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21 mars 2020 6 21 /03 /mars /2020 16:31

Lorsque l’on a créé la monnaie unique, les concepteurs savaient peut-être que l’on créait un objet disposant du statut de ce que les économistes appellent un « commun ». Ces mêmes économistes expliquent souvent que le destin des communs est souvent tragique. Pour comprendre ce phénomène, nous pouvons utiliser l’exemple des pêcheurs en concurrence sur l’océan.

Parce qu’en concurrence pour l’accès à la ressource halieutique, la gestion des pêcheurs est logiquement celle d’une hausse continue des prélèvements, la conséquence finale étant tout aussi logiquement la raréfaction de la ressource. Les économistes libéraux en déduisent que c’est en réglementant l’accès à la mer que la bonne gestion des ressources –le soin apporté à leur  reconstitution – sera assurée.

Ce simple raisonnement de bon sens est celui qui fut retenu lors de la construction de l’Euro. Au temps des monnaies nationales et des banques centrales arrimées aux Etats, la dette publique ne passait pas automatiquement par le canal du marché et les banques susvisées finançaient directement certains Etats. Chose aisée avec toutefois une limite, celle d’une possible inflation et d’une baisse du taux de change. Si le passage à la monnaie unique n’avait pas été accompagné de la création de la BCE et de l’interdit d’un financement direct des Etats, nous nous serions retrouvés dans la situation de la pêche et de la disparition de la ressource, ce que l’on désigne comme « tragédie des communs ».

Si, en effet, nous n’avions pas privatisé les banques centrales, ce qu’on appelle faussement leur « indépendance », Chaque Trésor National aurait pu « pêcher gratuitement des euros »….il en aurait résulté sa tragédie, c’est-à-dire la disparition progressive de sa valeur. Chaque Etat ayant individuellement intérêt à « pêcher des euros », d’où une émission incontrôlée de monnaie et finalement la ruine.

Ainsi de la même façon qu’il faut réglementer la pêche en mer, il fallait interdire aux Etats la « pêche aux euros » et donc inventer le marché de la dette publique, lequel passe dans tous les Etats par une institution semblable et qui s’appelle pour la France l’Agence France Trésor.

Mais ce n’était pas suffisant pour éviter la « tragédie des communs », le risque étant qu’un Etat particulièrement dépensier, et pourtant respectueux du marché de la dette publique, se mette à « pêcher des euros » chez les voisins….En effet, toute tension sur les prix (le taux de l’intérêt) par un comportement dépensier, attirerait des acheteurs d’autres pays…. autorisant ainsi l’Etat dépensier de ne pas payer le prix de son comportement dépensier. Difficile de sortir de la « tragédie des communs » 

C’est pourquoi Bruxelles inventera une réglementation plus stricte : des quotas de pêche sous la forme de limites aux déficits budgétaires et à l’endettement. Nous retrouvons ici les règles bien connues – les 3% et 60% -  qui ont fait l’actualité jusqu’à maintenant.

Hélas, l’histoire ne se termine pas facilement, car il fût possible de tricher (la Grèce), et il a aussi fallu gérer les factures de la crise financière de 2008. Comme il fut décidé, à l’échelle quasi planétaire, que c’étaient aux Trésors Publics de solder les comptes, il a fallu des politiques restrictives dont l’irréalisme devait aussi déboucher sur les fameux QE de la BCE… Là encore un risque de « tragédie des communs » et donc, on ne pouvait remettre aux Etats en difficulté, des poissons ( des euros) sans respecter des proportions. Les petits Etats ne peuvent pas se voir remettre plus de poissons (des euros) que les grands Etats. Nous avons là la règle de la proportionnalité en fonction du poids du capital dans la BCE, lui-même calculé à partir des PIB. Un petit bateau de pêche ne peut pas jouir de moyens disproportionnés lui permettant d’obtenir davantage que les gros…

Nous arrivons peut-être à la fin de l’histoire avec à priori la décision de Madame Lagarde de ne plus respecter les proportions, une décision qui s’accompagne d’une autre décision plus incroyable encore : la Commission abandonnerait son attirail de règles budgétaires….vous avez bien lu.

S’il n’existe plus de règles dans la « pêche aux euros », allons-nous vers la disparition de ce qui devait devenir une grande monnaie de réserve ?

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10 décembre 2018 1 10 /12 /décembre /2018 16:01
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9 mars 2018 5 09 /03 /mars /2018 06:53

 

Avant de se poser la question du choix qui sera retenu par le Président de la république italienne à des fins de projet de gouvernement, il est bon de faire le bilan économique du pays au lendemain de l’élection du 4 mars dernier.

Les chiffres les plus classiques sont bien connus pour 2017 : PIB de 1672 euros avec une croissance de 1,5%, un taux de chômage de 11,1%, un déficit public de 1,9% de PIB, un taux d’inflation de 0,6%, et un excédent extérieur de 1,6% de PIB.

Ce qui est déjà moins connu est la baisse nette de la population (- 100 000 personnes en 2017) ou une production industrielle en recul de 20% par rapport à l’avant crise, ou encore une baisse nette des capacités de production manufacturière (- 15%). Ce qui est peu connu également est le décrochage du pays par rapport au reste de la zone euro : un investissement productif qui, sur la base 100 en 1998, se porte à 110 pour 2017 alors qu’il est à 160 pour les autres pays ; une productivité par tête qui, sur la même période, passe à 96 contre 116 pour le reste de la zone[1] ; des exportations en volume qui, toujours pour la même période et la même base, passe à 140 contre 200 pour les voisins. Cette dernière évolution tend à relativiser grandement l’excédent extérieur (1,6% du PIB) qui n’existe que parce que les importations sont comprimées par une demande globale faible.

Compte tenu de ces éléments auxquels il faut ajouter un score de l’appareil de formation qui place l’Italie dans les derniers rangs des pays de l’OCDE (score global PIAAR), et d’un investissement public très faible, on comprendra que la croissance potentielle est extrêmement réduite (0,5 Points de PIB).

C’est dans ce contexte qu’il faut évoquer la question de l’Italie au sein de la zone euro. La dette publique se monte à 133,4 points de PIB, une dette elle-même pimentée par des bilans bancaires portant sur au moins 150 milliards de « prêts non performants »[2]. Cette dette est très fluidifiée par le quantitative easing de la BCE, laquelle dépasse régulièrement ses quotas d’achats pour le pays. C’est ainsi que, depuis 2015 jusqu’à fin 2016, la banque centrale a acheté 300 milliards d’euros de dette publique pour un prix de marché bien supérieur à la valeur réelle, soit 3 fois le montant net de dette vendue par le Trésor italien. Soulignons enfin que le solde TARGET de l’Italie (450 milliards d’euro au 31 décembre 2017) est le plus négatif de toute la zone euro, ce qui signifie que, de fait, la Banque centrale italienne est endettée vis-à-vis de la BCE pour un montant colossal.

Même dans l’hypothèse de maintien théorique d’un quantitative easing, le taux d’intérêt à long terme (2%) dépasse la croissance potentielle en valeur ( 0,5% en volume+ O,6% d’inflation). Cela signifie qu’une part croissante du PIB devrait être consacrée au remboursement de la dette : le supplément de richesse produite est insuffisant pour faire face au volume de remboursement. Très approximativement, sur la base de la croissance potentielle, le supplément de richesse est de l’ordre de 20 milliards d’euros, à comparer à une  charge annuelle de la dette de l’ordre de 35 milliards. Cela signifie que plus de 100% de la croissance est absorbée par le poids de la dette. Cela signifie aussi le choix de faire tourner la dette sur des durées faibles pour bénéficier de taux plus avantageux et réduire la ponction financière sur l'économie réelle. Certes, la dette italienne est relativement nationale,[3] toutefois cela signifie une modification progressive de la répartition du revenu national au bénéfice des rentiers. Cela signifie aussi qu’avant les élections du 4 mars il était nécessaire de réserver un traitement particulier pour l’Italie. Concrètement  : des transferts en provenance de la zone euro … interdits en application de l’article 125 du traité de Maastricht[4]. On comprend aussi que toute fin du quantitative easing aurait d’importantes répercussions, avec notamment la fin probable de l’accès au marché financier et l’insolvabilité du Trésor assortie d’un effondrement bancaire associé à celui du patrimoine des épargnants italiens. Au regard d’une telle catastrophe potentielle, on peut  imaginer l’application de la règle de l’OMT[5], laquelle autoriserait la BCE à acheter sans limite la dette publique italienne… mais un tel dispositif ne peut fonctionner que sous contrainte d’ajustements structurels sous la houlette attentive du MES[6]

C’est dans ce contexte que parvient aux portes du pouvoir des politiques dont le programme ne tient pas compte des règles du jeu de la zone. Qu’il s’agisse de la Ligue ou du mouvement 5 étoiles, il est normalement prévu d’augmenter sensiblement le déficit public, soit sous la forme de baisse d’impôts ( Ligue), soit sous forme de hausse de la dépense (5 étoiles). D’une certaine façon les résultats de la vie démocratique ne respectent pas les règles du jeu. Est-il possible de changer les résultats pour respecter le jeu comme le firent la Troïka et Syriza en Grèce ?

Au-delà d’une nouvelle consultation électorale dangereuse et donc peu probable, quels scénarios peuvent être envisagés ?

Le premier est celui du chemin choisi par la Grèce. Il n’est pas improbable car le nouveau pouvoir disposerait de marges de négociations plus importantes que celui de Syriza. On peut donc imaginer une aide sans mise sous tutelle. Ce chemin est pourtant difficile car la situation du pays est particulièrement grave et le nouveau pouvoir vite décrédibilisable. Il n’est pourtant pas impossible car le rapport de forces est fondamentalement différent : ce ne serait plus l’Allemagne et ses 8 satellites[7] qui pousseraient le demandeur vers la sortie, mais ce dernier qui pourrait mettre fin à une  compétitivité allemande reposant sur une monnaie et des règles qui lui sont trop bien adaptées. La menace du démantèlement de la zone par une Italie 10 fois plus lourde que la petite Grèce a de quoi faire réfléchir les inconditionnels de l’article 125 du Traité qui se délectent dans des excédents extérieurs illégitimes. Si l’on tient par-dessus tout au maintien de règles iniques, il faut bien accepter de discuter, à la marge, du point de vue d’un partenaire trop puissant pour le laisser dans les cordes.

Le second est plus radical et consisterait à sortir unilatéralement de la zone euro en prenant appui sur les turbulences financières, qui interviendraient dès les prémisses d’application d’un programme politique ne respectant pas les règles du jeu. De ce point de vue, l’Italie dispose là encore de moyens non négligeables. Le solde TARGET n’est qu’un tigre de papier qui, après avoir fait la fortune de l’Allemagne, se révèlera être de la fumée. Par ailleurs, la dette publique étant largement nationale, les épargnants résidents ne seraient pas pénalisés. Bien évidemment cela passe par le rétablissement d’un authentique pouvoir monétaire, avec respect des contrats de dettes privées garantis par un excédent extérieur. Tout aussi évidemment l’euro disparaitrait en tant que monnaie commune du grand espace européen. L’Italie nous ferait ici entrer dans un tout autre monde.

Quelque soit le scénario qui s’imposera le rétablissement de l’Italie s’inscrira dans la longue durée.

 


 

[1] Il faut noter que sur la période récente la croissance de la productivité est ramenée à 0.

[2] Il est difficile de chiffrer de manière rigoureuse le volume de ces prêts. Disons simplement qu’ils permettent aussi de maintenir nombre d’entreprises « zombies »  en activité. Parce que les banques peuvent tout perdre, elles préfèrent – en se servant du quantitative easing- prêter à taux bas, ce qui entraine aussi le maintien en activité d’entreprises qui pèsent dans le PIB et amoindrissent les gains de productivité.

[3] Environ 63% de la dette est détenue par des résidents.

[4] « Un Etat membre ne répond pas  des engagements d’un autre Etat membre, ni ne les prend à sa charge »

[5] Opérations Monétaires sur Titres.

[6] Mécanisme Européen de Stabilité.

[7] Danemark, Estonie, Finlande, Irlande, Lettonie, Lituanie, Hollande, Suède, pays qui sous forme d’une exigence de négociation inclusive concernant le futur de la zone, viennent de confirmer par lettre le point de vue habituel de l’Allemagne.

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7 mai 2015 4 07 /05 /mai /2015 14:35

La remontée des taux depuis quelques jours semble apporter de nouvelles inquiétudes. A cet égard nous republions un texte en date du 27 octobre 2014, texte concernant à l'époque les tests de résistance. Cet article s'intitulait: "Tests de résistance positifs mais bilans bancaires fragilisés' et évoquait déjà le risque des taux trés bas.

 

Résumé: Les tests de résistances bancaires publiés le 26 octobre  rassurent la zone euro. Pourtant  les taux très faibles organisés par la BCE développent le risque d'un tsunami financier alors même qu'ils sont censés lui faire barrage.

La BCE rassure sur l'état de santé global des banques européennes. Il est vrai que l'examen de la méthodologie retenue est sérieux. Au delà d'une revue rigoureuse de la qualité des actifs (AQR), les tests de résistances ont intégré 5 grands risques (crédit, marché, titrisation, taux, souverain), dans deux scénarios ( actuel et adverse ou stressé), d'états macro-économiques ( croissance, chômage, taux longs, situation de l'immobilier, inflation).

Pour autant,il apparait que le risque de valeur des actifs est fort mal apprécié dans le modèle retenu, en raison de la politique de taux anormalement bas, développée par  une BCE en grande difficulté dans sa volonté de relancer le crédit. C'est cette insuffisance qui fait l'objet de ce très bref billet.

Partons de la relation inverse entre taux et cours, propriété qui fait partie de l'outillage de base propre à la compréhension du fonctionnement des marchés financiers.

Prenons le cas de la dette publique en général.

Une émission de bons du Trésor à 5% signifie que si le titre bénéficie d'une valeur inscrite de 100, son acquéreur se verra octroyer un rendement de 5. Si le marché secondaire n'accorde pas sa confiance au titre, sa valeur boursière va se détacher de la valeur inscrite. Si l'on suppose que le cours passe ainsi de 100 à 50, cela signifie que l'acheteur sur le dit marché secondaire bénéficiera d'un coupon de 5 sur un titre qui ne vaut que 50, soit parconséquent une rentabilité de 10%. Un marché qui boude ainsi une dette publique, obligera l'Etat correspondant à offrir - au titre de ses nouvelles émissions- un taux de 10%  et non plus de 5%, pour continuer à alimenter son Trésor. La conclusion figure dans tous les manuels d'économie : lorsque les taux baissent les cours montent et inversement, lorsque les taux augmentent les cours baissent.

Bien évidemment les actifs des bilans bancaires sont affectés par une montée des taux et, si par hypothèse extrême ils sont gorgés de dettes publiques, leur insolvabilité est vite assurée. D'où une crise systémique. D'où aussi l'utilité de stress-tests commençant par l'évaluation des actifs pondérés des banques, la célèbre AQR.

Tentons de reproduire le raisonnement dans la situation, encore présente aujourd'hui, où les taux sont durablement et depuis plusieurs années très faibles. Une défiance des marchés, par exemple concernant les dettes publiques de la zone sud de l'Europe, peut entrainer un passage de 1 à 2% des taux. Cela signifie que la valeur inscrite qui était par exemple de 100 ne vaut plus que 50, d'où la difficulté de recourir à des émissions nouvelles.

Pour autant, dans ce nouvel exemple la chute des cours (division par 2) ne résulte que d'une variation de seulement 100 points de base (1%) alors que dans l'exemple précédent la variation se montait à 500 points de base (passage de 5 à 10%.

La conclusion de ce petit exemple est simple : la sensibilité de la valeur des actifs bancaires est beaucoup plus importante dans les périodes où les taux sont durablement faibles. Corrélativement, elle l'est beaucoup moins lorsque les taux sont élevés. Cette sensibilité ne semble pas avoir été prise en compte dans l'évaluation des risques de taux par les organisateurs des stress-tests dont la publication vient d'intervenir.

C'est dire que, malgré les efforts passés de recapitalisation, et efforts à venir pour les banques mauvaises élèves, qui ne respectent pas encore les ratios CETI de 8% pour l'AQR et de 5% pour le stress test ,  la probabilité de risque systémique est beaucoup  plus importante aujourd'hui qu'elle ne l'était il y a 10 ans.

 

 

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21 février 2015 6 21 /02 /février /2015 07:03

Résumé: Il n'existe pas d'espace sérieux de négociation possible entre l'Allemagne, ses  satellites et autres pays en situation de servitude volontaire et la Grèce. Le choix de la Grèce sera plutôt une sortie de l'euro que son maintien par réquisition de sa banque centrale. L'avenir du reste de la zone, et donc le maintien ou non de la grande dépression européenne, dépendra très largement du succés ou de l'échec du rétablissement de la souveraineté grecque.

Nous avons souvent souligné que la probabilité du démontage de la zone euro selon le mode panique était  plus élevée que celle issue d’une négociation entre Etats[1]. Le présent texte apporte quelques nuances aux publications antérieures.

Les derniers évènements survenus en Grèce ne modifient pas fondamentalement le paysage. Nous pensons seulement que la montée de l’antagonisme entre la Grèce et les autres pays de la zone est probablement inéluctable  et qu’elle mettra dos au mur le pouvoir grec. Un pouvoir qui n’aura que le choix entre l’aventure de la fin de l’euro et son rejet , brutal et probablement violent, par le peuple grec.

La montée de l’antagonisme résultera de la volonté de sauvegarder le dispositif tel qu’il est par les pays qui en sont encore les bénéficiaires (Europe du nord) mais aussi par les pays du sud dont les entrepreneurs politiques au pouvoir ne peuvent se déjuger sans être balayés par les urnes.

Il existe une alliance objective des pouvoirs en place au sein de la commission, les faucons se trouvant peut-être davantage dans le sud, victime, que dans le nord bénéficiaire.

Ceux du Nord craignent un effet contagion si des conditions trop généreuses se mettent en place en Grèce. Ceux du sud craignent plus  simplement  pour leur  survie. La chaîne reliant tous les pays de la zone face à la Grèce ne peut se briser, alors même que tous restent passagers clandestins[2].

Côté grec, le soutien populaire massif ne peut être déçu et les entrepreneurs politiques au pouvoir sont dans une situation où la trahison est très difficile. Ils seront aidés en cela par des considérations géopolitiques dans lesquelles nous retrouvons l’appui de la Russie et la bienveillance de la Chine.

La tension montant, arrivera un moment où SYRISA abattra ses dernières cartes : le défaut, ou/et la réquisition de sa banque centrale.

En refusant d’honorer les échéances de la dette, le défaut est un moyen de mobiliser les ressources nécessaires au plan de sortie de l’austérité.

La réquisition de la banque centrale est un autre moyen de mobiliser des ressources.

Les autres solutions sont inenvisageables car mobilisant trop de temps du point de vue des marchés politiques grecs, et/ou se rapprochant trop du défaut du point de vue des marchés politiques du reste de la zone.

Un espace de négociation théoriquement nul

Tout d’abord l’idée d’appuyer les dépenses liées à la fin de la crise humanitaire sur les recettes fiscales jusqu’ici non recouvrées (75 Milliards d’euros ?) ne peut être opérationnel en raison du temps très long des recouvrements potentiels.

Par ailleurs, le seul maintien du taux d’endettement (175% du PIB) exige déjà un excédent primaire supérieur à 1%. Calculé sur la base d’une croissance en volume de 2% et un taux de l’intérêt de 2,5%  ce solde primaire de stabilisation de la dette est déjà optimiste en raison d’une déflation plus importante en Grèce que dans le reste de l’Europe. Il est encore plus optimiste d’imaginer des taux de croissance plus élevés permettant de diminuer très progressivement le poids de la dette. La raison en est simple : il faudrait un excédent primaire plus élevé, donc un effet dépressif en parfaite contradiction avec l’idée de croissance plus élevée[3]. Par conséquent l’idée de se donner des marges de manœuvres en réduisant la dette sans passer par un défaut ou une renégociation est totalement irréaliste.

Du point de vue des marchés politiques du reste de la zone, de la BCE et du FMI, nous sommes également aux limites du possible et ce, pour plusieurs raisons :

             * La Grèce bénéficie dans le cadre de la première restructuration de sa dette de privilèges qui n’ont été accordés à aucun autre pays. Ainsi au-delà des taux préférentiels accordés par les pays membres et le FESF, la dette grecque figurant à l’actif du bilan de la BCE est gratuite puisque les intérêts versés par le Trésor sont intégralement reversés à ce dernier par la BCE.

              * De la même façon, les taux moyens étant très bas et la maturité beaucoup plus longue que celle constatée dans les autres pays du sud, le passage souhaité par la Grèce à une dette perpétuelle assortie d’un taux indexé sur la croissance revient à un quasi défaut du point de vue des pays du Nord. En toute rigueur comptable, cela signifierait des pertes pour le FESF, les pays prêteurs et la BCE qui verrait se loger à son actif des titres sans valeur. Les pertes les plus importantes étant celles de l’Allemagne au titre des prêts directs et des garanties offertes au FESF[4].

               * Au tota,l nous sommes dans un espace de négociation où, toutes choses étant égales par ailleurs, il n’existe aucune zone d’échanges mutuellement avantageux possibles. Seules l’intervention d’autres paramètres comme par exemple des considérations géopolitiques ou des lobbyings intenses sur les entrepreneurs politiques peuvent modifier- et probablement marginalement- cette cruelle constatation[5].

Identification des stratégies dominantes chez les acteurs principaux

Du point de vue théorie des jeux, les entrepreneurs politiques au pouvoir à Athènes laisseront clairement percevoir cette stratégie - défaut ou/et réquisition de la banque centrale - en face de laquellei les institutions (ex troïka) prendront position.

Hélas, les entrepreneurs politiques grecs se rendront vite compte que cette menace ne peut ouvrir un espace de négociation. Par peur, tous les pays de la zone laisseront à l’Allemagne le monopole d’une décision qui sera…. évidemment imputée au gouvernement grec[6].

Ll’Allemagne, en effet,  aura à choisir entre aider la Grèce au prix d’une disparition de ses privilèges et de risques politiques internes ou maintenir sa position avec les avantages politiques associés au prix d’un risque d’effondrement de la zone.

Il existe toutefois un troisième scénario qui est celui du mensonge assumé par les deux parties. Son contenu serait simple et consisterait à présenter des chiffres irréalistes concernant le futur proche, par exemple celui concernant les recettes fiscales ou la croissance, de quoi permettre un début d’application du programme de SYRISA contre une autorisation allemande. C’est, au demeurant, ce scénario qui devrait l’emporter dans un premier temps. Toutefois très rapidement la réalité devrait à nouveau frapper à la porte et remettre en pleine lumière l’inextricabilité de la situation et donc la décision de SYRISA d’obliger l’Allemagne à choisir entre l’aide ou son refus.

D’où deux scénarios :

1. Décision d’aider la Grèce :

                         - Contestation de la coalition au pouvoir en Allemagne (AFD notamment) 

                             - Montée des populismes dans le sud, notamment en Espagne

                             - Fin des politiques d’austérité

                             - Monétisation massive de la part de la BCE

                             - Décision très consensuelle d’une sortie de l’euro par                

                                les entrepreneurs politiques  allemands.

2. Décision de ne pas aider la Grèce :

                               - Maintien de la coalition au pouvoir en Allemagne.

                               - Maintien des politiques de dévaluation intrerne dans les autres pays.                                                                                                       

                                - Aggravation continue des disparités intra européennes

 Il semble donc évident  - encore une fois toutes choses égales par ailleurs- que le choix de ne pas aider la Grèce domine celui de l’aider. L’Allemagne choisira donc de rester dans l’euro le plus longtemps possible en restant très soucieuse du respect des règles. Ce n’est qu’avec l’aggravation  de la crise sociale dans le sud et la perte de contrôle de ses entrepreneurs politiques que la décision très lourde et très difficile mais consensuelle de sortie de l’euro sera prise par les entreprises politiques allemands.

Ce second scénario doit être étudié en fonction des choix à court terme du gouvernement grec :

Choix 1:La Grèce fait défaut et décide de sortir de l’Euro :

               - Rétablissement du contrôle des changes et des mouvements de capitaux

               - Dévaluation massive de la nouvelle monnaie nationale.

               -Mise en place du programme gouvernemental dans les conditions d’un    équilibre budgétaire retrouvé ( fin de la rente de la dette et utilisation de la marge du solde primaire 2014).

               - Investissements étrangers confortés sur la base de la compétitivité retrouvée.

Variante possible :Réquisition de la Banque Centrale avec monétisation permettant de rembourser toutes les dettes sur la base du nouveau taux de change. Dans ce cas, les contrats sont formellement respectés.[7]

Choix 2 : La Grèce réquisitionne sa Banque centrale et conserve l’euro :

                      - La Banque Centrale monétise et fait face à l’ensemble de ses créanciers

                      - Le marché de la dette publique disparait au profit du financement direct par la Banque Centrale.

                      - Mise en place aisée du programme gouvernemental annoncé.

                      - Mise en place le cas échéant d’un « 100% monnaie ».

                      - La BCE met fin au dispositif TARGET 2 jouant pour la Grèce.

                      - Le marché interbancaire se ferme et les banques étrangères disparaissent.

Ce scénario aboutit à la marginalisation complète de la Grèce. On en déduit que la stratégie correspondante est dominée par rapport au premier scénario.

On peut donc penser que le gouvernement grec choisira la première stratégie : celle d’une sortie de l’euro.

On peut aussi penser que les paiements offerts par la Grèce, au titre de sa  dette publique  aux institutions créancières - BCE, Etats, et peut-être même le FESF, paiements obtenus par monétisation (variante examinée ci-dessus) – deviennent des « balances drachmes » comme il existe des « balances dollars ».

En effet, ces balances sont le reflet de la situation débitrice comme les balances dollars sont le reflet de la dette américaine. Ces dernières ont jusqu’ici toujours été recyclées et on ne voit pas pourquoi les balances drachmes accumulées par les créanciers de la Grèce ne pourraient pas être recyclées, soit auprès des banques, lesquelles pourraient offrir du crédit aux importateurs de marchandises grecques, ou tout simplement l’achat de bons du Trésor.  Scénario à priori surréaliste mais pourtant possible puisque du point de vue des créanciers européens : c’est cela ou rien  mais, en même temps, recyclage permettant d’alimenter la demande interne grecque. De quoi constater que, même dans cette situation, un échange mutuellement avantageux peut se dessiner entre la Grèce et ses créanciers.                 

Les effets de second tour.

Ils dépendent dans un premier temps de ce que sera la réalité grecque après la fin de l’euro. En la matière rien n’est écrit.  Toutefois un développement harmonieux de l’économie grecque est théoriquement possible sur la base du programme de SYRISA.

Il est évident que les premiers temps seront difficiles et consisteront à réparer les dégâts provoqués par 14 années de monnaie unique complètement inadaptée à la réalité grecque : double inondation des importations et de la grande distribution qui lui est associée, avec ses effets dévastateurs sur une industrie et une agriculture peu compétitives.

 Mais aussi, difficultés résultant de ce qui a été associé à la politique de maintien en survie depuis le début des années 2010. Les exigences de la Troïka se sont concentrées sur la compétitivité de court terme, largement artificielle et ont négligé tout programme réel de compétitivité à long terme : chute considérable des investissements privés et surtout publics, recherche inexistante, éducation et université sacrifiées, etc. Le pays, redevenu indépendant, est donc à rebâtir. Cette reconstruction ne pourra passer sous les fourches caudines de la finance et il est probable qu’elle se fera sous répression financière ce qui sera une innovation majeure dans le présent monde.

L’échec est bien évidemment possible en raison des bouleversements économiques et sociaux associés : hausse très importante des prix à l’importation avec produits de substitution absents du marché national, méfiance des investisseurs, résistance des oligarques, difficulté de construire un Etat de droit moderne, impatience des classes moyennes, etc.

Conséquences sur le reste de la zone

Il est d’autant plus difficile d’estimer des scénarios que l’on ignore quelle sera l’évolution ultérieure de la Grèce. On peut toutefois envisager quelques pistes à partir de l’observation fine de la logique implacable de TARGET 2.

Le dispositif TARGET 2 est un outil technique qui assure la parfaite fluidité des échanges interbancaires entre les divers pays de la zone. En termes concrets, il s’agit d’une pièce contribuant au bon fonctionnement du marché unique : exportations et importations entre pays sont parfaitement fluidifiées sur la base d’une monnaie unique.

Le problème est toutefois que les échanges ne sont pas équilibrés et après quelques années de fonctionnement, il apparait que le nord est toujours excédentaire et que le sud  -y compris la France- est toujours déficitaire.

De fait, les rapports entre l’Allemagne et les pays du sud y compris la France sont devenus l’équivalent des rapports entre les USA et la Chine, ce dernier pays étant l’équivalent de l’Allemagne et les USA l’équivalent des pays de la zone sud. Ainsi à l’intérieur de la zone euro nous retrouvons les vieux  secrets du « déficit sans pleurs » d’où la magie d’un euro simultanément porteur de la désindustrialisation dans le sud.

Dans le cas des rapports Chine/USA le recyclage des excédents ne posait pas de difficulté et le bilan de la Banque centrale chinoise pouvait accepter sans difficulté les Bons du Trésor US dont la liquidité reste particulièrement élevée et la signature assurée. Tel n’est pas le cas avec les pays de la zone sud au regard de l’Allemagne dont la banque centrale nationale au titre de TARGET 2 est tenue d’accepter les déficits du sud sans réelle contrepartie. L'Espagne ou le portugal ne sont pas les Etats-Unis.

Plus clairement encore, la fluidification des échanges aurait été impossible sans le dispositif TARGET 2. En effet, entre le sud déficitaire et l’Allemagne excédentaire, un marché interbancaire classique aurait  très vite été bloqué et les échanges rendus difficiles. Les Allemands ont clairement conscience que les soldes Target 2 sont dangereux, certains d’entre-eux insistant sur le fait que ces soldes en cas de défaillance des banques centrales du sud pourraient finalement être supportés par le contribuable[8].

C’est précisément ce risque qui rend la politique allemande si impérialiste au regard du sud : Il faut rétablir les équilibres par de puissantes dévaluations internes permettant le retour à l’équilibre des comptes TARGET. En même temps cette logique est collectivement ruineuse puisqu’elle affaisse les demandes globales dans le sud avec ses effets de contagion jusqu’au nord et globalement la stagnation économique de la zone.

L’Allemagne a besoin de conserver ses avantages compétitifs et pour cela, comme la Chine à l’égard des USA, elle a besoin d’un déficit sans pleurs… qu’elle ne peut pas - à l’inverse de la Chine-  accepter. Nous sommes au cœur de la contradiction allemande qui mène l’ensemble de la zone en très grande difficulté.

La conclusion est donc évidente :

Scénario 1 : la sortie de la Grèce de la zone euro est un succès :

Dans ce cas, l’effet dépressif de l’euro n’est plus supporté dans le sud et les entrepreneurs politiques au pouvoir disparaissent en laissant la place à d’autres qui abandonneront l’Euro. Par effet de contagion et d’une insupportable compétitivité de ceux qui ont dévalué, la France suit sans délai, et donc la zone toute entière disparait.

Scénario 2 : La sortie de la Grèce de la zone euro est difficile, voire un échec :

Dans ce cas, les entrepreneurs politiques au pouvoir dans le sud  bénéficient de l’effet Grèce et les politiques de dévaluation internes sont idéologiquement justifiées. D’où de nouveaux succès sur les marchés politiques de ceux qui entrainent le continent vers la dépression continue.

On notera ici 3 réflexions finales :

- L’euro peut encore bénéficier de béquilles : celles qui seraient procurées par un échec de la sortie grecque, échec venant confirmer le bien fondé de l’impérialisme allemand.

- La disparition de l'euro dans ce nouveau schéma, n’est pas concertée. Nous restons dans un espace de décisions non coordonnées.

- Parce que la BCE a pris conscience qu’elle disposait de moyens illimités pour éteindre une crise financière, la disparition de l’euro selon le « mode panique » semble être une hypothèse aujourd’hui plus éloignée.

 

                             

              

 

 

 

 

 

[1] Cf.: http://www.lacrisedesannees2010.com/article-le-big-bang-de-la-fin-de-l-eurozone-et-l-univers-financier-dans-le-monde-d-apres-116367504.html

[2] Cf. : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-l-euro-implosion-ou-sursaut-43801089.html

[3] Nous renvoyons ici aux travaux de Natixis qui présentent un modèle de réduction de la dette grecque par l’élévation du solde primaire. Les conclusions sont sans appel : la contraction du PIB par diminution de la demande globale contrarie toute volonté de sortie par allégement de la dette. C’est dire que le projet de budget 2015 dans lequel la Troïka exigeait un solde primaire de 4,5 points de PIB était tout simplement irréaliste, voire scandaleux.

[4] 79,8 milliards d’euros selon l’institut de conjoncture Allemand (IFO).

[5] Nous pensons par exemple à l’Argentine et à l’intervention du Venezuela puis de l’Iran qui, après la crise de 2000 va entrainer de larges bouleversements. Nous pensons aussi à ce qui est la grande industrie militaire qui a eu beaucoup d’influence sur les entrepreneurs politiques grecs.

[6] L’Allemagne, comme on le verra, sera amenée à prendre des décisions historiques majeures, décisions dont elle a peur elle-même.

[7] http://www.lacrisedesannees2010.com/2015/02/la-petite-grece-viendra-t-elle-a-bout-de-l-allemagne.html

[8] HW Sinn avait même estimé que la faillite du sud pourrait représenter un  cout équivalent à 40% di PIB Allemand, les agences de notation pouvant ainsi trouver une justification pour la dégradation de la dette Allemande.

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14 janvier 2015 3 14 /01 /janvier /2015 09:14

 Resumé: L'équilibre des comptes publics est devenu la grande loi de la zone euro et chaque pays est soumis à l'injonction correspondante. Un immense progrès humain pourrait résulter de son abandon au profit d'un autre : l'obligation négociée d'un équilibre des échanges extérieurs de chaque nation.

 Deux grandes entreprises politiques européennes, le PS français et le SPD allemand, avaient adopté il y a longtemps (juin 2010) une déclaration commune, mettant en avant la recherche d’un équilibre des balances des paiements courants des pays de l’Union européenne. Il est vrai que la crise posait déjà la question de la divergence entre économies de la zone euro, une divergence jusqu'alors non examinée tant il est vrai qu'une question comme celle d'un équilibre des échanges extérieurs d'une nation paraissait obsolète.

Un produit obsolète... .

Le fait est à souligner, tant l'ère  de la mondialisation semblait entrainer l’obsolescence de l’idée d’équilibre, en particulier celui de la balance des biens et services. A échelle plus réduite, l’euro  débarrassait les entrepreneurs politiques de la bonne surveillance du dit équilibre : en s’offrant une « monnaie de réserve à l’américaine », disions-nous dans un précédent article, il n’y a plus à surveiller, ce qui naguère annonçait et engendrait des modifications de parités ou de cours de monnaies aujourd’hui disparues. Les balances, devenues simple curiosité statistique, n’étaient plus, à priori des contraintes publiques. De quoi s'empifrer lorsque l'on est consommateur grec.

Le lobbying  de la minorité mondialiste des entrepreneurs économiques sur les marchés politiques, devait légitimer d’autres produits : monnaie en apesanteur, liberté de circulation du capital, anéantissement des droits et taxes aux frontières, recherche de compétitivité par production d’externalités positives pour bénéficier de  la mondialisation, ce qui passe en particulier par le grignotage des « compromis fordiens » de la période antérieure, etc.

Et il est vrai que la notion de commerce extérieur perdait sens, puisqu’il s’agissait moins de marchandises circulant entre pays qu’entre établissements d’entreprises eux-mêmes dépaysés. Ce que  la littérature appelle l'allongement ou l'émiettement des "chaines de la valeur".

 Pour faire bref, les balances externes ne sont plus des objectifs, à partir desquels des politiques économiques seront mis en œuvre, en utilisant les outils ordinaires de la contrainte publique. Elles ne sont plus que des résultats issus d’autres types de contraintes publiques mises en œuvre pour déplacer du bien-être vers la minorité mondialiste des entrepreneurs économiques. Contraintes exigées par eux et mises en place par les entrepreneurs politiques au pouvoir. Avec la mondialisation, le niveau équilibre/déséquilibre des balances n’est plus un objectif à réaliser mais un résultat constaté. Replacée dans cette perspective, la déclaration commune susvisée, apparaissait comme revirement de très grande portée quant à ses intentions. Portée hélas anéantie par une opérationnalité victime des croyances passées.

 ....Mais potentiellement un progrès humain majeur : une mondialisation heureuse.

Rétablir l’équilibre des balances  peut être interprété comme un progrès humain, affirmation qui bien sûr mérite explication. 

Sous ses aspects les plus radicaux, l'actuelle mondialisation n’a pu être "achetée" par une majorité d’électeurs qu’avec l’apport idéologique issu de constructions intellectuelles, elles- mêmes de plus en plus sophistiquées, et remontant à Ricardo dans son célèbre exemple des avantages comparatifs.

En termes simples, l’échange et la spécialisation internationale sont avantageux pour tous les partenaires. Les restrictions à l’échange sont un mal à combattre, d'où le messianisme d'une OMC. 

Or, ce que nous appelions « fordisme boiteux » dans un précédent article révélait déjà les limites d’un tel raisonnement. Il ne s’agit pas ici de faire le bilan économiciste classique des coûts/avantages du libre échange par rapport au protectionnisme. Il s’agit à l’inverse de voir dans quelle mesure un déséquilibre récurrent des balances en particulier des biens et services est porteur d’un rétrécissement, d’une restriction aux droits de l’homme.

Le déséquilibre en mondialisation est l’indice de différences et/ou d’inégalité des partenaires dans de multiples domaines : productivité qui, elle-même, relève d’une foule de facteurs, variables sociétales, situation démographique, fonctionnement des marchés politiques, etc. Les déséquilibres, en particulier négatifs, des balances de biens et services peuvent durer longtemps et, comme précédemment évoqué, ne pas intéresser les entrepreneurs politiques si l’on vit à l’abri d’une monnaie de réserve, réelle (dollar) ou artificielle (euro). Par ailleurs, on peut aussi bénéficier de mouvements de capitaux rééquilibrants. Cependant un déséquilibre récurrent sur biens et services, sur très longue période, entraine des effets potentiellement dévastateurs, effets qui vont loin au-delà de la stricte économicité.

Les déséquilibres sont en effet une violence : l’excédentaire, ponctionne ou siphonne une partie de la demande globale du déficitaire, lequel ne peut réagir en libre échange que par son alignement sur la productivité réelle ou artificielle de son encombrant partenaire. Cela passe aussi par les fameuses dévaluations internes que masque le terme-valise de "réformes structurelles".

En clair, les grecs sont amenés à perdre leur travail sauf à s’aligner sur la productivité des allemands. Et il n’existe pas d’autre choix dans l'actuelle mondialisation.

Autre violence, celle concernant le risque de non-respect des contrats : l’excédent chinois est une ponction sur la demande intérieure américaine qui peut être combattue par une autre violence, celle concernant le non- respect éventuel de la valeur de l’épargne chinoise investie en bons du Trésor américain.

En mondialisation, telle qu’elle fût achetée et imposée, il y a impérialisme de l’économicité, et seuls les systèmes socio-culturels les plus favorables à l’élévation régulière de la productivité sont autorisés : de quoi appauvrir ce qui fût la richesse humaine. Sans doute peut -on rétorquer qu’il ne saurait y avoir de violence puisque les échanges n’ont lieu que sur la base de l’avantage mutuel, et ce dans le  champ de la microéconomie.

Nul grec, n’est tenu d’acheter des produits allemands ; nul américain n’est tenu d’acheter des marchandises chinoises.

Seulement, à terme, ces échanges volontaires et mutuellement avantageux rétrécissent le champ des possibles : les grecs sont volontairement acheteurs de produits industriels allemands, pour autant ils achètent à leur insu les externalités négatives qui entourent et accompagnent leurs achats. Ils ne peuvent que réduire une ambition industrielle autocentrée, déjà peu marquée et ne pouvant être aidée par l’arme monétaire perdue. Ils se spécialiseront dans les activités non dé- localisables, des activités de services non porteuses des gains de productivité futurs, et qui resteront chères. Même le tourisme peut être laminé par un déséquilibre qui ne peut être effacé par l’arme monétaire disparue. Le soleil des îles grecques  devenu trop coûteux n'est  protégé que par l'effacement de destinations touristiques plus lointaines devenues trop dangereuses.

Le déséquilibre s’entretient, se renforce, et peut saigner le déficitaire. Avec tous les risques géopolitiques qui pourraient en découler. Inutile de rappeler ici la violence des propos qui s’échangeaient, au cœur de l’Union européenne,  lors  de la première crise grecque. Violence aujourd'hui de ceux qui n'acceptent pas l'éventuel accès au pouvoir de SYRIZA. 

L’idée d’établir en tendance un équilibre (obligatoire) des échanges entre pays de l’Union serait  un très réel progrès. La liberté d’échanger ne doit pas entrainer le dénuement des plus faibles, pensait déjà ce grand théoricien du libéralisme qu’était John Locke, d’où la célèbre clause dite « Lochéenne » qui vient rétablir un minimum d’égalité entre les partenaires. Plus récemment, Jean Pierre Dupuy ("Le sacrifice et l'rnvie" Calmann-Levy, 1992; pages 238à 240) a pu critiquer la philosophie Nozickenne en montrant que l’absence de tout frein à la liberté d’échanger conduit à des états où la « quantité de liberté » disponible se trouve réduite.

Les entrepreneurs politiques n’ont évidemment pas le souci de la « quantité de liberté » disponible et ne sont pas , par essence,  libertariens. Il n’empêche que, situés au centre de gravité des marchés politiques, ils ne peuvent pas ne pas tenir compte des effets dévastateurs du libre- échange non régulé sur nombre d’électeurs. Le débat, très concret sur les délocalisations, et la question de savoir s’il est possible pour un pays, d’abandonner toute ambition industrielle, doit aussi être resitué dans l’idée de liberté présente d’échanger (mondialisation), qui détruit, ou détruirait potentiellement, la quantité de liberté future disponible pour un pays.

Sans le théoriser, et probablement sans même en avoir conscience, les dirigeants du PS et du SPD -qui, à l'époque, se trouvaient dans l'opposition-  avaient déclaré que l’équilibre des échanges entre pays serait la forme moderne de la "clause Lochéenne"  ou, dit autrement, le moyen de préserver la quantité de liberté disponible. Répétons-le, il s’agirait d’un immense progrès, une avancée dans le respect des droits de l’homme, et sans doute le seul moyen, qui à l’échelle planétaire, donnerait quelque légitimité à une mondialisation repensée.

Une confusion dans le lien cause/effet..

Resterait toutefois la question de savoir comment, c'est-à-dire opérationnellement, faire vivre cette idée d’équilibre. Et c’est ici que les raisonnements des deux grandes entreprises politiques susvisées -aujourd'hui au pouvoir-  deviennent hautement contestables. De fait, il s’agirait pour les dirigeants de ces entreprises politiques, de parvenir à l’équilibre recherché en agissant sur la demande globale interne à chaque pays.

Les excédentaires (essentiellement l’Allemagne) doivent stimuler leur demande interne, et en conséquence importer davantage des pays du Sud. Ces derniers, en contrepartie se verraient offrir des débouchés nouveaux et seraient incités à des efforts de productivité. Réduction de l’excédent d’un côté, du déficit de l’autre côté.

Evidemment, cela supposerait l’abandon des politiques de rigueur non coopératives et généralisées. Cela passerait aussi par le rétablissement de la bonne entente à l’intérieur du couple franco- allemand.

Curieusement, le but affiché n’est pas l’équilibre des balances mais la stabilité de l’euro.

Le raisonnement étant le suivant : ce sont les politiques macro-économiques non coopératives qui ont entrainé le déséquilibre des balances des pays du sud, politiques qui ont elles-mêmes aggravé l’endettement des pays correspondants, et endettement qui viendrait aujourd’hui déstabiliser la zone monétaire. L’affaire serait entendue : la cause de la crise de l’euro (variable expliquée) est à rechercher dans des politiques macro-économiques inadaptées (variable explicative). Une autre gestion des demandes internes aboutissant à l’équilibre extérieur, la crise de l’euro s’évanouirait.

Outre que les liens de cause à effet qui s’articulent dans le raisonnement ne sont pas clairement établis, il est possible de se demander s’il n’y a pas lieu de changer le sens des variables, l’euro devenant la cause de politiques macro-économiques improprement jugées inadaptées par les entrepreneurs politiques susvisés. Dans l’article «l’euro : implosion ou sursaut"  ?(lacrisedesannees2010.com) il avait été pourtant montré, que les politiques macro-économiques adoptées partout, correspondaient bien aux nécessités ou aux facilités proposées par la monnaie unique.

Productivité faible et taux d’intérêt devenus faibles de par « la grâce de l’euro » ont privilégié les stratégies de consommation dans le sud : spéculation immobilière et importations massives de biens de consommation (Espagne).

 Productivité élevée et assurance que les partenaires européens ne peuvent plus dévaluer par rapport au mark disparu, ont permis la mise en place d’une fantastique machine à exporter (Allemagne). Machine renforcée par un euro dont la valeur est mécaniquement plus faible que celle du mark.

Sans doute pouvait-on lutter contre les facilités procurées par l’euro, davantage perçues aujourd’hui comme drogue dangereuse. Mais au moment de sa mise en place, comme nous le disions dans l’article précité, « tous étaient d’heureux passagers clandestins ». Pour éviter la consommation de drogue, il est bon de ne pas la lancer sur le marché.

Les entrepreneurs politiques des pays correspondants, pouvaient vendre du bien-être à beaucoup d’électeurs, sans à court terme le faire payer par d’autres. Ce qui devait leur assurer des gages de bonne gouvernance, et ce dans tous les pays de la zone. Les marchés politiques fonctionnant en continu, et à fort court terme, ont conseillé aux électeurs européens de vivre dans le présent.

L’euro était une liberté, voire une carte de crédit, dans l’océan du libre échange. Il est devenu une immense aliénation.

Le PS français et le SPD allemand continuent de croire que la crise de l’euro est gérable en retrouvant, par le biais d’une habile gouvernance, l’équilibre extérieur de chaque Etat. Cet équilibre passe évidemment par une compétitivité accrue….qui nous renvoie aux questions précédemment soulevées : Au delà d'une conjoncture aujourd'hui favorable en raison des problèmes africains et du Moyen-Orient, comment la Grèce peut-elle retrouver de la compétitivité dans le tourisme -un service à la personne peu générateur de gains de productivité- sans une dévaluation massive ? Comment l’Espagne, mais aussi, et peut-être surtout la France, peuvent-elles faire renaître un secteur industriel non extraverti après en avoir – au nom de la liberté des échanges – abandonné jusqu’à la culture qui lui correspond et jusqu’à l’outil de formation qui lui est attaché, sans l’électrochoc d’une dévaluation massive ?

Les grandes entreprises politiques européennes ont vu dans l’euro un produit de grand avenir consolidant leurs parts de marché politique. L’euro, produit « vache à lait » était en "tête de gondole". Il entrainait même dans nombre de pays une cartellisation des grandes entreprises politiques, lesquelles ne se distinguaient plus que sur des produits secondaires. Comment en effet distinguer une droite d'une gauche?

Il leur est extrêmement difficile aujourd’hui, de « rentrer le produit en usine », c'est à dire abandonner le poison euro ,comme il est très difficile dans l’industrie, de rappeler un objet déjà largement commercialisé pour défaut majeur. Même SYRIZA, même PODEMOS, veulent conserver l'euro. 

L'idée d'une obligation d'équilibrer les comptes éxtérieurs, un peu selon le modèle imaginé par la conférence de La Havane en 1948, n'est évidemment pas facile à faire émerger sur les marchés politiques. Elle  passe  en effet par  le rétablissement de la souveraineté monétaire, laquelle est aussi l'enfant  de l' approfondissement de la crise. Une crise dont l'issue ne poura être que le remaniement de l'ordre international, lui même autorisant l'accès au pouvoir d'entrepreneurs politiques négociant la règle générale d'équilibre extérieur -à l'échelle si possible planétaire- de toutes les nations. De quoi retrouver un espace d'Etats-nations sans les externalités qui, dès la fin du Dix-neuvième siècle, vont engendrer les potentiels guerriers.

Pour le moment, ce produit politique: "équilibre obligatoire des échanges" est encore évidemment supplanté par l'autre équilibre: celui des comptes publics. Il mène à l'impasse aujourd'hui constatée. Il mène aussi à une aggravation d'un déséquilibre extérieur qui fait de la zone euro un espace qui siphone la demande du reste du monde : L'actuelle baisse de l'euro aggrave l'excédent de la zone -les pays du sud étant moins déficitaires et ceux du nord davantage excédentaires- ce qui provoque les protestations de nombre de pays émergents aujourd'hui en difficultés.

Quand va t'on retrouver un commerce international qui ne se résumera pas à la compétition de tous contre tous, et donc des échanges respectueux des choix de vie de tous les peuples? Et donc, quand allons-nous inventer une mondialisation réellement heureuse ?

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2 avril 2014 3 02 /04 /avril /2014 09:08

 

S’agissant du plan de sortie de crise de l’Italie, on peut s’étonner des réactions  superficielles qu’il a engendrées, le plus souvent sous la forme d’éloges visant à souligner le dynamisme du nouveau dirigeant politique. Il faut néanmoins remarquer qu’aucune analyse sérieuse n’a jusqu’ici été publiée.

Le cadre général sur lequel le plan Renzi s’appuie est constitué d’hypothèses  singulières dont au moins deux d’entre elles doivent être soulignées : la « marge » sur le déficit public d’une part, et celle sur le coût de la dette d’autre part. Le plan prévoit en effet que de nouvelles dépenses peuvent finalement être financées par l’accroissement du déficit, lequel n’étant que de 2,6% en 2013, peut se hisser à 3% sans risquer les foudres bruxelloises, ce qui laisserait une enveloppe potentielle de 6 milliards d’euros. Ce même plan prévoit que ces dépenses nouvelles peuvent reposer sur le moindre débours à prévoir en raison d’un coût décroissant du service de la dette, coût décroissant reposant lui-même sur la baisse des taux. Ici la « marge » ainsi imaginée laisserait une enveloppe de 2,4  milliards d’euros.

En dehors du plan de résorption des dettes du Trésor envers les entreprises (60 milliards d’euros) que nous examinerons plus loin, la demande globale devrait augmenter au cours des prochains mois d’un peu plus  de 10 milliards d’euros[1]. Compte tenu de l’effet multiplicateur, cette hausse pourrait entrainer un gain de croissance pour l’année 2013  d’environ 12 à 15 milliards d’euros[2].

En contrepartie, une baisse de la demande globale devrait intervenir du fait d’une réduction de volume de la dépense publique. Dans l’hypothèse retenue d’une baisse du train de vie de l’Etat à hauteur de 7 milliards d’euros pour 2014, nous pourrions avoir une tendance à la contraction du PIB d’un peu moins de 10 milliards d’euros.

Expansion d’un côté, contraction de l’autre, la force expansionniste l’emporte, certes, mais de très peu et surtout elle ne l’emporte qu’au prix d’un accroissement de la dette…autorisée sur la base d’une finasserie comptable : les « marges » sur la dette que nous venons d’évoquer.

Ajoutons que le risque est grand en raison de la non introduction dans le raisonnement des tendances déflationnistes qui augmentent le coût réel de la dette publique alors que le taux nominal pourrait baisser[3].

Reste le grand mystère de la prise en charge par la « Cassa Depositi e Pretiti » (CDP) -c’est-à-dire approximativement l’équivalent de la Caisse Des Dépôts française- des dettes du Trésor sur les entreprises. Un tel transfert développe un gros effet de liquidité sur des entreprises qui pourraient théoriquement investir, voire redistribuer du pouvoir d’achat. Cependant cet effet est contre balancé pour un même montant au détriment de l’aide à l’investissement aux entreprises qui ne pourraient plus bénéficier de fonds de la CDP, désormais mobilisés au titre de la demande du Trésor. Sans recours à une création monétaire, l’idée de transférer 60 milliards d’euros aux entreprises en utilisant les services de La CDP ne correspond à aucun avantage macroéconomique, sauf peut-être en ce qui concerne la notation de l’Etat par les agences.

Le plan Renzi fait ainsi partie des outils de la simple communication gouvernementale.

Il ne produira aucun miracle et laissera le pays dans les difficultés qui sont les siennes.

 Pour autant, on mesure les bénéfices que, théoriquement, il pourrait introduire si la demande globale pouvait bondir de 60 milliards d’euros, au titre du paiement des créances  des entreprises sur le Trésor, à partir d’une pure création monétaire. La prison européenne maintiendra la dure « loi d’airain de la monnaie »[4] et l’Italie comme – à l’exception de l’Allemagne -tous les autres pays de la zone euro ne pourra envisager son avenir sans le rétablissement d’une forme de souveraineté monétaire.

 

 



[1] Fin mai 10 milliards seront remis au ménages sur la base d’un chèque ou d’une diminution du prélèvement à la source. Les autres mesures (baisse de la taxe professionnelle, plan de rénovation des écoles, plan jeunesse, etc.)  monterons progressivement en puissance.

[2] Il est très difficile d’évaluer le multiplicateur et de nombreuses controverses alimentent le débat. On trouvera une bonne synthèse de la question chez Éric Heyer : « Une revue récente de la littérature sur le multiplicateur : la taille compte ! » , OFCE, Le Blog, 2012.

[3] Selon Eurostat, l’inflation qui est tombée à 0,5% en mars pour l’ensemble de la zone, n’est que de 0,4 pour l’Italie.

[4] CF Jean Claude Werrebrouck : « La loi d’airain de la monnaie », Médium, N°34, janvier Février mars 2013.

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24 février 2014 1 24 /02 /février /2014 09:57

 

  Ces dernières semaines voient fleurir nombre de groupes de reflexion dont la finalité est le passage à une forme de fédéralisme européen: Groupe "Eiffel", "Glienicker Gruppe", "Union politique de l'euro", etc. Leurs signataires sont souvent de grands spécialistes des questions monétaires et financières:Agnés Banassy-Quéré, Laurence Boone, Daniel Cohen, Thomas Piketty, voire des spécialistes d'autres disciplines comme Pierre Rosanvallon, Laurence Tubiana, Guntram Wolff, ou Enrik Enderlein, ou enfin des politiques comme Sylvie Goulard ou Jean-Louis Bianco. Parce que toujours englués dans des analyses normatives et sans prise de recul suffisamment appuyé sur une démarche cognitive, ces groupes ont peu d'avenir et risquent d'être balayés dans le grand vent de la crise.

Nous reprenons ci dessous un texte sans doute moins enthousiasmant publié sur ce blog le 30 janvier 2013:

            "Peut-on fonder un ordre européen Rawlsien?".

Bonne lecture. 

La crise de la zone euro a clairement révélé les insuffisances de la construction de la monnaie unique. Insuffisances qui font encore débat puisque le courant dominant et la stratégie correspondante privilégie encore la voie de la solution individuelle (chaque pays est responsable de ses comptes), tandis qu'un autre courant, propose de passer par davantage de solidarité (budget commun , eurobonds,etc.).

Le présent texte se propose de tester la faisabilité d’une construction solidaire en questionnant la théorie rawlsienne de la redistribution.

L’ordre Rawlsien

On sait que Rawls est un auteur américain qui dans sa "Théorie de la Justice" s'est longuement interrogé sur de possibles alternatives à la montée de l'ultralibéralisme américain. Dans sa vision, une bonne société est celle qui n'accepte comme niveau d'inégalités, que celui qui procure le grand avantage aux plus démunis. Il s'agit bien sûr d'une théorie normative: Rawls n'explique pas le monde "tel qu'il est " mais bien "tel qu'il devrait être". En ce sens nous ne sommes pas dans une démarche scientifique. Au surplus Rawls se place dans un monde idéal peuplé d'individus (nous sommes dans l'individualisme méthodologique) qui fait de chaque acteur un personnage auto déterminé. A partir de cette axiomatique Rawls démontre que le contrat social qui doit logiquement naitre d'une société  peuplée d'individus auto déterminés, passe par une négociation sous "voile d'ignorance" où les acteurs négocient une constitution débouchant sur le niveau optimal d'inégalites : celui qui assure le maximum de bien -être aux plus démunis. l'idée de voile d'ignorance définit selon Rawls une situation où les participants à la négociation ne connaissent  pas leur position originelle dans la société: riche, malade, pauvre, handicapé, etc. Cette méconnaissance, et donc le risque correspondant, amenant les sociétaires à faire le choix de la bonne société, celle qui peut protéger au cas où les individus seraient mal placés sur l'échiquier de la distribution sociale.

Ce maximum de bien être, assuré aux plus démunis, est évidemment fourni par les autres individus dont les capacités productives plus grandes, verront les fruits correspondants partiellement redistribués aux plus démunis. Sans le dire ouvertement, Rawls envisage donc un ordre de type social-démocrate.

Son raisonnement vaut évidement dans l'ordre national où les individus sont acteurs d'un espace type Etat-Nation. Ce raisonnement avec construction d'un ordre social "sous voile d'ignorance" est-il adaptable au cas où les sociétaires, devenus citoyens, sont remplacés par des Etats-Nations? Et il s’agit bien d’Etats qui deviennent les sociétaires d’un ordre à contruire, par exemple une europe fédérale ou confédérale. De ce point de vue, les tentatives d’adapter Rawls à l’ordre international en partant des individus ( Charles Beitz ou Thomas Pogge) paraissent irréalistes : la construction d’une Europe fédérale ne peut qu’être le fait des Etats.

Sociétaires " individus" et sociétaires "Etats-Nations" "

La première idée qui vient lorsque l'on passe de l'individu à l'Etat, est que fort banalement le champs de la négociation est fort différent. Les Etats, surtout lorsqu'ils ont atteint la forme Etat de droit, ne sont pas des acteurs auto déterminés, mais des acteurs dont la réalité comportementale est le résultat d'un instable compromis antérieur, celui des groupes sociaux qu'ils sont censés rassembler. Les Etats et donc leurs représentants, c’est-à-dire les entrepreneurs politiques, qui sont ainsi invités à négocier sous voile d'ignorance pour construire le projet européen, ne sont pas des sujets ou des citoyens, mais au moins partiellement des exécutants d'ordres venus de la base. Ils ne sont toutefois pas que cela, car ces exécutants sont des entrepreneurs politiques qui proposent des programmes  achetés par la base, achat qui se matérialise par un résultat électoral  correspondant à la conquête ou la reconduction au pouvoir des dits entrepreneurs. Ils ont donc des intérêts en liaison avec la base, ce qui ne veut pas dire qu’ils ne font que représenter la base : ils ont des intérêts propres.

Si donc la constitution européenne ou le contrat européen a pour but de rendre viable durablement, par exemple la monnaie unique, nous ne sommes déjà plus dans une négociation sous voile d'ignorance. De fait le raisonnement sous voile d’ignorance, difficile à imaginer, mais sans doute possible pour des individus à la recherche d’une bonne Constitution, est une radicale impossibilité logique dans le cas de la construction d’une constitution fédérale européenne. En effet, si l’on imagine un budget fédéral à des fins redistributrices  en vue d’assurer l’édification d’une zone monétaire optimale, cela signifie nécessairement que les sociétaires (les Etats) connaissent la réalité et qu’il ne saurait être question d’en faire abstraction. Et cette réalité est très largement conflictuelle… dès le début de la négociation. Ainsi est-il possible d’estimer la réalité de façon fort contradictoire…Nous ne sommes plus dans l’hypothèse rawlsienne où l’individu incapable de savoir quelle est sa situation se montre beaucoup plus ouvert et coopératif.

Les pays du sud peuvent légitimement mettre en avant qu’ils sont victimes d’une monnaie unique qui ne leur permet pas d’accéder à la compétitivité externe. Mais les pays du Nord peuvent rétorquer que le sud a eu le grand tort historique de s’être  « drogué à l’euro ». En retour ces derniers peuvent répondre que la « drogue euro » fût très favorable au nord qui a pu voir ses exportations garanties par disparition des risques de taux de change. Arguments et contre- arguments peuvent s’enchainer sans fin.

Le raisonnement mené à partir de la matière première euro aurait pu être mené à partir de toute autre considération. Dans le raisonnement initial de Rawls, l’individu est en quelque sorte une pièce détachée ( il ne voit pas que la réalité vécue est le résultat possible d’un jeu social antérieur), pièce simplement soucieuse de sa position vécue comme « naturelle » (malade /bien portant ; jeune/vieux ; riche/pauvre, etc.). Dans le cas d’un raisonnement appliqué à des nations souhaitant construire une Constitution fédérale ou confédérale, il n’y a plus de détachement possible : la réalité est historique et résulte aussi de jeux antérieurs, jeux  dont les acteurs ont une représentation nécessairement non objective donc plus ou moins discutable ou contestable.

Alors que dans un monde d’individus, la négociation sous voile d’ignorance- même très difficile- est pensable et peut aboutir fort logiquement à la bonne société, sociale-démocrate et redistributive de Rawls, il semble illusoire d’aboutir à l’idée de fédération européenne sociale-démocrate et redistributive. Dans le premier cas, le voile d’ignorance peut être imaginé et c’est un peu ce que l’on vérifie, parfois, historiquement lors des changements de Constitution. Bien sûr la société est-elle toujours déjà construite et la situation originelle n’est qu’une construction intellectuelle, et à ce titre raisonner sur des individus et sur des Etats est formellement la même chose. Pour autant la grande différence est dans la matière première : l’hypothèse d’un voile d’ignorance fondateur d’un bon compromis entre Etats est un exercice particulièrement difficile.      

Impossible « non société » et évidente pérennisation d’Etats

 les Etats  et leurs entrepreneurs politiques en négociation ne sont intéressés à une constitution européenne que si la solidarité est  assurément plus avantageuse que l'isolement. Et quand il est dit solidarité plus avantageuse, c’est évidemment sous l’angle de la conquête ou la reconduction au pouvoir national. Cette question ne se pose pas dans le raisonnement rawlsien où l'individu ne peut être seul, et ce même pour les "ultra" de l'individualisme méthodologique : il faut bien d’une façon ou une autre faire société. Parce que L'Etat est déjà un ensemble protecteur constitué, le passage à la fédération est extraordinairement difficile . Alors que l’association avec mon semblable correspond à une obligation de simple survie dans le cas d’individus, l’association entre Etats ne peut que fort rarement correspondre à de la survie et, historiquement, c’est plutôt la frontière (le dedans opposable au dehors) qui sécurise réellement ou idéologiquement.

Mais il existe beaucoup d’autres causes qui empêchent le contrat rawlsien  fédéral ou confédéral.

 

Choix dominants (Etats-Nations ou mondialisation) et choix dominés ( fédéralisme)

Les groupes qui ont intérêt à la fin des frontières sont moins nombreux à envisager une frontière confédérale intermédiaire. En clair, les partisans de l’ouverture ne se contentent pas du niveau fédéral et préfèrent passer à la mondialisation. C’est que l’échelon intermédiaire apparait pour ces groupes comme la nouvelle forme de la fermeture avec la fin des jeux possibles sur la concurrence fiscale ou sociale ou la fin des prix de transferts fiscalement avantageux. Pour ne prendre qu’un seul exemple , l’Irlande, avec le compromis social qui règle les objectifs de son Etat et de ses entrepreneurs politiques, préfère la mondialisation, à la confédération européenne qui ne pourrait plus accepter son actuel taux d’imposition dérogatoire sur les sociétés  Quand l’intérêt de l’ouverture existe, il se déploie donc plus volontiers au niveau mondial, tout en souhaitant ménager des zones mi ouvertes et mi fermées (les vieilles nations) qui permettent les meilleurs arbitrages possibles.  L’intérêt des groupes partisans de  frontières protectrices n’est pas celui correspondant à la naissance de frontières élargies à l’espace fédéral. Parce que beaucoup plus repliés sur le vieil Etat Nation, ils mesurent mal l’avantage d’un déplacement de protection à un niveau fédéral. Les entrepreneurs politiques eux-mêmes, au-delà de leur obligation de représenter le compromis acceptable sur les marchés politique, compromis assez peu favorable au stade  fédéral ou confédéral, sont eux-mêmes peu intéressés par la perte d’une partie des leviers de commande qu’exige le passage au niveau fédéral.

 

Les idéologies dominent la raison

Maintenant quand il est dit que logiquement le passage au fédéralisme s’opère lorsque l’arbitrage coût/ avantages, l’y incite, il s’agit là d’une affirmation très théorique, très idéologique et fort éloignée des réalités. En particulier il est erroné d’affirmer que la mondialisation exige des regroupements, que nous sommes trop petits, que seuls nous quittons l’histoire, etc. Il est des  petits pays qui ont peut-être intérêt au fédéralisme (Portugal, Grèce), mais il en est d’autres où le compromis social, beaucoup plus tourné vers le libéralisme (Irlande, Lettonie) voit dans le fédéralisme une nouvelle camisole.  Il est donc, à l’inverse des individus rawlsiens qui ne font jamais sécession à la table de négociation, des Etats qui refuseront le passage au fédéralisme et préféreront, soit de voter avec les pieds, soit de bloquer la négociation. Situation qui n’est pas très éloignée de ce qui se passe aujourd’hui, entre la Grande Bretagne qui se contente du grand marché, et d’autres pays soucieux d’aller plus loin pour éviter la ruine de la monnaie unique.

 Mais il est des situations encore plus complexes où le compromis social mis en mouvement par les entrepreneurs politiques est schizophrène. L’exemple  de l’Allemagne est, parmi d’autres, intéressant en ce que  des entrepreneurs politiques seraient à priori favorables au fédéralisme, mais où d’autres sont heureux de voir une cour constitutionnelle (la cour de Karlsruhe) qui interdit de fait tout transfert budgétaire. Et donc toute réelle tentative de fédération ou de confédération.

De cet ensemble de réflexions il apparait clairement que l’apparition d’une fédération d’Etats européens disposant d’un budget réel est extrêmement peu probable. A fortiori un fédéralisme rawlsien avec effets redistributifs, type social-démocratie. Dans ce contexte tout ce qui peut ou doit  être entrepris est logiquement stratégie de contournement : la monnaie unique  exige bel et bien une redistribution fédérale irréaliste, et face à cette constatation, son  maintien ne pourra s’appuyer que sur les artifices de la BCE ou du FESF. Des objets que l’on maintient loin des Etats qui resteront le plus logtemps possible ce qu'ils sont .

 

 

 

 

 

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3 avril 2013 3 03 /04 /avril /2013 13:43

 

 On trouvera dans le présent abrégé, un résumé  des principaux problèmes et les solutions apportées aux grands risques provoqués par le  démantèlement de la zone euro lorsque celui çi sera décidé ou tout simplement sera imposé par les évènements. Les habitués du blog retrouveront beaucoup de points souvent défendus.

 

 

               1) Autour du chantier une coopération très difficile entre les Etats. 

 

               - Par ce que le diagnostic de la crise n’est pas le même pour tous. Beaucoup imaginent que la crise est simple crise de l’euro zone et peu d'observateurs découvrent un lien entre les 3 crises : euro-      Finances - déséquilibres économiques globaux issus de la mondialisation. Or si la crise est aussi celle de la  mondialisation on ne pourra faire l’économie d’un chamboulement beaucoup plus global.

               -   Parce que tous les Etats ne sont pas au même niveau de difficultés.

               - Parce que le statut de « passager clandestin » veut être maintenu le plus longtemps  possible : on va jusqu’à la rupture et le principe de précaution n’est pas de rigueur.

               - Parce qu’il existe fondamentalement, y compris chez les dirigeants,  une grande   méconnaissance de la théorie économique et au-delà, des sciences sociales en général.

                - Parce que le démontage suppose un énorme travail de préparation sur de très nombreux  dossiers  (périmètre du démontage, taux et régime  de change , conséquences sur les   institutions financières et l’euro système) qui ne peut être mené à l’abri d’une forte pression   des acteurs financiers en recherche de protection ou de gains spéculatifs gigantesques. Enormes risques de délits d’initiés et de conflits d’intérêts (cf famille du président   Anastasiades à Chypre).

 

               2) Les effets immédiats du démontage et la liste des problèmes à régler

 

               -   Les perturbations bilantaires à maitriser : fuite gigantesque vers la qualité au niveau de  

                   toutes les institutions financières (Banques, Assurances, fonds de pension, Hedge-funds).

               -  Veiller au gigantesque effet "aile de papillon" partant d'un bilan bancaire

                 petit, pour infecter un plus important et de proche en proche d'énormes bilans                                      (l'exposition des banques allemandes est respectivement de 9% des bilans    

                 sur les banques  du sud et de 19% sur celles des paradis fiscaux de la zone).

               -   Règlement du problème  de la disparition de la liquidité et des marchés interbancaires.

               - Règlement des dettes publiques considérablement déformées : certes diminuées pour  certains (nord) mais considérablement  accrues pour les pays  le plus   en difficultés (sud)).

               -   Quelle autorité sur les banques centrales et le système bancaire ?(si l'euro se              

                   perennise sous la forme d'une monnaie commune, il faudra bien que le BCE soit armée 

                  pour participer à la guerre des banques centrales participant elles mêmes à la  

                  guerre  des taux de change entre dollar, Yuan, Yen, et Livre Sterling.

               - Question du contrôle des réserves de change : euro monnaie commune, ou autres  monnaies ?

 

               3) La solution aux problèmes liés au démontage : moderniser - dans le sens d’un Etat

                   de  droit -  la vieille loi Mésopotamienne d’effacement généralisé des dettes.

 

               - La solution chypriote d’effacement des dettes n’est pas celle d’un Etat de droit :

                                            *  Les  conséquences juridiques de non respect des droits de propriété ne sont pas gérables (risque parrallèle à celui des Etats harcelés par des fonds "vautours"). 

                                             * L’anomie engendrée risque d’être  contagieuse à l’échelle de la zone euro   (principe général d’une fiscalité aux fins des seules dépenses publiques   + principe général d’équité de la répartition des charges publiques avec  contrôle de constitutionalité).

                                            * Il existe un risque géopolitique

 

                - Respect de l’Etat de droit et  principe général du respect des contrats :

 

                                            * Garantir tous les actifs en déclarant l’intangibilité de leur valeur nominale     pour tous  les acteurs touchés par les modifications de taux de change (principe d'un effet neutre sur tous les bilans malgré le démontage, et donc principe bloquant tout mouvement spéculatif, tout effet aile de papillon). 

                                             * L’outil du maintien de l’Etat de droit : les banques centrales qui monétisent  et « obéissent » aux Etats au moins durant toute la durée du démontage.   (Principe inspiré par l’Emergency Banking Act  du 9 mars 1933 décidé par le  président Roosevelt). Les Etats assurent le principe d'effet neutre sur tous les bilans de tous les agents en utilisant la création monétaire propre aux banques centrales. 

 

 

               4)  Les conséquences indirectes du démontage

 

               -     L’apparition de nouveaux coûts de couverture du change et de nouveaux taux de change milite pour la réduction de l’émiettement des entreprises de l’économie réelle : démondialisation, réindustrialisation et rééquilibrage des comptes extérieurs .

               -     L’apparition de taux de change politiques milite pour la réduction du poids des systèmes  financiers :

                                             * les activités de tenue de marché deviennent plus couteuses (cf la taxe Tobin européenne dont le coût serait estimé à 17milliards d'euros pour le seul Crédit Agricole) et plus  risquées : avenir devenu incertain (parce que politique) et non plus probabilisable (cf la célèbre distinction de Keynes) 

                                             * la disparition de la monnaie unique fait disparaitre le dogme de l’impérative  libre  circulation  des capitaux.  

                                            *   le choix possible de taux de change fixes assèche les jeux financiers qui se  nourrissent de l’instabilité. (retour à une version type Bretton -Woods et abandon des accords de la Jamaïque du 8 janvier 1976). 

 

   

                 Conclusions :

 

                                      -  Système financier balkanisé , démondialisé et de taille plus réduite.

                                      -  Début de dé financiarisation du monde

                                       Rétablissement de la souveraineté monétaire

                                       - Dette publique renationalisée.

 

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21 mars 2013 4 21 /03 /mars /2013 16:15

      

 

La grande question sera celle du niveau de stress de la communauté financière mondiale. Et ce niveau dépend probablement du mode de passage de l’ancien au nouveau système. Sera-t-il le résultat d’une concertation et d’un plan opératoire ?  Et dans ce cas tous les pays seront-ils consultés ? Ou bien le passage s’opère- t-il  de façon sauvage, est le fait d’un ou plusieurs pays, selon un processus non coopératif, voire selon un mode panique ? Hélas la deuxième solution est celle qui devrait logiquement l’emporter.

 

1) la très difficile stratégie coopérative

 

Il est bien évident que la vitesse d’exécution des décisions constitue la variable clé d’un succès.

Il est aussi évident qu’une coopération pour le changement ne peut intervenir qu’au terme d’une analyse commune d’une situation dont on peut déjà anticiper les contours tant ils sont  apparents.

 

Du côté des forces sociales qui tenteront  de maintenir l’euro, nous aurons : les rentiers qui craignent le retour de l’inflation, les « hyper-consommateurs » de marchandises mondialisées éventuellement équipés de crédits à la consommation moins usuraires, les touristes ennemis de frontières prédatrices, mais aussi les entreprises de l’économie réelle qui ont vu disparaitre avec l’euro les charges de couverture de change et les risques pays, mais enfin une grande partie des classes politiques qui, historiquement, ont milité pour la construction de la zone euro. Cela fait beaucoup de monde et cela explique que, malgré la violence de la crise, les sondages, y compris dans les pays les plus meurtris, restent très favorables au maintien de la monnaie unique. (74% des italiens malgré les dernières élections restent favorables- selon l’institut IPSOS -  au maintien de leur pays dans la zone euro)[1].

Du côté des forces qui se manifestent en faveur de la liquidation, les éléments objectifs l’emportent sur la subjectivité des acteurs et, au-delà des entreprises laminées par la sous-compétitivité induite, c’est le constat de la saignée des pays victimes d’une dégradation très lourde des échanges extérieurs qui, malgré tous les plans de rigueur, ne peuvent refaire surface. Curieusement, la situation objective avec ses manifestations concrètes (entre autres chômage de masse, dette publique ingérable et évaporation de l’Etat- providence) n’altère  pas  les engouements enthousiastes en faveur de l’euro. Cela est peut-être dû au fait qu’un groupe de pays, ceux du nord , sont très favorisés par le système : taux de change plus faibles que celui d’un Mark hors Euro-zone, dévaluation interdite pour les partenaires moins compétitifs etc. mais faveurs qui n’apparaissent que sous la forme de récompense d’un comportement jugé vertueux.

De fait la grande difficulté est que – telle une drogue - les aspects séduisants de l’Euro sont très visibles alors que ses conséquences catastrophiques sont invisibles pour le citoyen non initié à la culture économique. Particularité que l’on retrouve par conséquent dans les sondages.

 

La gestion de la crise a  permis de faire naître une réalité que nous avions anticipée dans « Zone Euro : les clandestins le resteront jusqu’au bout »[2], à savoir le report des charges sur la Banque centrale. Celle-ci monétise désormais massivement et son rôle n’est plus tant d’assurer la liquidité dans le cadre d’une stabilité des prix mais de maintenir le prix des obligations publiques et ainsi d’empêcher tout krach obligataire[3]. Sans le dire, il s’agit là d’un nouveau paradigme pour la BCE qui rejoint en cela les autres grandes Banques centrales. Et nouveau paradigme qui ne peut, au-delà des déclarations, déplaire à l’Allemagne, elle-même soucieuse de maintenir ses capacités exportatrices vis-à-vis d’un concurrent japonais qui, lui, en imposant un changement radical de paradigme à sa Banque centrale va retrouver toute la compétitivité perdue depuis 2009[4].

Il s’agit toutefois d’une gestion non pérenne, gestion qui au demeurant n’a pas abouti à relancer le crédit[5] ni à homogénéiser les taux : les exigences d’une mise à niveau des pays du sud supposent de tous autres moyens[6]probablement inacceptables du point de vue allemand.

C’est la confrontation entre cet inacceptable et le cauchemar d’une crise sociale dans le sud qui peut amener à ce qui serait un accord franco-allemand  de démontage de l’euro. Et cet accord serait d’autant plus probable que l’Allemagne va de moins en moins bénéficier des avantages de la zone et de plus en plus payer les charges de son maintien.

Les avantages diminuent  en raison de l’effondrement de la croissance dans le sud. Les politiques de dévaluations internes[7], inefficaces pour ces pays en raison de l’effondrement de la demande interne,  d’un secteur exportateur trop faible, et d’un alourdissement potentiel de la dette publique, sont douloureuses pour les exportations allemandes.[8]

En contrepartie, les inconvénients augmentent avec les prêts accordés au pays du sud par le biais du FESF et du MES. JP Vesperini estime ainsi, qu’au terme des garanties offertes, de la part de l’Allemagne au capital du MES, l’augmentation de la dette de ce dernier pays serait de 319,7 milliards d’euros, soit 12,5% du PIB[9].

Dans le même temps, certains coûts d’une sortie de l’euro pour l’Allemagne diminuent puisque les débouchés augmentent plus rapidement dans les zones à forte croissante qu’en Europe, argument qui doit toutefois être tempéré par le grand retour d’un Japon plus compétitif en raison de la nouvelle gouvernance de sa Banque centrale.

Ce simple constat édictant une fin de partie pour l’Euro ne signifie pas pour autant un démontage aisé des règles du jeu correspondantes.

Même en supposant que les deux grands pays (France et Allemagne) fassent le constat que les coûts du maintien de l’Euro deviennent supérieurs à ceux de son démantèlement[10], il est fort peu probable d’aboutir à un démontage planifié et coopératif. Un tel plan suppose, en effet, une confidentialité peu réaliste en raison du nombre de participants – probablement plusieurs centaines - aux travaux préparatoires. Le risque d’une fuite associée à des gains spéculatifs colossaux,  est en effet important. On peut même penser que nombre de candidats au délit d’initié sont d’ores et déjà à l’affût.

C’est que le démontage pose de multiples questions. La première est celui de son périmètre avec le choix entre démontage complet, celui de la naissance de plusieurs zones (Nord et Sud par exemple),celui d’un euro maintenu en tant qu’enveloppe, celui des taux de change des monnaies reconstituées, celui de leur espace de convertibilité (uniquement en euro ou en toutes monnaies), celui des pertes et gains sur actifs des institutions financières, celui du traitement des dettes publiques, celui de la liquidation ou non des institutions associées comme le MES sans même parler de la BCE, etc. Chacune de ses questions est à elle seule un chantier d’une très grande complexité technique, et on voit mal comment un tel travail pourrait s’engager, dans les ministères,  à Bruxelles ou ailleurs, sans fuites d’autant plus probables, que les conflits d’intérêts sont présents et que les gains associés sont colossaux.

La conclusion est donc simple : le démontage de la zone se fera sans coordination et sera le fait d’un seul pays déclenchant un mouvement et surtout une panique contagieuse.

Et là encore, sachant que conflits d’intérêts et délits d’initiés sont le mélange détonant dans lequel baigne nécessairement le système, non seulement le démontage sera probablement le fait d’un pays, mais il doit aussi être le fait d’un pays dont les capacités de décision politique sont brutales et incontestables, par exemple le fait d’un seul homme. De ce point de vue la dictature constitue le régime idéal….interdit par les traités européens. Il est donc clair que le démantèlement se fera très probablement sous le mode panique, les pays disposant d’un pouvoir exécutif fort étant de ce point de vue relativement avantagés et devenant ainsi des « candidats privilégiés » pour une opération de sortie.

 

2) les conséquences politico-financières à attendre d’un démantèlement sous le mode panique

 

Quelle que soit la solution retenue dans les modalités de reconstruction des monnaies nationales il est donc clair que les décideurs politiques entrent dans l’inconnu et font entrer dans l’inconnu tous les agents qui en dépendent. De la même façon que débuter une partie d’échecs est une aventure où rien n’est écrit à l’avance, ni la série des prises de position ni le résultat du jeu, décider d’une rupture monétaire (qui va bien au-delà de la simple modification de parité au temps de Bretton- Woods ) c’est embrasser une très vaste aventure où la seule certitude est celle de devoir affronter d’énormes courants mimétiques dont pourtant on connait le sens général : « flight to quality ».

Cela passe par d’énormes perturbations « bilantaires » dans ces gigantesques institutions que sont les banques : vaste redéploiement des actifs souverains au profit des bons du Trésor allemands,  effondrement de la valeur des autres actifs souverains et ceux qui leurs sont corrélés (CDS en particulier), évaporation mécanique des fonds propres et insolvabilité immédiate[11]. Cela concerne une masse financière correspondant à plusieurs fois le total du PIB de l’Euro-zone. Toutes les institutions financières sont par contagion affectées : compagnies d’assurances, fonds de pension, Hedge- funds. Tous les marchés sont affectés avec disparition de la liquidité, disparition du marché inter-bancaire, refuges vers l’or et l’ensemble des matières premières financiarisées. Bien évidemment le crédit et le financement de l’économie disparait. Et que dire de la dette publique elle-même grandement déformée, diminuée pour certains, très augmentée pour d’autres ?

Bien évidemment, le marché des actions est lui aussi affecté. D’abord par la réorientation des porte- feuilles en faveur des actions, mais aussi réorientation en faveur des entreprises exportatrices ou importatrices respectivement pour les monnaies dévaluées et réévaluées[12].

Le bilan financier est ainsi extrêmement lourd.

Il n’est évidemment plus possible de se dire qu’il s’agit là d’une simple perturbation et que les marchés vont retrouver leur équilibre : l’euro était la clé de voûte d’un ordre. Sa disparition correspond à un effondrement complet et les institutions des nouveaux marchés sont à rebâtir[13]. Une reconstruction qui passe nécessairement par un retour à l’autoritarisme, une possible route de la servitude dirait Hayek.

On voit mal en effet le présent statut des banques centrales se maintenir (une institution sui generis)[14]. Le retour de la monnaie nationale-là où il y aura dévaluation- ne peut en effet être juridiquement envisagé que par une procédure immédiate de saisie et de réquisition du banquier central…une situation fort exceptionnelle, même dans cet Etat fort qu’était la France avant la construction européenne. La fuite vers la qualité ne peut être endiguée que par l’interdit strict de la circulation du capital avec, s’agissant de la France, de la montée immédiate en puissance de TRACFIN. Cela peut signifier la saisie des banques, la responsabilité pénale des banquiers et non des banques pour toute opération n’allant pas dans le sens du blocage de la panique sur les comptes[15]. Ce grand retour de l’autoritarisme est d’autant plus nécessaire que les forces sociales qui ne voyaient dans l’Euro que les aspects les plus séduisants sont qualitativement et quantitativement très importantes.

Les pays qui réévalueront ne seront pas exempts du retour à l’autoritarisme et même l’Allemagne devra veiller à ne pas s’enliser dans un mouvement de forte ascension de sa monnaie au moment où le grand concurrent japonais se fait très autoritaire sur sa Banque centrale.  

Au-delà de la stricte et très dure répression financière, le grand retour de l’Etat doit aussi se manifester dans l’économie réelle, avec notamment tous les outils habituels que l’on employait à l’époque de Bretton-Woods.  Sauf que les économies étant beaucoup plus interconnectées, la simple lutte contre l’inflation et le contrôle des prix s’avéreront très insuffisants. Il n’y a pas que les bilans bancaires qui seront agités par le mouvement de panique : beaucoup de bilans d’entreprises très engagées dans des liens très denses avec des non-résidents seront concernés (sans compter les travailleurs frontaliers) avec de possibles dépôts de bilan et à l’inverse des effets d’aubaine.

Au total vaincre la panique financière suppose de provoquer une gigantesque montée des coûts des comportements des agents économiques cherchant à préserver et/ou valoriser leurs intérêts. Le monde de la dérégulation financière laisse ainsi la place à celui de l’autoritarisme et de la répression. L’euro-système est une fabuleuse machine régressive hors de contrôle, mais s’en séparer peut nous diriger vers d’autres formes de régression que beaucoup, en particulier ceux qui ne connaissent que la partie visible du système, redoutent. Il ne sera pas facile d’être le dirigeant politique qui prendra le risque ou sera acculé au démantèlement.

Découvrir l’outil bloquant le déclenchement de la panique financière - alors même que la clef de voûte du système est retirée (l’Euro)-  est la tâche principale de celui qui prendra la décision du démantèlement. Comment extraire la clé de voûte sans voir l’édifice européen s’effondrer ?

 

3) Démantèlement contre garantie publique du respect des contrats

 

Au-delà du protocole technique qui ne soulève guère de problèmes (maintien du système des prix internes par définition d’une unité de compte ayant valeur légale et correspondant à un euro, surcharge d’un tampon sur chaque billet avant impression de nouveaux billets par la Banque centrale nationale, échange rapide des pièces, etc..), une garantie juridique est promulguée par le ou les dirigeants politiques ayant pris la décision : garantie  portant sur le maintien nominal de la valeur de tous les actifs au moment où est prise la décision. La prise de décision vaut par conséquent gel de toutes les positions et peut-être fermeture momentanée de la Bourse[16].

Il est d’ailleurs évident que décision de sortie et décision de garantie publique se trouvent dans le même acte juridique, et qu’encore une fois les pays pouvant procéder de manière autoritaire, par simple ordonnance de l’exécutif, disposent d’un avantage. Ce qui pose la question du déclenchement de la panique dans les pays qui ne peuvent agir ou réagir avec la célérité qui s’impose.

La garantie de la valeur nominale, suppose la définition d’un point fixe qui n’est autre que la définition de la nouvelle parité, laquelle doit être déclarée intangible bien au-delà de la période de temps nécessaire à une réorganisation générale aux effets neutres sur tous les bilans et contrats.

Le champ de la garantie offerte à tous les agents économiques du pays sortant concerne les détenteurs d’actifs étrangers : ménages, entreprises, institutions financières, Etat lui-même.

Il s’étend aussi aux non-résidents et étrangers détenteurs d’actifs nationaux.

La notion d’actif doit aussi être précisée.

Il s’agit bien sûr de tous les titres financiers : actions, obligations privées et publiques, produits structurés, produits d’épargne et comptes bancaires, etc. Pour ces titres la garantie repose sur la seule variation (perte ou gain) mécanique de valeur, calculée sur la base du nouveau taux de change. La valeur sur laquelle s’applique le nouveau taux étant celle correspondant à l’heure fixée dans l’acte juridique de décision de sortie.

Mais il s’agit aussi de tous les contrats de l’économie réelle et ce, y compris, les contrats de travail des travailleurs frontaliers.

La garantie publique est le point fixe qui se substitue à l’Euro, une sorte de SAS permettant le passage d’une zone où les taux de change ne sont pas maitrisés vers une zone où ces même taux sont politiquement définis.

La garantie publique du respect des contrats signifie que si les agents économiques du pays sortant ne peuvent perdre, ils ne peuvent davantage  gagner. A titre d’exemple, si des français titulaires de contrats d’assurance-vie incorporant des titres publics grecs ne peuvent être victimes du rétablissement de la Drachme, ces mêmes français titulaires de  contrats semblables incorporant de la dette publique allemande  ne peuvent bénéficier  du rétablissement du Mark. La garantie correspond donc bien à la volonté de neutralité sur les bilans des agents vis-à-vis d’une  sortie de l’Euro. Et cette neutralité est bien ce qui interdit tout mouvement spéculatif. Le déclenchement des CDS est lui-même interdit en ce que la sortie ainsi envisagée n’est en aucune façon un « incident de crédit »[17].

La garantie de l’Etat sortant est  autrement plus douloureuse que les garanties offertes par les Etats, qui, en Octobre 2008, ont dans un même geste bloqué tout effet de panique chez les déposants des banques dont on pouvait anticiper l’effondrement. Alors qu’à l’époque, le risque n’était que potentiel et qu’un effet d’annonce pouvait suffire à bloquer la panique, dans le cas présent d’un démantèlement, il faut aller plus loin et effectivement payer les victimes.

Et le prix à payer est d’autant plus important que le pays sortant est lui-même impécunieux. On voit ainsi mal l’Etat Grec sortant sur la base d’une dévaluation massive être à la hauteur de sa garantie. Et on voit aussi mal les Etats gagnants d’une sortie, redistribuer les gains aux perdants. Outre qu’encore une fois la sortie n’est pas coopérative et négociée, les gagnants sont aussi des agents privés pour lesquels la réévaluation est un profit qui devrait rester privé. Concrètement une entreprise allemande dont les débiteurs sont français doit logiquement bénéficier de la réévaluation du mark, et on ne voit pas comment ce bénéfice pourrait être utilisé pour assurer les garanties de l’Etat Grec. Pour autant s’il est aisé de bloquer les bénéfices au nom du respect intégral de tous les contrats (cela ne coûte rien), il faut bien trouver les moyens de dédommager les victimes d’une sortie de l’Euro.

 

4) Le respect des contrats par des Banques centrales qui monétisent.

 

Si le respect intégral et rigoureux des contrats implique un dédommagement des perdants sans que les gagnants ne puissent aider, il faut trouver un tiers chargé d’assurer la passage de l’ancien au nouveau monde, si possible sans destruction du projet européen. Il faut en effet avoir en tête l’énorme effet destructif d’une explosion non contrôlée de l’Euro.

Dès lors, la solution qui s’impose est le recours aux banques centrales nationales qui sont réquisitionnées dès l’annonce de la sortie.  De fait, il ne s’agit que d’accélérer un processus déjà engagé avec la BCE, qui aujourd’hui tente de maintenir la fiction de l’Euro avec des interventions massives sur les dettes publiques du sud. La présente action de la BCE est déjà bien une tentative d’endiguement de la panique déstabilisatrice avec des « spreads » qu’il faut contenir pour éviter, et un krack obligataire, et un « Bank-run ».

La procédure est donc simple : Pour les pays qui quittent la zone en dévaluant, l’ordonnance de réquisition, stipule que la Banque centrale de l’Etat sortant, crédite le compte du Trésor correspondant, à hauteur des engagements de ce dernier au titre de la garantie du respect de tous les contrats. Les fonctionnaires du Trésor fixent le montant des dédommagements et ordonnent à la Banque les paiements correspondants. Le cas échéant des magistrats et commissaires au compte attestent de la bonne exécution des garanties.

L’unité de compte retenue pour le dédommagement peut être la nouvelle monnaie nationale. Ainsi l’exportateur allemand de marchandises vers la Grèce – si ce dernier pays quitte la zone- se voit payé par son client dans la monnaie dont il dispose, auquel il faut ajouter le prix de la dévaluation, prix exprimé en Drachmes, et au final supporté par la Banque centrale de Grèce. Toujours s’il s’agit d’une sortie grecque, La Société Générale voit, à l’actif de son bilan, ses obligations publiques grecques transformées en drachmes, valeurs augmentées du montant de la dévaluation. On pourrait multiplier les exemples. Bien évidemment s’élèvent d’immenses balances en Drachmes que le « bateau des passagers clandestins »[18] cachait si bien et que le dispositif « Target 2 »[19] cachait plus difficilement.

Il faut donc imaginer que ces balances en Drachmes sont acheminées vers les Banques centrales des Etats correspondants (dans notre exemple celle d’Allemagne pour l’exportateur Allemand, et de France pour la Société Générale) et transformées en nouvelles monnaies nationales.

Au final la monnaie émise (dont la quantité est égale au produit de la dévaluation par le total des engagements) se trouve stockée dans les pays qui sont dans une situation favorable : peu ou pas de dévaluation, peu de dette extérieure, dette publique faible ou nationalisée. De quoi provoquer une hausse des prix plus rapide que dans les pays ayant massivement monétisé.

Le dispositif, retenu, sans doute trop brièvement exposé, et ne réglant pas toutes les situations –comment traiter les CDS même s’il n’y a pas juridiquement « accident de crédit » ? – évacue complètement l’idée de défaut, de soutien au système bancaire, de surveillance des spreads de taux etc.

 

5) Effets indirects : une puissante accélération de la dé- mondialisation financière, voire de la dé mondialisation tout court. 

 

La dé- mondialisation financière est liée à la crise, avec depuis 2007, une diminution de 10% de son volume dans le PIB mondial, des flux de capitaux transfrontaliers qui se sont effondrés de 61% et des banques de la zone euro qui ont réduit leurs créances à l’étranger de 3700 milliards de dollars[20]. Il est bien évident qu’une fin de l’Euro, au moins dans sa présente version, ne ferait qu’accélérer un tel mouvement. Point de vue qui mérite une argumentation précise.

On sait qu’historiquement la mondialisation financière s’est accompagnée d’un fantastique développement des activités spéculatives de tenue de marché, et plus spécifiquement dans les activités de couverture sur risques de change. Tout aussi historiquement, ces activités de couverture ont été largement impulsées par le choix de taux de change flexibles retenus dans le cadre des accords de la Jamaïque du 8 janvier 1976. Ce choix, résultant très largement des activités des lobbyistes de la City[21],  était évidemment profitable pour les activités de couverture.

Avec l’internationalisation et la mondialisation des échanges, avec aussi ce qui est largement congruent, à savoir la totale liberté de circulation des capitaux, et la convertibilité sans limite des monnaies, les activités sur le « FOREX » devaient se multiplier[22] en inventant et en utilisant des produits financiers de couverture de plus en plus raffinés. A l’époque de Bretton-Woods, la fixité des taux de change ne permettait la spéculation que dans un seul sens et uniquement en présence de taux devenus irréalistes. Autoriser l’instabilité par des taux flexibles, c’est aussi autoriser la fortune de la finance, qui se mettra à vendre de la garantie… pour faire face  à l’instabilité que l’on aura créé. De la même façon qu’en favorisant l’instabilité internationale, on favorise l’industrie et la vente d’armes, en favorisant l’instabilité des prix des devises, on favorise l’industrie spéculative[23].

Tant que cette instabilité est probabilisable et peut s’inscrire dans des modèles mathématiques autorisant une profitable réduction d’incertitudes, la tenue de marché par le système financier est relativement aisée et les coûts pour l’économie réelle supportables. Avec la crise, les modèles sont devenus incertains[24] avec d’une part une vertigineuse montée des coûts de tenue de marché, coûts qu’il faut reporter sur les clients de l’économie réelle[25].

La disparition de la zone euro entraine, de ce point de vue, de nouvelles difficultés qu’il faudra maitriser : Peut-on imaginer un élargissement du FOREX pour les nouvelles devises issues du démantèlement de l’euro, avec les coûts correspondants aux nouvelles activités de couvertures ? Sachant que, même en diminution, le commerce intra-zone euro représente encore près de 50% du total des échanges extérieurs, il parait impensable pour les banques européennes de se lancer dans ces nouvelles opérations de couverture à forte consommation de capital…un capital nécessaire pour l’investissement dans l’économie réelle. Et il parait tout aussi difficile pour les entreprises de supporter les coûts de ces nouvelles et nécessaires couvertures pour risques de change. Ajoutons que les nouvelles définitions des taux de change font acheminer les divers pays dans une conception plus politique de la monnaie…. avec évanouissement des modèles probabilistes montés par les banques…[26]

Il apparait donc nécessaire de ne pas adopter un système de taux de change flexible, et de s’en tenir à une conception beaucoup plus proche de celle prévalant à Bretton-Woods, avec toutefois la difficulté que l’environnement mondialisé restera lui probablement dans une situation de grande flexibilité. Cela signifie par conséquent la fin très durable d’une indépendance des banques centrales, le probable contrôle des flux de capitaux, un certain contrôle des changes, etc.

Au total ces réflexions concernant les couts de couverture militent pour un système conservant l’euro en tant que monnaie commune avec des taux de change fixes entre nouvelles monnaies nationales et monnaie commune. Chaque monnaie n’étant convertible que dans la monnaie commune. Cette situation optimale, n’est toutefois accesible que si l’on se place dans une reconfiguration négociée, ce qui n’est pas évident si la déconstruction se déroule selon le mode panique.

Il est très difficile de produire l’image du monde d’après.

 

 Quelques indications peuvent toutefois être tracées. Tout d’abord des Etats qui auront renationalisé leur monnaie, leur dette, et leur Banque centrale. Mais aussi des Etats qui devront veiller à l’équilibre des échanges extérieurs tout en renouant avec des stratégies coopératives à l’intérieur d’un nouveau projet européen, ce qui impliquera des politiques sélectives en matière de mouvement de capitaux et de taux de change négociés régulièrement. La dé financiarisation initiée par la fin de l’instabilité des taux de change se marquera dans la structure des bilans bancaires, bilans moins interconnectés avec le reste du monde, bilans allégés en taille et surtout complètement restructurés, avec un compartiment banque commerciale plus lourd, un compartiment banque d’investissement plus léger et surtout à l’intérieur de celui –ci une diminution importante du sous compartiment « dérivés »[27]. Notons toutefois que la dé financiarisation sera en principe beaucoup plus aisée dans le cas du maintien d’un euro en tant qu’enveloppe extérieure. Mais elle sera néanmpoins  limitée en raison du fait que des produits de couverture doivent être maintenus : les taux de change fixes sont difficiles à définir dans un environnement mondialisé et complètement financiarisé.

Ces banques restructurées et sous la dépendance directe de la Banque centrale et de sa politique de taux seront partiellement libérées de l’aliénation financière qui les empêche d’effectuer leur métier à savoir la sélection des bons investissements dans l’économie réelle. De ce point de vue, il sera assez peu efficient de revenir à toute forme de " Glass- Steagall  Act"  : il n’y a pas à isoler la spéculation, il y a surtout à l’interdire ou à limiter le périmètre de son terrain de jeu.

Le prix à payer de la répression financière ainsi mis en place est bien évidemment l’émergence de produits d’épargne plus rustiques, mais aussi peut-être plus sains en ce qu’ils seront moins chargés de « paris financiers » spéculatifs ( produits structurés) et davantage chargés de " pari " sur l’économie  réelle ( actions).

 

 

 

 

                                                                                                                          

                                                                               



[1] Sondage publié le 10 mars 2013 par le quotidien Corriere della Sera.

[2]Cf : « lacrisedesannees2010.com ».

[3] Au moins dans un premier temps car cette fonction de prêteur en dernier ressort de type « low cost » n’est pas sans danger puisqu’elle est très favorable aux classes d’actifs risquée, les fameux « high yields » qui à leur tour facilitent des emprunteurs dangereux y compris de nouveaux Etats très déficitaires , notamment en Amérique latine.

[4] Avec une base monétaire restée stable entre 2009 et 2012 La Banque centrale japonaise a provoqué une réévaluation de 35% de sa monnaie et ce pour le grand profit des exportateurs industriels allemands.

[5] Les pistes ouvertes à la BCE à ce sujet ne sont pas simples : abaisser le seuil qualitatif du collatéral, relancer la titrisation, diminuer les haircuts sur les actifs présentés à son guichet, etc.

[6] Moyens imaginés dans : « Prochaine étape : l’arrivée du « LTRO » nouveau » in lacrisedesannees2010.com.

[7]Politique déjà proposée en 2010 par Olivier Blanchard et toujours dénoncée par Joseph Stiglitz en ce qu’elle augmente mécaniquement, par la déflation, la dette des ménages des entreprises et surtout des Etats.

[8] Cf  Patrick Artus dans le Flash Economie de Natixis du 4/03/2013.

[9]« L’Euro » ; Dalloz ; 2013.

[10] C’est aussi ce que pensent les dirigeants d’un nouveau parti : « Alternative pour l’Allemagne » qui jugent irresponsable de financer le sauvetage de la zone euro avec « les impôts, la stagnation et l’inflation » qui- selon ces dirigeants- se développent en Allemagne.

[11] On comprend pourquoi jusqu’à présent les stress-tests auxquels les systèmes bancaires sont régulièrement soumis n’ont jamais incorporé l’hypothèse d’une fin de l’Euro.

[12] Ce phénomène est déjà très visible en ce que les indices financiers des pays émergents lourdement exportateurs vers l’Europe évoluent peu depuis maintenant 2 ans  (cf « les Echos du 14/03/2013).

[13] Il est aussi extrêmement clair que la reconstruction sera aussi celle de l’Europe : sortir de l’Euro est un changement radical, pouvant détruire le projet européen tel que jusqu’ici mené. On ne pourra échapper à ce type de réflexion qui toutefois n’est pas dans le périmètre du présent texte.

[14]Catégorie juridique qui ne se classe dans aucune autre et nécessite des textes spécifiques. De fait il s’agit d’une situation où l’Etat s’exclue lui –même des pouvoirs logiquement attribués à ce dont il est propriétaire.

[15] De ce point de vue une plus grande clarté devra être apportée en France sur l’article 121-2 du code pénal qui allège la responsabilité pénale de la personne physique.

[16] La mondialisation n’empêche évidemment pas la cotation des actifs à l’étranger. Pour autant la décision de garantie peut avoir un effet planétaire. Parce qu’elle est assortie d’une condition temporelle ( valeur de marché constatée à la date de… à telle heure…), il n’est plus possible de gagner ou de perdre sur des fluctuations de prix… même à des milliers  de kilomètres de l’Etat ayant décidé sa sortie de la zone-Euro.

[17]L’incident de crédit est tout simplement la constatation d’un défaut de paiement qui, dans le cas des CDS, est dûment établie par un régulateur : l’ISDA ( « International Swaps and Dérivation Association »). Cet organisme, souvent critiqué en raison de possibles conflits d’intérêts  affectants ses organes de décision, dispose  d’un pouvoir déclencheur qui était souvent évoqué avec angoisse lors de la crise grecque.

[18] Cf « l’Euro : sursaut ou implosion » in lacrisedesannees2010.com.

[19] Il s’agit du dispositif de l’euro-système qui assure les paiements transfrontaliers entre les banques des pays de la zone Euro.

[20]  Cf le rapport du cabinet McKinsey de février 2013.

[21] Le ministre français de l’économie et des finances de l’époque, Jean Pierre Fourcade, a fait part à l’auteur de ces lignes, à titre privé, de l’acharnement- durant la conférence de la Jamaïque- de la partie anglaise à vouloir imposer des taux de change complètement libres.  Succès à l’origine, selon Jean Pierre Fourcade, de la renaissance de la City.

[22] 4000 milliards de dollars y sont échangés quotidiennement.

[23] Notons que cette instabilité comme source de profits financiers et de coûts économiques sera progressivement généralisée, les mêmes modèles servant pour l’instabilité  des cours de bourses  que l'on aura préalablement développée en mettantr fin   au    «  fixing », pour l’instabilité des cours des matières premières,  des produits agricoles, etc.

[24]Incertains au sens de Keynes qui s’attachait à bien repérer ce qui est de l’ordre du probabilisable et ce qui est de la méconnaissance radicale.

[25] On estime ainsi que les activités de tenue de marché pour la BNP mobiliseraient aujourd’hui 38% du total de son bilan, soit un peu plus du tiers du PIB de la France. Chiffre à comparer avec le monde de l’économie réelle où les entreprises mobilisent aussi des stocks pour tenir leur marché : moins de 12% du total des bilans dans la Distribution. Ces coûts de tenue de marché sont évidemment supportés par les entreprises de l’économie réelle. Selon le cabinet Azerrisk Advantage, la couverture du risque de change peut aujourd’hui représenter jusqu’à 7% du chiffres d’affaires.

[26] Ce que semble confirmer- mais de façon assez détournée -  une étude de l’Université de Salzbourg : « Democratization and real exchange rates », Furlan, Gächter, Krebs, Oberhofer, University of Salzburg, 2013.

[27]Aujourd’hui encore, le sous compartiment « dérivés » du Crédit Agricole (1ière banque française, 5ième mondiale et total du bilan égal au PIB de la France)  représente plus des 2/3 de sa banque d’investissement.     

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