qu’une affaire de productivité du travail ou de taux de salaire[2].

Sortir du cadre…

Cette recherche de compétitivité globale passe par le point 2 de notre précédent texte[3] définissant les 5 blocs ou piliers de la reconstruction. Sans détailler, ces 5 piliers supposent de mobiliser des moyens à priori hors de portée dans le cadre des habituelles règles du jeu, règles plus ou moins reconduites dans le nouveau pacte de stabilité en cours de rédaction (Accord du 8 décembre entre Berlin et Paris). Quelque soit le bloc considéré, il n’est plus question de fixer les salaires selon la logique de la productivité marginale, mais d’abord sur leur contribution à la reconstruction du lien social. Ainsi le bloc instruction/éducation suppose une revalorisation massive des rémunérations d’une profession au cœur de la reconstruction[4]. Il en est probablement de même pour la plupart des acteurs des autres blocs : le travail manuel avec par exemple, dans le bloc environnement, l’isolement thermique des habitations ; le travail, dans le bloc santé avec par exemple celui des infirmiers et aides-soignants, etc. deviennent des priorités de la reconstruction et donc supposent des revalorisations massives des rémunérations correspondantes. Et donc des revalorisations permettant d’évacuer les faux débats sur les métiers en tension sauvés par une immigration illégale : la mauvaise image de certains métiers est d’abord provoquée par la faiblesse des rémunérations associées. Une mauvaise image peut s’effacer par le bais d’une rémunération plus attractive. Ce qui suppose un changement de paradigme économique.

Cette réorientation suppose donc une redéfinition des politiques publiques et redéfinition extrêmement gourmande en travail et en capital. Il est très difficile d’évaluer l’énormité des besoins, mais on peut toutefois avancer quelques chiffres impactant directement la dépense publique : probablement près de 10 milliards d’euros pour la formation, 33 milliards pour l’environnement selon le rapport Pisani Ferry, plusieurs milliards pour la santé, sans doute bien davantage pour l’énergie[5], et probablement plus de 10 milliards pour la défense nationale. Le total dépasse probablement la soixantaine de milliards chaque année dans un contexte à priori de baisse des recettes fiscales. Une baisse en raison de la chute de la productivité d’un capital plus coûteux (la protection de l’environnement est une dépense qui, pour l’essentiel, ne produit pas), et aussi de la chute des prélèvements fiscaux sur des énergies fossiles produites en moindres quantités. Ajoutons que beaucoup de ces dépenses ne seront jamais un capital avancé et restitué par une production. C’est le cas de l’environnement qu’on ne peut traiter dans le cadre d’une logique d’investissement impliquant un retour sur capital investi : non seulement un intérêt est impensable mais le remboursement du capital est tout aussi impensable. C’est également le cas des dépenses militaires qui ne font pas l’objet d’un échange marchand.

Il est donc évident que dans un tel contexte il n’est guère question d’en rester avec le présent modèle financier. Les dépenses publiques supplémentaires ne peuvent pas faire l’objet d’une dette mais d’un simple financement monétaire par la voie d’une banque centrale au service de la puissance publique, ce qui est interdit dans le TFUE. Construire un tissu social de qualité et sécurisé dans ses rapports avec d’autres mondes humains et le reste du vivant, suppose d’en finir radicalement avec le présent modèle financier.

Tout en respectant le travail comme mode de socialisation.

Dès lors comment sortir du carcan financier sans une rupture plus ou moins frontale avec l’UE et au-delà le reste du monde ? Au-delà des seules mobilisations de moyens financiers qui ne peuvent plus être dans une logique de marché, comment mobiliser les autres ressources et en particulier le travail ? Dans un tel contexte comment augmenter le taux d’activité seul susceptible de répondre aux immenses défis ? Plusieurs voies sont possibles. D’abord arrêter le subventionnement de la non activité et assurer, comme déjà indiqué, une rémunération beaucoup plus élevée pour tous les secteurs prioritaires (plusieurs millions d’emplois). Il faut ensuite mobiliser ceux qui seront progressivement invités à abandonner les secteurs ne contribuant pas à la productivité globale et qui souvent la freine, voire contribuent à sa destruction. A titre d’exemple les professions productrices d’une publicité abrutissante porteuse de la confection de l’individu isolé et simplement désirant, les branches d’activité ouvertement nuisibles telles celles concernant le faux marché de l’électricité avec sa bureaucratie et ses fournisseurs non producteurs et simplement capteurs de rentes, nombre des professions de la finance elles aussi simplement captatrice de rentes à partir de la matière première commune qu’est la monnaie, les gigantesques bureaucraties de marché, telles les autorités administratives indépendantes, les agences de contrôle et de notation, les activités en redondance et au service de l’industrie financière, etc. Il est difficile d’évaluer le nombre d’emplois inutiles ou destructeurs mais il s’agit probablement de plus d’un million. Ce grand chambardement sera aussi aidé par les nouvelles technologies productrices d’une taylorisation des activités dites intellectuelles (blockchain, IA, etc.) jusqu’ici, bien, voire trop rémunérées. Il aboutira en perspective à un resserrement de l’éventail des rémunérations, avec des professions qui, progressivement, cessent d’être méprisées et d’autres qui cessent d’être survalorisées.

L’augmentation du taux d’activité et le déplacement du travail depuis les espaces socialement improductifs vers ceux qui le sont davantage, supposent le réengagement d’une planification évoquée au point 5[6]. Toutefois, cette dernière n’est envisageable qu’après avoir résolu la question de la dé financiarisation. Il nous faut y revenir.

Le comment de la dé financiarisation

Le premier geste de la dé financiarisation concerne le marché primaire de la dette publique¸ Il n’appartient plus aux banques de créer de la monnaie pour acheter des bons du Trésor vendus par l’Agence France Trésor. Ce trop présent marché n’est plus éthiquement acceptable puisqu’il revient à concéder la puissance créatrice de la monnaie à des personnes privées qui vont - sans coût-  utiliser cette puissance à leur profit et au détriment de la collectivité (le taux de l’intérêt). On ne peut utiliser la puissance de l’Etat pour le dépouiller[7].  Il faut donc décider qu’il n’y a plus à acheter de bons du Trésor sur un marché primaire et ordonner à la banque centrale elle-même de financer le Trésor, un geste supprimant l’Agence France Trésor devenue inutile. En termes concrets cela signifie l’abandon pour 2024 des charges publiques au titre du roulement de la dette actuelle (paiement des charges d’intérêt + paiement des bons parvenus à maturité + dette nouvelle au titre du déficit budgétaire). La somme correspondante se monte à 285 milliards d’euros et ira en decrescendo jusqu’à la disparition complète de la dette, soit compte tenue de la maturité actuelle (un peu moins de 7 ans) en 2030. Un tel geste n’affecte en aucune façon la liquidité bancaire puisque le Trésor continue de respecter ses engagements. Elle n’affecte pas non plus la rentabilité bancaire puisque les activités de collecte d’épargne et de crédits continuent de fonctionner. Mieux le coût de l’éviction par la gestion de la dette publique se trouve éliminé.

Ces ressources supplémentaires considérables, donc à la hauteur des enjeux, seront affectées à la reconstruction de la compétitivité globale, le mot d’ordre étant moins de finance et plus d’économie réelle.

D’abord une hausse sérieuse des rémunérations pour tous les emplois de première ligne et aussi les emplois affectés à l’environnement et au climat. Cette hausse s’opère sous financement direct s’agissant des emplois publics et assimilés. Elle s’opère ailleurs par financement indirect sous la forme de hausse des marges permettant à tous les métiers - en tension et à créer- de rémunérer correctement les collaborateurs. Il nous faudra détailler la démarche retenue afin d’en éviter les effets pervers. Cette hausse sérieuse prend pour appui les 285 milliards d’euros libérés par la disparition du marché de la  dette publique.

Ensuite, il faut mettre en place une aide à la reconversion des emplois inutiles ou nuisibles. Une aide qui pourra partiellement s’autofinancer, par exemple par augmentation des taxes ou suppression des rentes sur les activités inutiles voire nuisibles, comme c’est la cas de nombre de prétendus fournisseurs d’électricité ou encore celui de nombre de métiers spécialisés dans la production du consentement à la sur consommation et au gaspillage ostentatoire (publicité). On ne peut  plaider pour la sobriété et en même temps travailler à l’anormale et asociale  suractivation de la dépense privée.

Rétrécissement du terrain de jeu de la finance et élargissement de celui de l’économie

 Plus globalement, cette aide devra compenser les pertes de marché dues au processus de dé financiarisation. Il s’agit ici d’un axe majeur de la politique publique à retenir. Parce que l’industrie financière est de nature métastatique[8] elle est aussi devenue totalement disproportionnée ( Plus de dix fois le PIB du pays[9]) et engendreuse de chute de productivité globale, sous la forme de rentes, de spéculations ruineuses, d’optimisation de gestion de fonds propres sur base spéculative, de transferts de risques très risqués, de création d’actifs dépourvus de sous-jacents, de bulles, le tout entrainant une confusion totale entre l’acte d’investir ( préparer l’avenir) et l’acte spéculatif (consommer le présent), avec les comportements opportunistes qui s’y rattachent et donc un creusement sans aucune limite des inégalités sociales. Parce que l’édifice financier est devenu gigantesque, opaque et très dangereux il est clair qu’il faut proposer une politique prudente de réduction progressive de son périmètre, ce qui facilitera le transfert progressif de très nombreux, très compétents, et probablement très honnêtes professionnels vers des activités utiles. Pensons par exemple à cette multitude d’ingénieurs qui maitrisant déjà la digitalisation financière serait bienvenue dans la construction des usines 4.0 issues de « l’Evolutive Facility »(EVF) qui se déploient dans toutes les industries et génèrent des sauts très importants de productivité. Des dizaines de milliers d’emplois gaspillés dans la finance font aujourd’hui cruellement défaut aux entreprises industrielles engagées dans la digitalisation des process et les indispensables « jumeaux numériques ». La finance automatisée mobilise largement le même type de compétences que les futures « dark plants »[10]. Bien évidemment il ne s’agit pas de supprimer totalement les métiers de la finance, il s’agit simplement de les contenir et de les réserver à ce qui est directement branché sur l’avenir, donc l’investissement réel. On peut ainsi comprendre, dans certaines limites, le capital-risque, le private equity, les fonds de pension, etc. Par contre il faudra être sélectif et sévère avec les fonds alternatifs et autres hedge funds.

 

Déjà la fin de la dette publique est une réduction considérable du périmètre de la finance puisque cette dette est la matière première de base des jeux financiers.  L’actif sécurisé « bon du Trésor » étant, dans le modèle proposé, en voie de disparition, il va considérablement manquer dans la couverture des transferts de risques, ce qui va en augmenter le coût qui lui-même va automatiquement limiter le périmètre  des activités correspondantes. Spéculer, transférer des risques, doivent devenir trop coûteux et le deviendront réellement avec la disparition du marché primaire de la dette publique. Signalons qu'ils le sont déjà avec la guerre en Ukraine qui a entrainé un supplément de volatilité et une surconsommation de dette publique (jusqu'à 80% d'une position selon la banque de France) au titre de l'appel de marge dans les systèmes de compensation. (

Au-delà il faut compenser les restrictions de jeux financiers  et couvrir tout ce qui doit correspondre à la sécurisation des activités : contrôle des changes et encadrement de la circulation du capital, fin de l’explosive innovation financière, fin des cryptomonnaies et possible monnaie digitale de banque centrale, limites à la spéculation sur toutes les matières premières, limites à la grande mode du « reporting ESG », limites à la financiarisation de l’extra financier, interdiction des rachats d’actions, etc.

 Une façon commode de compenser les restrictions de jeux est par exemple de limiter progressivement les activités de couverture et de financer les déboires correspondants des entreprises à partir des ressources autorisées par la fin de la dette publique. Par exemple si une compagnie aérienne ne peut plus se couvrir à terme sur le coût du kérozène et qu’elle enregistre un manque à gagner, il y aura compensation - encore une fois à partit des ressources engendrées par la fin de la dette publique -  selon des règles à définir. Ces régimes de compensation au titre d’une réduction du périmètre de la finance doivent être mis en place progressivement. La conséquence est aussi la réduction des bulles sur tous les intrants et donc une sécurisation plus grande de l’activité économique réelle. L’idéal serait d’assécher le gigantesque marché des changes, gaspilleur de ressources et d’en revenir à des taux de change fixes avec comme conséquences l’effondrement de la volatilité[11] sur tous les intrants. Là encore la disparition de la dette publique sera un puissant outil d’étranglement des marchés financiers.

Le rétrécissement du périmètre de la finance est bien sûr un redéploiement de l’activité économique vers d’avantage d’auto centrage. De la même façon l’affaissement de la finance devrait également permettre la fin du démantèlement sans limite des entreprises classiques. Ces dernières ne faisant plus que répondre aux exigences d’une finance voulant mesurer la compétitivité de chaque composante voire de chaque service[12]. D’où l’accélération des opérations de découpage pour améliorer la valorisation, la somme des parties valant financièrement plus que le tout. Le rétrécissement du périmètre de la finance sera donc aussi la réduction de la pression sur les entreprises et la réduction consécutive des métiers parasitaires qui ont participé aux catastrophiques révolutions managériales. Pensons par exemple à la gestion des grands groupes d’EHPAD.

Le grand redéploiement doit aussi être accéléré par la réduction de toute la normalisation au service de la finance actuelle et la promotion de nouvelles beaucoup moins nombreuses. Par exemple celles consacrées à la limitation de la mondialisation. Ainsi il faut imaginer un ratio limite pour les contenus en importations des produits et services mis sur le marché. Son non-respect pouvant entrainer des sanctions par exemple sous la forme de limitation des mesures financières de compensation.

Le contrôle des effets pervers de la grande transformation.

Si la grande transformation ne correspond pas à une véritable inflation monétaire - ce que l’orthodoxie appelle la « planche à billets » - il reste quand même une difficulté. En effet la disparition du marché de la dette publique et la mise à disposition des moyens correspondants par la banque centrale est possiblement déséquilibrée en raison du fait que dans le marché actuel il est difficile d’identifier, dans la matière première, c’est-à-dire la monnaie servant aux  achats des banques, ce qui correspond à une épargne, et ce qui, à l’inverse, correspond à une création monétaire pure. C’est la raison pour laquelle la banque centrale devra veiller à ce que sa création monétaire soit significativement inférieure – à priori le volume d’épargne utilisée aujourd’hui par les banques-  au montant des sommes prévues dans les adjudications de l’actuelle Agence France Trésor. Si la banque centrale cesse d’une façon ou d’une autre d’être indépendante il lui faudra quand même assurer le contrôle de l’inflation et donc veiller au contrôle du flux de monnaie vers l’Etat.

 Au-delà, l’un des tous premiers effets du chambardement proposé est évidemment une élévation de la consommation impulsée par la hausse des rémunérations. Certes les rémunérations stratosphériques, plus particulièrement présentes aujourd’hui dans la sphère financière, deviennent mécaniquement plus limitées avec la limitation du terrain de jeu de la finance. De la même façon ces rémunérations en voie d’étranglement progressif ne nourriront plus une épargne alimentant elle-même la spéculation sur les titres et l’immobilier, et donc une inflation sur les actifs financiers et immobiliers. Le grand chambardement proposé est donc moins d’épargne des riches nourrissant, par déversement, des bulles spéculatives. Il est donc aussi un combat contre la déformation des revenus globaux de plus en plus issus d’activités spéculatives et rentières et apparaissant de moins en moins comme la rétribution d’un travail ou d’un investissement.

 Toutefois les hausses de rémunérations sur la foule des emplois de première ligne risquent de peser sur les importations et sur les prix. C’est la raison pour laquelle toutes les mesures de compensations doivent devenir autant d’incitations visant un large processus de relocalisation progressive des activités. D’où l’idée d’une surveillance très étroite du contenu importé de toutes les activités. Avec, si possible, au-delà du processus de compensation, un système d’aides à toutes les substitutions d’importations. On le voit, des réformes structurelles d’une toute autre nature que celles encore envisagées aujourd’hui. L’objectif n’est plus la maximisation d’un PIB comme effet d’une maximisation de la productivité et d’une compétitivité mal assise, mais un auto centrage maximal des activités comme condition nécessaire d’une compétitivité globale.

Peut-on rassembler et mobiliser les outils du projet de grande transformation ?

 Le premier outil est bien évidemment la banque centrale. Peut-on contourner les textes en vigueur sans une dénonciation globale impliquant elle-même la fin de la présente architecture européenne ? Peut-on simplement invoquer une situation exceptionnelle correspondant aux gigantesques contraintes actuelles en matière climatique et environnementale ? Une façon de procéder serait d’appuyer fortement et sans doute de déformer le projet de Monnaie Digitale de Banque Centrale imaginé par la BCE[13]. Négocier sur le périmètre des porte monnaies électroniques et imaginer l’un d’entre- eux porté par les Etats serait une porte d’entrée pour, si possible, aller beaucoup plus loin.

Le second outil correspond au non-respect des règles du grand marché gravement attaqué par les modalités retenues de la dé financiarisation. Cet outil est sans doute plus facilement contournable et l’expérience du marché unique et ses nombreuses dérogations peut laisser un espoir.

Le troisième outil - et de loin le plus important - est celui de la  formation du personnel politico administratif qui  serait le porteur du projet. Si les campagnes électorales n’abordent jamais – strictement jamais, aussi bien en France qu’à l’étranger - les questions financières, c’est sans doute en raison de la difficulté technique et du caractère sensible du problème. La finance est enfouie dans l’Etat profond et aucun parti politique n’a jusqu’ici abordé ces questions très mal maitrisées. Aucun n’est prêt aujourd’hui à l’aborder. Seule la connaissance approfondie de l’industrie financière - une connaissance pas toujours maitrisée par les professionnels eux-mêmes – permettra de comprendre la nécessité de revoir l’architecture financière et la réglementation européenne correspondante. Elle permettra également de concevoir les politiques publiques les plus adaptées à la reconstruction du pays. Dans le cadre d’une campagne électorale il est donc urgent de maitriser les questions techniques liées aux arguments faciles et démagogiques de l’Etat profond et de la population culturellement éloignée qui s’y trouve embrigadée. Il faut donc être intellectuellement équipé pour répondre  aux arguments de l’apocalypse  type :  « planche à billets », « inflation », « Assignats » « ruine des épargnants », « fuite des capitaux », etc.  

Nous tenterons de publier prochainement un papier de réflexion sur la réaction des marchés et sur les stratégies retenues par la finance mondiale dans ce qui sera son combat pour empêcher, voire ruiner, toute tentative de grand chambardement.

 


[1] Un environnement déjà perçu par Günther Anders - bien avant le mouvement écologiste d’aujourd’hui - comme dominé par l’homme et qu’il qualifiait par une expression forte : « le prolétariat cosmique ». Cf son ouvrage : L’humain étranger au monde ; Editions  Fario ;  2023.

[2] De ce point de vue la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) applicable dès janvier 2024 n’apporte que peu de choses en termes de productivité globale. Outre sa mise en œuvre très complexe, elle évoque plus les questions environnementales que la qualité du lien social. La mise en place administrativement coûteuse développera la suspicion à bien des étages de l’entreprise et de son environnement, entreprise  encore davantage exposée à la surveillance financière. Soulignons enfin que la CSRD est aussi un gigantesque marché pour nombre de cabinets de consultants : une véritable aubaine. Il est vrai que la directive liste 1178 indicateurs potentiels.... 

[3] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/12/le-socle-de-tout-programme-electoral-serieux.html

[4] L’investissement dans la formation est fondamental. Voir à ce propos, l’ouvrage de Xavier Jaravel : « Marie Curie habite dans le Morbihan » ; Seuil ; 2023. En 2022, sur 1.000 euros de prélèvements obligatoires, environ 560 ont financé la protection sociale, avec en premiers postes les retraites et la santé, tirés par le vieillissement de la population. Seulement 90 euros vont à l'enseignement, un montant en baisse de 14% en trente ans.

 

 

[5] Ne mentionnons qu’un seul chiffre : on parle de la création de réseaux pour les énergies renouvelables, ce qui d’après le Think tank « Confrontations Europe » suppose un investissement de près de 600 milliards d’euros d’ici 2030 pour le continent européen, et donc probablement quelque 10 milliards annuellement pour la France.

 

[6] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/12/le-socle-de-tout-programme-electoral-serieux.html

[7] Cela ne signifie pas nécessairement le passage au « 100% monnaie », c’est-à-dire une capacité à prêter reposant sur des dépôts à hauteur de 100%. Ce point de vue était celui de Maurice Allais de Milton Friedman et avant eux d’irving Fisher. Mais cela ne signifie pas non plus qu’un projet politique de dé financiarisation exclue cette possibilité.

[8] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/10/reconstruire-le-systeme-bancaire.html

[9] Sur la construction du tsunami financier on pourra lire : « l’esprit malin du capitalisme » ; Yves Gomez ; Desclée De Brouwer ; 2010. Ouvrage plus récent, on pourra lire : « Quelle Economie Politique pour la France » ; Yves Perrier et François Eswald ; l’Observatoire ; 2023.

[10] Usines automatisées fonctionnant largement sans opérateurs.

[11] La rentabilité de ce qu’on appelle les « desk matières premières » est d’autant plus élevée pour la finance que la volatilité est forte. Cette volatilité élevée est à l’inverse une gène pour l’économie réelle. Réduire le marché de la finance est donc un avantage pour l’économie.

[12] D’où une surveillance rigoureuse de la finance sur les choix des entreprises dans l’arbitrage   entre le « make » et  le « buy ». Avec toutes ses conséquences en termes de management, c’est -à dire la fin de « l’ére des organisateurs » chère à Burnham au profit des  cadres dévalorisés arrimés à la culture du reporting.

[13]http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/10/reconstruire-le-systeme-bancaire.html

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20 octobre 2023 5 20 /10 /octobre /2023 09:07

La circulation de l’argent entre les divers acteurs du jeu économique reste compliquée et donc coûteuse pour la collectivité. Elle était naturellement compliquée et coûteuse à l’époque de la monnaie métallique. Elle le restera avec l’apparition des billets de banques. Elle le restera encore à l’époque des chèques et cartes de paiement. Elle le reste aujourd’hui avec le téléphone devenu porte-monnaie. Encore aujourd’hui la mobilité de l’argent suppose des intermédiaires chargés de sa circulation sécurisée. Il faut en général au moins 2 banques, l’une faisant déplacer l’argent d’un compte à débiter vers l’autre qui va le recevoir et ainsi créditer un autre compte. Et comme la circulation de l’argent est le fait d’une multitude d’acteurs différents, rien ne dit qu’elle sera, à chaque instant équilibrée pour chacune des banques mobilisées. Ainsi la banque A peut devoir créditer des comptes pour un montant supérieur à ce qu’elle devra débiter sur d’autres comptes. Si elle-même ne dispose pas de suffisamment de liquidités apparaissant sur un autre compte dont elle est titulaire, elle devra emprunter auprès d’autres banques qui, elles, ont la chance de connaître un solde excédentaire sur les opérations décidées par les acteurs économiques. Plus simplement exprimé, la circulation de la monnaie dans une infrastructure faite d’entités indépendantes - les banques- connaissent des fuites ou innondations monétaires permanentes qu’il faut en permanence contrôler. Face à la circulation nécessairement désordonnée des ordres des acteurs économiques, il faut donc créer un marché où vont s’échanger les créances et dettes de l’instant. Concrètement, cela s’appelle encore aujourd’hui le marché monétaire. Les coûts correspondants à cette circulation faisant intervenir ces intermédiaires que sont les banques sont au fond des coûts de logistique, des coûts de transport. D’autres coûts interviennent car l’argent se métamorphose et peut prendre la forme d’espèces, voire de devises étrangères. D’où la présence d’un autre intermédiaire qui sera la banque centrale elle-même productrice des dites espèces. Cela suppose donc que les banques soient titulaires d’un compte à la banque centrale, compte qui pourra aussi être utilisé dans la gestion de la circulation de la monnaie entre banques. Ainsi quand la banque A devient momentanément déficitaire vis-à-vis de la banque B en raison des décisions d’échanges entre les acteurs économiques, la banque centrale pourra débiter le compte de A et créditer celui de B. Encore des coûts de simple logistique et de transport. Et bien sûr on peut imaginer que les distributeurs d’espèces qu’il faut alimenter, sécuriser et entretenir sont un élément important dans la chaine des coûts.

Les nouvelles technologies peuvent bien sûr assurer des gains de productivité et par exemple les banques en lignes sont censées alléger la chaîne des coûts. Elles restent toutefois bloquées par l’architecture générale supposant l’existence de comptes dans des établissements en concurrence. Elles le sont davantage encore avec la difficile gestion des espèces.

Mais le problème se complique car les banques qui assurent la circulation de l’argent se servent aussi de cet argent comme matière première d’accroissement de la valeur et donc de profit. Nous y reviendrons.

En attendant, un examen lucide du circuit compliqué de la circulation de la valeur mais aussi des règles correspondantes,  nous invite à suggérer l’éviction des banques au profit de la seule banque centrale. En effet, on peut imaginer que cette dernière fasse disparaître les très couteûses espèces au profit d’un porte-monnaie électronique, mais aussi fasse transférer tous les comptes de tous les acteurs économiques dans sa propre comptabilité. Que l’on soit entreprise, ménage, institution financière ou même Trésor public, tous disposeraient d’un compte à la banque centrale devenue infrastructure unique de circulation de la valeur. Une telle révolution ferait évidemment largement disparaître le marché monétaire. Simultanément, la chaine logistique plus légère serait aussi complètement sécurisée. En particulier il n’y aurait plus de « bank-run » , c’est -à- dire des moments de panique au cours desquels chacun se précipite au guichet pour retrouver son capital. En effet, la banque centrale ne peut connaître, par construction, de risque d’insolvabilité.

Comment du point de vue des acteurs économiques un tel dispositif fonctionnerait ?

1 - Une banque centrale assurant le fonctionnement du réseau monétaire.

Toutes les relations des entreprises avec leurs correspondants relèveraient d’un jeu d’écriture entre leurs comptes à la banque centrale et les comptes de tous les correspondants situés eux-mêmes à la-dite banque centrale. Chaque écriture se matérialisant par un débit et un crédit d’un même montant au passif de la banque. Cela signifie que la circulation monétaire n’en transforme pas son montant. La nouvelle banque centrale devient ainsi le logisticien unique dans la circulation monétaire. On passe ainsi d’un réseau fragmenté par l’existence d’une pluralité bancaire - une fragmentation risquée en raison de possibles maillons faibles - à un réseau unique et complètement sécurisé. Les titulaires d’un compte à la Banque centrale - en principe tous les acteurs du jeu économique- ne sont plus de simples créanciers pouvant perdre leurs avoirs liquides mais de réels propriétaires. Les droits de propriété sur la monnaie sont enfin garantis.

Au niveau international, la banque centrale gère les entrées et sorties de devises. Elle crédite et débite un compte en devises pour chaque entité et bien évidemment se trouve actrice sur le marché des changes. Le marché monétaire largement disparu au niveau interne reste au niveau externe et donc un marché monétaire entre banques centrales persiste.

2 - Statut des nouvelles banques.

Les banques désormais dépourvues de toute responsabilité en matière de logistique monétaire et des coûts correspondants peuvent continuer à développer leurs autres activités donc en particulier les opérations de crédit. Un crédit à un particulier ou entreprise se matérialiserait par un crédit au bénéficiaire sous la forme, d’un abondement sur le compte du particulier ou de l’entreprise figurant au passif de la banque centrale, et d’un débit sur le compte de la banque à la banque centrale. Nous constatons ici que le crédit n’est en aucune façon porteur de création monétaire, ce qui n’est pas le cas des opérations de crédit dans la configuration présente de l’architecture monétaire et financière. Rappelons en effet qu’aujourd’hui, un crédit est un abondement de compte qui se matérialise par une création monétaire. Et cette création monétaire en vue d’un profit (le taux de l’intérêt associé) peut s’opérer tant que la banque responsable du crédit ne se trouve pas gênée par une entrée en déficit permanent vis-à-vis des autres banques sur le marché monétaire. En effet une création monétaire massive de la part d’une banque crée mécaniquement une fuite de monnaie vers d’autres banques (le bénéficiaire du crédit effectue des paiements envers des acteurs disposant de comptes sur d’autres banques). Dans le nouveau dispositif proposé, les banques peuvent consentir  des crédits, mais seulement à partir de leur compte à la banque centrale, un compte qui sera débité pour créditer le compte du client. Bien évidemment, une banque pourrait solliciter un prêt à la banque centrale aux fins d’élargir son activité de distribution de crédits, mais une telle opération est une création monétaire de la banque centrale et non de la banque elle-même. On constate donc que la nouvelle logistique monétaire coupe la fonction bancaire traditionnelle : les banques ne peuvent plus créer de monnaie. La conclusion est donc qu’elles deviennent des établissements financiers comparables aux établissements non bancaires.

3 -  Le Trésor.

Toutes ses opérations figurent sur le bilan de la banque centrale, laquelle crédite les bénéficiaires de la dépense publique et débite les sommes correspondantes sur le compte du Trésor. Si le Trésor s’endette, le montant emprunté sera crédité sur son compte et va correspondre à des débits sur les comptes à la banque centrale de ceux des acteurs qui auront acheté de la dette publique. Sans création monétaire nouvelle par la banque centrale, l’endettement du Trésor correspond à une épargne de la part des autres acteurs. Précisément, comment désormais concevoir la création monétaire ?

4 - La nouvelle création monétaire.

Répétons que la création monétaire est jusqu’à présent le fait des banques et de la banque centrale. Logiquement, elle contribue à développer la croissance  sauf comme ce fut le cas avec les QE   où la monnaie supplémentaire reste stockée dans les systèmes financiers et ne font qu’alimenter une logique de casino.

Si dans le nouveau système, la banque centrale ne devait pas créer de monnaie la croissance serait freinée par la rareté monétaire. L’expression monétaire de chaque marchandise serait amenée à décroître, d’où un risque de déflation et de thésaurisation : pourquoi acheter et investir dans un monde où les actifs correspondants vont perdre de la valeur ? La banque centrale nouvelle formule se trouverait ainsi chargée d’une croissance de la masse monétaire adaptée à la croissance économique elle-même. N’étant que le grand logisticien de la circulation de la valeur, elle ne pourrait créer de la monnaie pour elle-même et devenir agent investisseur. Il faudrait donc qu’elle abonde les comptes figurant à son passif pour créer de la monnaie et autoriser la croissance. Bien évidemment, le volume créé tient aussi compte des relations économiques internationales, relations  pouvant introduire des fuites de capitaux en cas d’émission excessive.

Bien sûr la banque centrale pourrait créditer le compte du Trésor, un abondement sans dette correspondante et donc sans charge de la dette pour lui et les contribuables. Bien évidemment un contrôle démocratique doit être mis en place pour éviter tous les opportunismes politiques concernant des dérives vers les facilités monétaires. La règle de base étant que la contribution au Trésor privilégie les seuls investissements collectivement discutés. Une autre règle de base serait que les contributions au trésor soient muselées par la croissance économique réelle.

Dans un cadre semblable, la banque centrale serait autorisée à abonder les comptes des banques classiques. La création de monnaie correspondante au profit du système bancaire se trouverait quantitativement limitée au taux de croissance de l’économie réelle. Et une limitation à l’intérieur d’une fourchette afin d’autoriser des actions de régulation de la conjoncture. Les banques bénéficieraient d’un traitement égal, ce qui veut dire un abondement monétaire proportionnel à la part de marché de chaque banque. Les banques seraient évidemment libres de négocier les prêts avec les demandeurs de crédits. Rationaliser l’infrastructure monétaire n’est pas mettre fin à la concurrence et au libéralisme. Comme RTE (gestionnaire du réseau de transport de l’électricité) dispose du monopole de transport de l’électricité sans mettre fin à la concurrence entre producteurs, la banque centrale disposerait du monopole de transport de la monnaie sans toucher aux règles de la concurrence.

Ajoutons que les banques seraient aussi autorisées à négocier des emprunts auprès de la banque centrale comme auprès de tous les acteurs économiques. La fonction d’intermédiation traditionnelle serait donc garantie.

  1. - Le bilan coût /avantage du modèle proposé.

Il est un coût considérable pour la finance qui verrait une réduction draconienne de son terrain de jeu : impossibilité de transformer le bien commun qu’est la monnaie en matière première privée providentielle et porteuse de profit ; forte limitation du poids de  la gestion de la dette publique, le Trésor pouvant emprunter à la banque centrale, mais pouvant aussi recevoir de la monnaie sans dette. Au-delà, il est évident qu’une partie de la machinerie bancaire deviendrait complètement inutile.  Nous n’entrons pas ici dans le débat sur la banque universelle, mais il est clair qu’une telle transformation y mettrait fin..

Il est un avantage pour les piliers de l’économie réelle : répercussions sur la fiscalité de la baisse du coût des activités du Trésor ; possibilité de financer sans dette la « réparation » de l’environnement : aspect fondamental car il est aujourd’hui impensable de rembourser un capital (coûts de la protection du climat, de l’environnement, etc.) avec les intérêts correspondants alors qu’il n’y a pas de production supplémentaire ; probable diminution globale du coût de l’endettement avec marges de compétitivité plus importante à l’international, et donc perspectives alléchantes en termes d’IDE.

Il est aussi un avantage pour les ménages : la monnaie figurant sur les comptes bancaires cesse de n’être qu’un créance, toujours porteuse de risque et redevient la pleine propriété de ses détenteurs.

Plus globalement le projet est adaptable aux grands choix sociétaux : il est libéral au sens classique, et il peut devenir l’outil d’un réel interventionnisme…avec le risque qu’un déficit de contrôle démocratique puisse le transformer en un outil du totalitarisme. De ce point de vue, nous recommandons de suivre de près les travaux présents des banques centrales dans le projet MDBC (monnaie digitale de banque centrale).

Pour notre part nous souhaitons simplement que la monnaie renoue avec son caractère de bien commun.

 

 

 

 

 

 

 

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17 avril 2023 1 17 /04 /avril /2023 06:33

Il n’y a plus à dénoncer un endettement et plus encore une spéculation pharaonique à l’échelle mondiale, une réalité  que chacun dénonce, croit en percevoir les dangers, mais pour laquelle aucune solution  n’est envisagée. Pour autant, si l’on veut une démarche sérieuse concernant l’analyse de la réalité et les éventuelles solutions, il faut savoir en démonter l’architecture et les origines de sa construction. Cela passe par le repérage d’enchaînements historiques.

Bien évidemment, l’endettement et surtout la spéculation relève d’une histoire déjà très ancienne : spéculation sur les moulins dans l’antique Athènes, « Système de Law » beaucoup plus tard, paris sur l’évolution de prix des matières premières et des produits agricoles…à toutes les époques, etc.

Par contre ce qu’il faut noter c’est, qu’à la différence d’aujourd’hui tout reposait sur la richesse matérielle des biens produits : On spécule sur le devenir de ces derniers. Même chose avec le développement du capitalisme avec des modèles juridiques qui autorisent la liquidité du capital (les actions s’achètent et se revendent), tout en laissant encore ce dernier rattaché à la matérialité physique et à son devenir en termes de richesse. On sait que tel n’est plus le cas avec les produits dérivés qui n’ont qu’un lien très éloigné avec la richesse. Et quand les produits financiers n’ont plus pour objectif que de couvrir la spéculation elle-même, le lien avec la richesse est réellement coupé. D’où cette idée qu’il y aurait aujourd’hui une sphère réelle apparemment  séparée de la sphère financière.

Configuration d’un monde imperméable à la finance.

Le point de départ de cette séparation doit être recherché dans l’effritement de configurations institutionnelles rigides : préférence générale pour le faire soi-même plutôt que d’externaliser (d’où l’idée des grandes organisations chères à Burnham), taux de change fixes, contrôle de la circulation du capital et contrôle des changes, frontières et droits de douanes, prix contrôlés et stabilisés y compris parfois à l’échelle planétaire (pétrole à l’époque des « 7 sœurs » du cartel pétrolier). De quoi ne laisser la finance se déployer que dans les marges du monde. Cette rigidité correspondait aussi à un état technique du monde : la faiblesse des moyens d’informations, et coûts de transports élevés entravaient matériellement la recherche de paris financiers à l’échelle planétaire. Elle correspondait sans doute aussi à un état de la société où la réalité des institutions était aussi faite de corps intermédiaires, et plus généralement de corps politiques composés de grands partis porteurs de projets collectifs. L’individu esseulé et désirant n’était pas encore né.

A partir du début des années 70 tout une série de choix vont intervenir et transformer -petit à petit, par essais et erreurs, par ajustements- le monde. Ces choix vont largement être reliés par un enchaînement, plus ou moins multi-causal, qui, au total, accouchera du monstre financier actuel. Il n’y a pas eu de « grand architecte » ou de « grands comploteurs », mais des choix collectifs, voire individuels, ici ou là, qui vont en entrainer d’autres jusqu’à l’époque présente. La réalité du monde n’est pas celle d’un déterminisme historique.

Un monde qui laisse des zones de perméabilité prometteuses à la finance.

En un peu plus de 3 ans (Aout 1971- septembre 1974) 3 évènements, à priori non reliés, vont devenir les aiguilles qui vont déchirer progressivement les anciennes institutions et coudre, tout aussi progressivement, et sans doute de bric et de broc, la toile de la finance : fin du système de Bretton woods, révolution pétrolière, naissance des fonds modernes de pension.

Le premier, (15 août 1971) met fin sur décision américaine au système de taux de change fixes et à l’interdit des manipulations monétaires. Le second (septembre 1973) met fin au cartel pétrolier et libère complètement les prix du pétrole, lequel devient un instrument de pure spéculation. Le troisième (septembre 1974) désenchasse, au nom de la loi,  les caisses de retraites des grandes entreprises américaines, caisses qui deviennent des organismes financiers complètement autonomes.

Les zones de perméabilité peuvent s’grandir et devenir envahissantes

Les deux premiers évènements vont affecter tous les systèmes de prix. Certes, ces derniers étaient encore à l’époque marqués par une inflation non négligeable, mais ce qu’il y a de nouveau c’est qu’ils vont devenir instables, une caractéristique les transformant en matière première pour la spéculation au quotidien. Jusqu’alors il y avait certes de grands moments spéculatifs, par exemple ceux qui vont mener à la fin de la convertibilité du dollar, mais ces derniers concernaient essentiellement les Etats et leur monnaie dont la parité, garantie par ces derniers, pouvait le cas échéant être contestée. Désormais, le monde jusqu’ici largement sécurisé, devient officiellement insécure…et source du développement sans limite d’un marché de la sécurité à l’échelle planétaire (la fin de Bretton-woods concerne toute la planète) … Toute une partie de la finance prend son essor sur la vente de produits nouveaux de sécurité financière. Et comme le risque de prix peut être techniquement reporté  (marché de la « couverture » et de ses produits) sans  jamais disparaître, d’emblée la finance se doit d’exiger un périmètre d’activité qui ne peut être que croissant. Et bien sûr, un périmètre qui ne peut s’ouvrir qu’avec du carburant monétaire généré par de la dette. Bien évidemment l’activité correspondante justifie un nouveau type d’emplois et de nouveaux métiers : ceux du marché que l’on vient de créer par modification de règles du jeu entre acteurs du monde. Il n’y a aucune production nouvelle et aucune croissance économique nouvelle, il n’y a qu’une modification de règles. Les nouveaux emplois et nouveaux métiers générés par millions sont-ils productifs ?

Le troisième évènement est a priori moins visible que les deux premiers. Signal faible, Il est pourtant tout aussi efficace. Les caisses de retraites des entreprises étaient à l’abri de ces dernières. Devenues autonomes de par la loi, elles correspondent aux premières formes d’externalisations, vont devoir voler de leurs propres ailes et entrer en concurrence pour l’accès aux ressources permettant de s’acquitter des pensions. Ces ressources sont des actifs financiers (bons du Trésor ou titres d’entreprises) qu’il faudra désormais surveiller. Alors que les caisses de retraites des grandes entreprises n’avaient pas le pouvoir de surveiller l’entreprise qui les abritait, désormais il faudra se montrer très regardant si l’on veut disposer des moyens suffisants pour payer les retraites. Désormais le monde de l’entreprise doit être sous surveillance :  les cadres et managers conservent une apparence mais ne sont plus dans la réalité que les exécutants de décisions actionnariales.

Les abris ne sont plus possibles

Il faudra donc développer des outils anciens, par exemple les bourses qui vont devenir instrument de mesure, heure par heure, de ce qui se passe dans les entreprises. Bien sûr il faudra une ouverture et une cotation en continu. Il faudra aussi prévoir des liens entre toutes les Bourses de la planète. Et pour mieux surveiller les entreprises, il faudra aussi pouvoir les mettre en concurrence à l’échelle de la planète, ce qui suppose une totale liberté de circulation du capital, circulation qu’il faudra politiquement exiger. Mais la bourse elle-même doit être alimentée par de bonnes informations en provenance des entreprises. Celles-ci doivent par conséquent devenir transparentes et montrer -avec des chiffres- que toutes leurs composantes, toutes leurs  branches, voire tous leurs bureaux et ateliers sont réellement producteurs de valeurs actionnariales. C’est dire que l’externalisation doit se développer en continu, que l’entreprise doit se démanteler au profit d’une chaine planétaire de la valeur.

Parmi les titres à surveiller dans la nouvelle organisation des caisses de retraites il y a les bons du Trésor. Là aussi, il faut surveiller et veiller à la qualité organisationnelle des Etats. Et donc si l’architecture des entreprises est appelée à se modifier, il en est de même des composantes des Etats. D’où ici ou là des réformes structurelles à imposer si l’on veut que la dette publique maintienne une certaine crédibilité. Il n’y a pas que l’économie à surveiller, il y a aussi le politique.

La dynamique des 3 évènements qui se sont matérialisés au début des année 70 n’avait rien de mécanique et l’histoire aurait pu être autre. Par contre, on peut aussi dire que ces évènements sont probablement porteurs d’une réalité potentielle proche ou voisine de ce que l’on connait. Et cette probabilité est renforcée par le fait que ces trois évènements sont amenés à se mutualiser -sans doute avec des conflits secondaires- et à renforcer la puissance de leurs effets sur la réalité institutionnelle. D’abord l’intérêt est commun : les acteurs qui les font vivre ont intérêt à ce que le terrain de jeu s’élargisse. Par exemple les paris sur fluctuation de prix (évènements 1 et 2) offrent des garanties à la libre circulation mondiale du capital laquelle permet sa meilleure valorisation (évènement 3). Les acteurs qui vivent ces transformations institutionnelles ont ainsi intérêt à travailler ensemble et à produire des outils communs voire des exigences politiques communes. De ce point de vue le système bancaire est un haut lieu de rapprochement entre les divers acteurs : il faut développer la capacité à créer le carburant monétaire de la finance, et il faut profiter des anciennes compétences bancaires pour mieux surveiller la bonne valorisation du capital réel. Fonds de pension, assurances, banques doivent se rassembler et édifier des ensembles dont le total du bilan atteindra des hauteurs ahurissantes. De ce point de vue, il sera exigé que les Etats se retirent progressivement de la banque de jadis et que la dette publique cesse d’être, comme dans le cas de la France d’avant 1970, « hors marché » : il ne doit plus être question de planchers de bons du Trésor à geler dans les actifs bancaires. Il ne doit plus être question de « circuit du Trésor » cher à Block- Lainé. Bien évidemment il est urgent de supprimer tout financement direct du Trésor par la banque centrale, un tel financement rétrécirait le nouveau jeu de la finance.

 Ce travail en commun pour les porteurs de ces nouveaux métiers de la finance n’est pas exempt de contradictions : Il existe des conflits objectifs qu’il faudra dépasser. Ainsi la naissance de la monnaie unique (euro) est un formidable avantage pour la bonne circulation du capital et une meilleure homogénéisation dans la surveillance des marchés, mais il est un affaissement du terrain de jeu pour les spéculateurs sur les taux de change. Cela importera peu si l’euro permet davantage d’innovations financières et si au total l’élargissement planétaire des chaines de la valeur fait grossir le marché mondial des changes et les outils qui y sont vendus pour assurer la protection.

Une transparence faite d’opacité et de perte des repères.

La transparence exigée au regard du fonctionnement des entreprises de l’économie réelle et des Etats s’accompagne curieusement d’une opacité sur les flux monétaires. Ainsi l’épargnant ne sait plus ce que devient son épargne et ce qui se déroule à partir de son compte bancaire. Il croit que l’épargne sert à l’investissement alors qu’il n’est plus qu’une pièce dans la formidable machine à créer de la monnaie. Est-elle devenue machine, équipement, bien immobilier ? un swaps de prix ou de taux ? une garantie sur « Notionnel » ? Un « Credit Default Swaps » (CDS) ? une pièce de « Special Purpose Acquisition Companies » (SPAC) ? une subvention ? une promesse de disruption radicale ? une aide sociale ? un support de rémunération ? un support « d’ETF » ? Nul ne sait car nul ne sait comment s’est matérialisé le formidable pouvoir créateur des banques et le shadow banking qui lui est associé. Par contre, ce qu’il y a de sûr est que cette accumulation ne repose que sur une pointe d’épargne et un énorme corps de dettes.

Que les innombrables produits financiers soient obscurs et parfois incompréhensibles, qu’ils soient complètement étrangers à la réalité économique et surtout qu’ils pèsent de plus en plus lourds dans les PIB ne posent pas de véritables problèmes, s’il est possible d’en accroître en continu la valeur faciale. C’est très exactement ce qui se passe avec les diverses multiples opérations de quantitative easing. Que l’investissement réel diminue et que l’investissement financier  augmente sans limite ne gène plus si la rentabilité du second se trouve durablement garantie. C’est manifestement aujourd’hui le rôle des banques centrales qui achètent sans limite de la dette d’Etats mais aussi des titres privés dont la dette d’entreprise et plus encore des ETF. On peut même dans ce nouveau monde contribuer à tuer des territoires entiers en faisant apparaître des profits qui deviennent de plus en plus mystérieux. C’est, par exemple, le cas du Japon dont la banque centrale achète indifféremment d’énormes quantités de titres. , C’est par exemple le cas des USA dont le congrès ne pourra dans les semaines à venir que voter pour un nouvel élargissement de la dette fédérale. Jadis il était culturellement osé de bloquer politiquement une crise financière. Curieusement, alors que le politique se trouve a priori écarté du jeu financier, et qu’il a juste le droit de s’intéresser aux réformes dites structurelles, il lui est asséné un devoir :  celui de maintenir la croissance et la bonne santé du montre financier. Jusqu’à quand ?

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4 avril 2023 2 04 /04 /avril /2023 07:47

 

 La remontée des taux par les banques centrales depuis la fin de la crise sanitaire mettait un terme à une longue période d’argent gratuit. Ladite période était marquée par un jeu entre  grands acteurs autour d’un agent central : les banques centrales.

Une stabilité acquise avec des bilans comptables géants

Classiquement la gestion de la pandémie correspondait à la distribution de revenus de substitution dans un contexte de blocage de l’économie. Au niveau des bilans comptables cela se matérialisait par des achats considérables de dette souveraine qui vont figurer à l’actif des banques. Cette dette devenait elle-même dépense publique irrigant au final les ressources bancaires nationales ou étrangères : l’argent dépensé par les Etats se trouvait dans les comptes au passif des banques nationales et étrangères. Il y avait donc accroissement de la taille des bilans bancaires pour un montant qui  est celui de la dépense publique additionnelle.

An niveau national, ce jeu était donc celui d’une livraison de monnaie par les banques, monnaie qui était ensuite récupérée par le canal de la dépense publique. Bien évidemment, si un Etat ayant mis sous camisole son économie était aussi le représentant d’une nation dont le déséquilibre des échanges extérieurs était important ( son économie muselée était déjà peu compétitive) les banques de cette nation devaient souffrir davantage. Dans la zone euro, cette souffrance était toutefois amortie par le biais des comptes TARGET des banques centrales. D’où ce slogan stupide si répandu : « l’euro nous protège ».

Sans banque centrale, ce jeu initié par les Etats n’aurait évidemment pas eu d’avenir. Très vite les largesses budgétaires se seraient heurtées aux banques et aux dernières promesses d’investissement dans une économie réelle muselée. C’est ce que les économistes appellent l’effet d’éviction : les crédits se dirigent massivement vers le Trésor assoiffé de liquidités et vont être assortis de taux croissants. Bien sûr un Etat complètement souverain pourrait signifier l’achat obligatoire de bons du Trésor par les banques. Ce fait constituait en France une tradition jusqu’au début des années 70 du siècle passé. Laissons toutefois cette hypothèse en dehors de notre scénario et admettons que logiquement dans le cas de rapports simplement marchands entre les divers acteurs les taux ne pourront que s’élever et que le coût du déficit et de l’endettement deviendra rapidement insupportable.

Précisément, les banques centrales vont se donner pour mission - et ce bien avant la crise sanitaire- de rendre indolore l’endettement public et ses effets sur le système bancaire. En achetant sur le marché secondaire les bons su Trésor que les banques venaient elles-mêmes de se procurer, elles vont assurer la parfaite liquidité d’un circuit dont elles vont devenir l’acteur principal.

D’abord pour les banques l’effet d’éviction disparait et le jeu de l’achat de bons peut  s’amplifier en toute sécurité. En tout premier lieu par le fait que sur le plan réglementaire les titres publics sont considérés comme dette sûre et donc ne consommant pas de capitaux propres. Mais surtout par le fait que l’actif des banques se trouve immédiatement regarni en argent frais : celui des banques centrales qui rachètent parfois dans les 24 heures les titres publics. Par ce jeu, l’actif des banques est donc en principe très solide.

Ensuite bien sûr pour les Etats qui vont voir la demande de bons du Trésor prendre de l’ampleur et vont donc pourvoir les vendre avec un taux faible. En effet les banques n’ont plus peur d’acheter de la dette publique et ne sont plus que des intermédiaires puisque ladite dette se trouvera financée par simple création monétaire.

Enfin pour les agents de l’économie réelle qui ne sont pas victimes d’éviction et vont pouvoir continuer à emprunter à taux réduits ( crédit immobilier, prêts aux entreprises).

Dans cette énumération on oublie pourtant un acteur essentiel : celui de la finance. Les banques qui sont sur le marché de la dette publique sont celles admises par le Trésor. En France, on les appelle les « Spécialistes en Valeurs du Trésor » (SVT) et sont de grands établissements bancaires à compétence universelle. A l’inverse des petites banques qui ne sont pas labellisées par le Trésor, ces banques sont aussi des agents financiers très importants. En achetant directement une  dette publique qui sera immédiatement rétrocédée à la banque centrale, ces grandes banques  sont nourries à l’actif par la générosité de la banque centrale et au passif par les dépenses publiques qui, au travers de l’économie, vont irriguer les comptes courants. Dans le cas de la BCE ou pourrait ajouter les « Long Term Refinancing Operation »(TLTRO) qui vont constituer de gigantesques prêts à taux négatifs au profit des banques.

De quoi voir le total du bilan de ces établissements prendre des tailles démesurées. Ainsi la BNP , bien sûr classée SVT, voit aujourd’hui le total de son bilan représenter près de 115% (oui, cent quinze pour cent) du PIB de la France…Après le crise de 2008, le bilan susvisé était déjà très élevé (près de 70% du PIB) mais la gestion de la crise suivie de celle du COVID vont permettre ce grand bond en avant. Donc un grand bond autorisé par le déficit public et la politique de la Banque centrale. Notons que cette explosion n’a pas affecté les petites banques qui elles sont très largement hors du circuit du Trésor. Comparons aussi ces bilans extravagants avec les bilans des plus grosses entreprises industrielles lesquelles  restent des nains….avec par exemple un bilan de moins de 2% du PIB de la France pour Total Energies  …

Les géants peu armés face à la maladie de l’inflation

Parce que la liquidité devient gigantesque et que les besoins de l’économie sont limités en raison de la crise sanitaire, la liquidité va se transformer en actifs financiers les plus divers : développement des produits de l’Assurance, prêts à la finance de l’ombre spécialisée dans les grandes spéculations, participations dans les fonds de pension, prises d’intérêts dans les hedge funds, développement illimité d’établissements de trading ayant pour cibles toutes les « utilities », développement illimité du « notionnel », etc. En sorte que les bilans consolidés des banques universelles vont non seulement devenir hors de proportion mais aussi devenir très hétérogènes. Alors qu’une banque classique est faite d’un bilan simple où près de  80% du passif est constitué de comptes courants de clients, avec un chiffre équivalent en actifs composé de crédits aux mêmes clients, une banque universelle présente

une profil très différent. Ainsi pour la BNP les comptes courants ne représentent que 38% du passif tandis que les produits financiers de l’actif comptent pour 37% du total du bilan. Cette déformation bilantaire fut très largement favorisée par les comportements corrélés du Trésor et de la banque centrale : la monnaie gratuite s’investit dans des actifs les plus divers et font gonfler des activités éloignées de celles de  la banque traditionnelle.

Ce gonflement devient nécessairement celui du prix des actifs déjà en circulation et de ceux qui viendront s’accumuler avec le maintien de la logique de l’endettement à la fois massif et continu. Mais  ce gonflement a pour contrepartie des pressions inflationnistes qui ne pourront rester cantonnées à la seule finance et se répercuteront sur l’économie réelle, à commencer par le secteur immobilier. La fin de la crise sanitaire, puis la guerre vont entrainer de nouvelles pressions inflationnistes qu’il faudra gérer, ce qui nous renvoie à la période de la hausse des taux initiées par les banques centrales. Toutes puissantes dans la période antérieure, elles vont perdre, au moins momentanément leur capacité à gérer l’existant. La raison est simple : il est plus satisfaisant pour nombre d’acteurs et surtout plus facile de faire gonfler les bilans bancaires avec de l’argent gratuit  que de les réduire avec des taux croissants.

On peut ainsi comprendre que les autorités monétaires vont attendre longtemps avant d’admettre l’idée de retour à l’inflation, et bien sûr la volonté de la combattre comme cela est prévu dans leur mission. Ce n’est donc que depuis peu de temps que la volonté de la combattre est apparue avec pour outil essentiel la hausse des taux.

Il faut bien comprendre ce que signifie l’inflation et son contrôle par les taux pour un grand établissement financier. En terme de bilan, l’actif s’évapore (les cours des obligations diminuent alors que le niveau général des prix augmente), tandis que les dettes (passif) restent ce qu’elles sont. Elles peuvent même augmenter en raison de la modification sructurelle des ressources : moins de dépots non rémunérés et augmentation des produits rémunérés à commencer par les livrets A et les OPCVM. Notons qu’il n’en va pas de même pour un bilan industriel. Pour reprendre - à titre d’exemple- le cas de Total Energies, les champs pétroliers dont l’entreprise est propriétaire ne sont pas affectés par la hausse des taux et encore beaucoup moins par l’inflation. En effet, dans ce dernier cas, l’entreprise qui, certes, peut connaître une hausse de ses coûts, dispose des moyens de les répercuter sur les prix de vente. La finance est donc infiniment fragile face à la volonté de la Banque centrale de relever les taux. En les relevant,  elle affaisse la partie de l’actif des banques ne correspondant pas aux crédits classiques. Pour la BNP c’est donc une partie des 37% de son bilan qui est rogné par l’action de la banque centrale. Mieux, pour la plupart des fonds en euros et en particulier pour l’Assurance-vie souvent composée de titres publics, c’est l’ensemble du stock de titres qui, achetés au cours de la période d’argent gratuit, se trouve rogné. Et comme les clients porteurs constatent que les obligations nouvelles sont autrement rentables que les placements en assurance-vie, la tentation de vendre- une vente faisant diminuer un peu plus les cours- est logique. Même chose pour les fonds de pension qui doivent continuer à verser les retraites alors que l’actif en obligations s’évapore. Les retraites par capitalisation sont ainsi menacées par 2 chemins tous deux issus de la politique de la banque centrale : celui des taux qui fragilise l’équilibre et celui de l’inflation initiée par la stratégie précédente. Le cas des fonds de pension est emblématique puisque cette stratégie des autorités monétaires va entrainer des choix catastrophiques, par exemple la création de swaps de taux censés nourrir les fonds pendant la période d’argent facile, swaps qui vont, se retourner avec la nouvelle stratégie. Quand on sait que ces swaps furent vendus par les banques avec le manteau sécuritaire de la banque centrale, et swaps que l’on va artificiellement gonfler avec un notionnel extravagant, il y a de quoi se sentir désappointé.   

Dans ce contexte on comprend mieux les craquements qui, ici ou là, se manifestent : Silicon Valley Bank, Silvergate, Signature, Crédit Suisse, Deutsch Bank, etc.

Tant pis pour l’inflation : on continue comme avant !

Si l’on considère que l’objectif des banques centrales est de maintenir l’ordre existant, il est très probable qu’elles préféreront la stabilité financière à celle des prix. La stabilité financière, donc le sauvetage du système financier, n’entraîne que des couts réduits pour le reste des acteurs du jeu de l’interaction sociale. Nous venons de voir en effet que l’économie réelle est relativement souple et peut accepter de jouer le jeu de l’inflation : son bilan reste sous contrôle. Il en est de même pour les Etats qui peuvent aussi réagir positivement à l’inflation : les ressources fiscales augmentent mécaniquement, les dépenses peuvent se museler et le capital à rembourser, plus lourd, décroit avec l’éloignement de la maturation.

Cette préférence est déjà très présente dans les choix qui se déroulent sous nos yeux et qui globalement passent  du « bail out » à celui du « bail in ». Clairement^, après la crise de 2008 toute la régulation financière s’est plutôt orientée vers le report du poids des futures crises sur les acteurs internes, donc les actionnaires et responsables du système financier. Tel n’est plus, étonnement, le cas aujourd’hui avec les premières décisions : les investisseurs en capital-risque ont récupéré leurs fonds déposés à la Silicon Valley Bank, le collatéral exigé pour les prêts sera désormais exprimé à sa valeur inscrite et non à sa valeur de marché (Bank Term Funding Program américain), accès sans garantie par la banque centrale Suisse de 100 milliards d’euros pour sauver ce qui peut l’être, etc. De ce point de vue, l’effacement d’une partie de la dette subordonnée ( Additionel Tiers 1) de Crédit Suisse est une exception déjà  vécue comme trop dangereuse par le système bancaire. Clairement, il s’agit tout simplement d’interdire toute crise financière, laquelle doit devenir impossible….et ainsi garantir le maintien de l’ordre existant.

Bien évidemment, le prix à payer de cette stabilité financière acquise aux forceps ne peut être que le renforcement des pressions inflationnistes. Tout aussi évidemment les banques centrales ne peuvent plus assurer la stabilité monétaire qui partout dans le monde était idéologiquement la mission qu’elles devaient assumer en contrepartie d’une prétendue indépendance obtenue à la fin du siècle dernier. De quoi continuer à alimenter des piles d’ouvrages et d’articles universitaires sur la « crédibilité » des banques centrales. On sait pourtant que les vrais débats sont ailleurs : devenus de véritables « proto-Etats » avec l’affaissement du politique, les banques centrales révèlent aujourd’hui leur réalité à savoir maintenir quelles que soient les circonstances un capitalisme complétement  financiarisé.

 

 

 

 

 

 

 

 

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17 mars 2023 5 17 /03 /mars /2023 07:52

 

Sans revenir sur la période précédant le COVID, on savait déjà que l’économie mondiale était engluée dans un endettement public et privé considérable. On sait aussi que la période COVID fut globalement un arrêt de l’économie réelle, le maintien des revenus distribués par des Etats ne donnant plus de limites aux déficits, et une aubaine pour les activités liées au numérique. De cette configuration devait résulter un enchaînement logique :

1 - Parce que les banques centrales achètent sans limite les titres de la dette publique et nourrissent le flux des dépenses publiques, l’ensemble des bilans se gonfle, en particulier le passif des banques sur lequel s’agrègent les revenus sans production des agents les plus divers. D’où les débats sur l’importance de l’épargne qui ne correspond à aucune contrepartie réelle en terme de production . Et les banques centrales prennent le plus grand soin de ne pas gêner l’endettement public en organisant le maintien de taux proches de zéro. C’est la stratégie de l’argent facile avec déjà des conséquences sur l’inflation des actifs. Mais aussi un temps béni pour le développement de toutes les activités liées au numérique, activités qui se nourrissent de l’argent facile et des promesses faramineuses de la digitalisation

2 - Dans le même temps les chaînes de la valeur se brisent à l’échelle planétaire. D’abord en raison du COVID qui marque l’arrêt de production d’intrants voir de produits finis, avec ses effets sur une reprise difficile. Il s’agit là du prix de la logique des flux tendus. L’économie réelle est d’autant plus fragile que l’on est habitué à fonctionner sans stocks, une habitude qui s’est accélérée avec la digitalisation.  Ensuite la guerre en Ukraine et ses effets géopolitiques inattendus vont accélérer la fragilité et le manque généralisé d’intrants dans toute l’économie réelle à l’échelle de la planète.

3 - Création monétaire sans limite d’un côté et blocage de l’offre réelle de l’autre facilitent le développement de l’inflation encore une fois à l’échelle planétaire. Les banques centrales, dont la mission affichée était de bloquer les hausses de prix à 2%,  sont obligées de réagir en tentant une limitation de la création monétaire : on relève les taux progressivement, ce qui vient limiter la valeur des anciens actifs figurant au bilan des banques. En effet, si les taux sur les nouvelles obligations sont plus élevés, il vaut mieux - pour les titulaires d’actifs anciens moins rémunérateurs - vendre et acheter de la nouvelle dette. Offre de titres anciens forte et demande inexistante, cela signifie une perte de la valeur du stock d’actifs dont le poids avait considérablement monté avec la politique d’argent facile. Il en résulte un déséquilibre du bilan des banques : les actifs se dévalorisent et le passif est gonflé par les comptes courants de tous les acteurs bénéficiaires de la dépense publique illimitée. En clair, les engagements (ce qui est sur un compte bancaire est une dette de la banque envers son client) deviennent plus importants que l’actif. De quoi se méfier, et pour les actionnaires des dites banques, et pour les clients…. D’où une baisse des cours et une possible panique des clients soucieux de mobiliser des avoirs qui risquent de s’évaporer.

4 - La baisse frappe les banques mais logiquement tous les actifs financiers directement ou indirectement rattachés. En particulier, les fonds indiciels (Exchange-traded funds) chargés de répliquer la performance du secteur bancaire voient leurs cours s’effondrer, ce qui entraine l’effondrement des titres reflétant plus largement les cours boursiers. D’où un risque d’évaporation d’une quantité considérable de capitaux à l’échelle mondiale.

5 - Les banques centrales sont d’abord soucieuses du maintien de l’ordre existant et donc, se prévalant de la gestions des crises financières antérieures, sont prêtes à payer le prix fort pour empêcher le développement de la crise. On apprend ainsi que les clients de Silicon Valley Bank, se trouvent complètement protégés par la garantie de la FED, laquelle va prêter de l’argent avec en garantie des titres financiers dont la valeur retenue est celle inscrite et non la valeur de marché. Un dispositif semblable risque de se mettre en place partout où le feu couve….

6 - Ce maintien de l’ordre existant est bien évidemment précaire puisqu’il correspond non pas à une nouvelle lutte contre une inflation qui ne faiblit pas mais à une possible accélération : le maintien de l’ordre existant passe par de nouvelles créations monétaires et au moins un arrêt de la hausse des taux. Cette création est aussi encouragée par la guerre qui suppose le passage de nombre d’Etats à une économie de guerre, laquelle se nourrit comme toujours de nouvelles dépenses publiques.

7- Les banques centrales sont ainsi en grande difficulté. Jusqu’ici le maintien de l’ordre existant était une inflation faible et des taux permettant le gavage de la finance ( des cours élevés sur les obligations) et les prodigieuses promesses de toutes les « Silicon Valley » du monde. Le modèle des banques centrales que l’on dit indépendantes est-il en péril ? Ne vont –elles pas, par la force des choses, amorcer un retour vers le modèle d’avant la financiarisation ? Ce qui supposerait  une révolution politique majeure. Affaire à suivre.

 

 

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14 mars 2023 2 14 /03 /mars /2023 14:40

Nous publions aujourd'hui un point de vue sur la crise financière américaine. Nous ne savons pas quelle suite sera donnée à la faillite des 3 banques US. Rappelons simplement qu'un "bank-run" est une panique de déposants qui tentent de sauver leurs fonds logés dans des banques dont on pense qu'elles sont en état de faillite. Si un tel contexte se présente c'est parce qu'il y a  croyance collective selon laquelle les actifs de la banque ne permettent plus d'honorer les engagements. Parmi ces engagements il y a bien sûr les dépôts des clients, clients qui ont peur de voir ces derniers disparaitre. 

Dans ce genre de situation il y a d'abord baisse de la valeur des actifs, baisse qui peut être contenue par le capital et les réserves des banques. Ce premier temps s'accompagne d'une baisse de la valeur boursière des banques: les actionnaires vendent leurs titres de propriété car ils craignent la baisse de valeur.

Cette baisse de la valeur, lorsqu'elle devient importante entraine la panique chez les déposants qui pensent que les banques deviennent insolvables. D'où le "bnak-run".

La véritable question est donc celle de l'origine de la perte de valeur des actifs des banques. L'explication que l'on croit pouvoir donner est celle de la politique monétaire des banques centrales. Ces dernières ont pratiqué des taux nuls ou proches de zéro pendant une très longue période. Cela signifiait une valeur élevée du cours des obligations notamment les obligations publiques correspondant à la dette d'Etat. Dans cette situation si la dette publique nouvelle était assortie d'un taux proche de zéro, c'est parce que les dettes plus anciennes elles-mêmes assorties d'un taux plus élevée, étaient  bien cotées. D'une certaine façon c'était la politique des taux proches de zéro qui tenait bien la valeur des obligations et des actifs en général. Si maintenant les banques centrales, afin de lutter contre l'inflation augmentent les taux , il en résulte nécessairement une baisse de la valeur de toutes les obligations naguère portées par des taux faibles. Ce sont donc bien les banques centrales, qui voulant lutter contre l'inflation, affaissent les actifs des bilans bancaires et les mettent en face d'un risque de "bank-run". 

Nous sommes au coeur d'une contradiction fondamentale: les banques centrales sont responsables de l'inflation en raison d'une politique d'argent facile (on crée massivement de la monnaie dans un monde de croissance faible), inflation que l'on cherchera ensuite à combattre par une hausse des taux destructeurs des banques. Nous ne connaissons pas la suite des évènements présents, mais sous sommes assurés que les banques centrales en leur qualité de "proto-Etats, " (cf les articles consacrés à ce sujet sur le blog) ne laisseront pas une crise majeure se développer. Entre inflation et destruction du système financier les banques centrales choisiront l'inflation.

Le point de vue soutenu par la vidéo qui suit est sans doute un peu différent. Bonne écoute et bonne réflexion.

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18 juillet 2022 1 18 /07 /juillet /2022 16:22

Les choix opérés dès l’irruption de la  pandémie et dès le déclenchement de la guerre par la Russie vont dans le même sens. Avec la première, il y aura maintien des revenus en contrepartie de la disparition de la production. Avec la seconde, il y aura prélèvement de revenus sur une production qui, nationalement, n’existe pas (rente gazière et pétrolière sur production en dehors du territoire national). Maintien d’un côté et prélèvement de l’autre  donneront lieu à perte de richesse. Perte directe d’un côté : il est interdit de produire ; perte indirecte de l’autre : seule l’expression monétaire de l’énergie augmente, ce qui par effet de substitution ( ce que les économistes appellent « élasticité revenu et élasticité croisée »)  viendra diminuer la demande d’autres produits.

Le fonctionnement hors sol des marchés politiques

Le fonctionnement des marchés politiques a invité à l’effacement au moins partiel de cette perte de substance par diverses mesures et aujourd’hui par une loi  dite « loi sur le maintien du pouvoir d’achat ». Sans entrer dans l’épaisseur des détails, cet effacement s’opère par augmentation considérable de la dette publique avec la complicité de la BCE. Cette augmentation est directement une augmentation de la masse monétaire en circulation. Avec la pandémie, le Trésor compense l’affaissement des revenus de la production avec de la monnaie mise à sa disposition par une BCE qui lui achète des bons du Trésor. Avec la guerre, le Trésor finance le prélèvement russe avec le même dispositif. La loi sur le maintien du pouvoir d’achat va amplifier ce processus : subventions diverses sur le prix de l’énergie, revalorisation du point d’indice de la fonction publique, revalorisation des retraites, etc. sont une masse budgétaire qui n’est qu’une masse monétaire crée avec la complicité de la BCE. Et une BCE qui, en principe, doit se battre pour  endiguer une inflation qu’elle suscite tout en la cachant par une hausse des taux de l’intérêt…

Il n’est pas besoin d’être économiste pour savoir que cette monnaie qui ne représente aucune richesse viendra s’ajouter à celle qui en représente réellement. La gestion de la pandémie était déjà porteuse d’inflation : une masse monétaire plus grande que la richesse produite. La gestion de la guerre ne peut qu’accélérer le processus inflationniste : la « loi sur le pouvoir d’achat » veut compenser l’inflation en l’accélérant. Ce que les économistes appellent la spirale des prix et des salaires. Avant même la promulgation de la nouvelle loi, la masse monétaire en France se montait à 1650 milliards d’euros contre seulement 800 milliards en 2015, soit plus qu’un doublement, alors qu’entre temps le PIB en valeur ne  s’est accru que de l’ordre de 25%. Cet écart, probablement une bombe inflationniste, se repère dans un autre écart celui, au niveau de la zone euro,  de la croissance vertigineuse du bilan de la BCE dans le même temps.

La brutalité des chiffres quand on ne veut rien changer

Plongeon- nous dans un petit exercice de prospective pour voir dans quels horizons le fonctionnement des marchés politiques français risquent de plonger le pays.

Retenons quelques hypothèses de raisonnement : Un horizon de 8 années qui représente la moyenne des échéances d’une dette Publique proche de 3000 milliards d’euros ; une croissance en valeur de 7% composée d’un accroissement réel de 2% et d’une inflation de 5% ; aucun changement dans la  stratégie fiscale de maintien de tous les taux ; aucun changement dans la forme et le contenu d’un Etat social ; un taux de l’intérêt nominal de la dette publique de 4%, ce qui représente – eu égard à l’hypothèse d’inflation-  un taux réel de – 1%, taux  proche de celui du début de la présente année.

Sur la base de 8 années, les ressources fiscales augmentent au même rythme que la croissance en valeur (7%). Ces ressources de 217 milliards en 2020 deviennent 397 milliards en 2028. La charge des intérêts de la dette publique ( 34 milliards en 2020) devient :  3000 milliards X 4% = 120 milliards.

Le bilan est catastrophique : En 2020 la charge des intérêts représentait 34 milliards sur 217 de ressources fiscales soit déjà 15,6% ( 34/217). En 2028 elle représenterait 120/ 397= 30%. Cela signifierait une réduction obligatoire colossale de la dépense publique, soit l’inverse de ce qui est proposé dans la loi sur le pouvoir d’achat. Bien sûr, on pourrait imaginer une BCE se bornant à limiter le taux à 2%. Dans ce cas nous aurions une masse d’intérêts de 60 milliards d’euros, ce qui représenterait 60/397= 15,1% et donc un quasi maintien du poids de la dette. Cette hypothèse est toutefois assez irréaliste car elle signifierait un taux d’intérêt réel beaucoup plus négatif encore : - 2%.

L’irréalisme de cette hypothèse tient au fait que la FED américaine se trouve elle dans une politique beaucoup plus restrictive et donc une hausse des taux faisant fuir l’épargne européenne vers le dollar ce qui se manifeste par une chute de l’euro par rapport au dollar. Plus précisément encore elle tient au fait qu’un taux négatif de -2% affaisserait la valeur des patrimoines financiers européens et leur départ vers de meilleurs cieux. Cela renforcerait les tendances inflationnistes avec la hausse du coût des importations dont celui de l’énergie ce qui est très difficile pour une Allemagne qui a déjà vu la hausse de ses coûts industriels atteindre les 20% depuis un an. Cela renforcerait  aussi le risque de crise financière.

Le monopole des passagers clandestins autour de la table des négociations

Du point de vue des grands acteurs de la zone, il est clair que le dispositif institutionnel européen fait que les marchés politiques européens, marchés déjà largement cartellisés, ont besoin de la complicité de la BCE, et une complicité adaptée -sous la houlette de la finance- à chaque marché politique national. En retour, cette même BCE est complètement prête à se transformer en proto-Etat fédéral afin de sauver la finance  et   sauver sa propre bureaucratie : elle est prête à sauver les marchés politiques européens et la finance pour se sauver elle-même. Toutefois ce proto-Etat européen que serait la BCE se trouve dans un piège : comment se sauver, sauver la finance, et sauver les marchés politiques européens sans augmenter les taux, dont on voit l’impasse pour un pays comme la France, et sans les réduire ce qui correspondrait au renforcement de  l’inflation pour certains pays fragilisés. Nous avons là le casse-tête du dispositif anti-fragmentation que la BCE tente de construire cet été : beaucoup d’acteurs autour de la table. Et tous sont devenus passagers clandestins d’une construction qui dépasse chacun et qu’aucun ne veut voir disparaitre, surtout dans un contexte géopolitique devenu guerrier. Bref: une cartellisation solide de passagers clandestins sur un navire ingouvernable.

Concrètement, il s’agit d’obtenir un accord confirmant le statut de proto-Etat de la BCE favorisant la finance et tous les marchés politiques nationaux. On ne peut plus en raison de l’inflation, même en violant les règles européennes, augmenter sans limite la masse monétaire au profit de certains et on ne peut pas augmenter les taux pour d’autres. Nous ne sommes pas autour de la table des négociations mais on peut parier que le dispositif anti-fragmentation qui naitra passera aussi par une réduction des achats de dettes publiques et une hausse significative d’obligations privées. Nous n’avons que peu de chiffres concernant la proportion d’obligations de dettes privées dans le total des achats de la BCE. Toutefois on peut estimer que cette proportion tourne autour de 10%. En se portant davantage acheteuse en dernier ressort de dettes privées, voire d’actions, la BCE offrirait une garantie face au risque de crise financière : il n’y aurait pas, au titre d’une lutte contre l’inflation, de répression financière. Au-delà on peut même imaginer qu’en allant plus loin dans son statut de proto-Etat, elle imposerait des clauses d’investissement obligatoire dans ses achats. En augmentant considérablement la part de dette privée achetée, et corrélativement en diminuant la part de dette publique dont l’essentiel partirait dans une logique de maintien du pouvoir d’achat présent, le proto-Etat BCE pourrait construire le compromis : moins d’épargne spéculative, davantage d’investissements productif de richesse et producteur d’avenir, moins de masse monétaire pour alimenter une demande globale face à une offre encore insuffisante.

Le regard tourné vers la cheminée du proto-Etat en formation à Francfort, nous attendons la fumée blanche, signal d' un nouveau délai d'attente devant le  précipice.

 

 

 

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5 mai 2022 4 05 /05 /mai /2022 15:41

Les pays de l’Union Européenne réglaient jusqu’ici les achats en énergies fossiles en Euros ou en Dollars. Les exportateurs correspondants, essentiellement les agents des pays du golfe et de la Russie, pouvaient convertir le chiffre d’affaires en monnaies locales mais une bonne partie restait sous la forme d’obligations publiques sur les Etats de l’Union et surtout sur les USA. Il en était de même plus globalement pour l’ensemble des achats que l’Occident effectuait au reste du monde dont en particulier la puissante Chine. L’acceptation des devises occidentales par les grandes zones excédentaires (Chine , Russie, Emirats) était ainsi très favorable au taux de change de ces monnaies et en particulier cette devise clé qu’est le dollar.

Le scénario d’une stratégie de « dédollarisation » montée par la Russie et la Chine

De ce point de vue la décision de la Russie concernant l’obligation de payer le gaz en roubles constitue une réelle menace d’un possible changement radical de l’ordre monétaire international. Si l’on imagine un scénario général de « dédollarisation » qui serait imaginé par une alliance impériale entre Russie et Chine, il faudrait que les pays occidentaux financent leurs déficits commerciaux en achetant des devises (roubles et yuans) voire de l’or. Les pays connaissant les plus lourds déficits sont les USA (environ 900 milliards de dollars) le Royaume-Uni (210 milliards de dollars) et la France (110 milliards de dollars).  En dehors de l’hypothèse d’un achat direct en or, cela signifierait,  sur le marché mondial des changes une offre accrue de devises occidentales (essentiellement Dollars, Livres, et Euros) pour plusieurs milliards de dollars journaliers, et une demande accrue de roubles et de yuans pour un même montant. Il s’ensuivrait une hausse d’autant plus considérable des cours de ces deux dernières  monnaies que les excédents russe et chinois sont élevés (80 milliards de dollars pour la Russie et 478 milliards pour la Chine). Si ces 2 pays vendaient en devises nationales et achetaient en dollars, les pays occidentaux pourraient les inviter à acheter leurs importations depuis l’occident en devises nationales, de quoi trouver sur le marché des changes davantage de ces monnaies et donc d’en limiter la hausse du cours. Mais aussi de quoi  mettre fin à ce qu’on appelle la force des devises clé, donc assister à l’affaiblissement durable du rôle du dollar.

Quelle que soit la solution retenue, dans la mesure où pour les trois grands pays occidentaux envisagés existe  un déficit considérable, il est clair que les forces de rééquilibrage seraient énormes. En raison des élasticités-prix sur les offres et demandes internationales USA, Grande-Bretagne, France seraient amenés à connaître un flux d’importations décroissant et un flux d’exportation croissant.

Quelles conclusions tirer de ce scénario ?

Sans forces contraires ou compensatrices :

 - Les coûts des importations occidentales vont devenir durablement plus élevés et les termes de l’échange pour les 2 empires en voie de constitution vont s’améliorer. Ceux des pays occidentaux vont se détériorer.

- Les avantages d’une mondialisation impulsée par l’Occident disparaissent et les chaines de la valeur vont connaitre un périmètre plus réduit.

- Les déficits publics des grands pays déficitaires ne seront plus comblés par l’achat d’obligations publiques par les 2 empires en voie de constitution. Par effet de coût plus élevé de la dette publique, Il en résulte une baisse directe de l’Etat social (France) ou une pression sur les dépenses souveraines, en particulier militaires (Etats-Unis). Globalement l’Occident ne peut plus vivre au-dessus de ses moyens.

- La pression à l’auto centrage des économies s’accroit (Allemagne, et Chine notamment). La fonction « usine du monde » s’estompe pour ces deux derniers pays.

- L’incertitude sur la fonction "réserve de la valeur" de la monnaie augmente : quelle devise clé peut remplacer sécurité et  liquidité extrême offerte par le Dollar ? Quelle conséquence sur l’énorme château de cartes financier mondial dont l’indispensable lubrifiant/ciment est la trilogie fluidité/sécurité/profondeur de marché garantie par le Dollar? Pensons par exemple à la montée vertigineuse des coûts de couverture du risque de change qui résulterait d’un tel scénario.

- Si les 2 empires en voie de formation proposent comme  vient de le faire la Russie un achat d’or contre les devises nationales (Rouble et Yuan) la baisse du taux de change des devises occidentales ne serait pas limitée par le paiement d’une partie du déficit en or. En effet la demande mondiale d’or augmentant, son prix serait en hausse et donc la contre partie en devises occidentales baisserait. Ce phénomène déjà enclenché par des achats massifs de métal par les banques centrales, résultant de l’application des nouvelles règles de « Bâle 3 » ne pourrait que se développer au grand avantage des empires en quête de puissance. Il vaut mieux disposer dans le bilan de ces empires, d’actifs en or à valeur croissante que d’obligations publiques occidentales de valeur douteuse.

Quelle occurrence pour un tel scénario ?

Les deux empires qui cherchent à se définir comme tels connaissent des fragilités :

- Une fragilité commune qui est celle d’une faiblesse démographique extrême handicapant lourdement les projets impériaux . En particulier la Chine va payer très longtemps et très lourdement  sa politique de l’enfant unique ayant abouti à un déséquilibre extrême de son sexe ratio en faveur des naissances masculines.

- Une fragilité résultant de situations économiques, culturelles et sociales très opposées entrainant toute possibilité de construction d’une stratégie collaborative durable. La Russie est une structure en déclin cherchant à pérenniser une puissance en voie de disparition par recherche de déstabilisation de l’ordre international. A ce titre la tentation impériale consiste à s’en remettre à une stratégie de simple sabotage. A l’inverse la Chine est un empire en réémergence dont la stratégie de puissance et de conquête s’appuie sur l’ordre international tel qu’il l’est encore. Il s’agit ici moins de saboter que de se substituer à l’Occident. Les nouvelles routes de la soie constituent le signe le plus évident de cette volonté. Et cette incompatibilité stratégique résulte d’une vision différente de l’histoire et de son interprétation. Les deux empires ne vivent pas leur passé de la même façon : la Russie le ressasse pour cracher du venin alors que le second y prend appui pour dépasser les performances occidentales.

- Une fragilité résultant d’un effet d’entrainement douteux : quels avantages peuvent retirer les autres Etats d’une évaporation du dollar sachant que pour nombre d’entre-eux la réalité historique peut s’accomoder de l’ordre occidental (Inde, Brésil, Afrique du Sud, etc), tandis que pour d’autres la réalité vécue est pour l’essentiel simple  rente captée sur l’ordre existant (pays du golfe, Etats pétroliers, etc.) ?

Le rôle politique d’un Occident qui chercherait  à se protéger collectivement, est donc de limiter les mauvaises relations avec chacun des deux empires, et d’élargir les incompatibilités stratégiques entre-eux. Les diplomates seraient invités au travail correspondant. La spécificité historique et culturelle de la France est dans ce jeu un atout essentiel qui n’est hélas jamais perçu.

 

Jean Claude Werrebrouck le 4 mai 2022

 

 

 

 

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