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13 décembre 2023 3 13 /12 /décembre /2023 18:06

Quelques conseils simples pour candidats sérieux aux prochaines élections                        

On ne peut construire un projet sans en connaître le but. Il convient de bien distinguer  les fins et les moyens.

La finalité est probablement commune à tous les candidats sérieux. L’objectif commun est, raisonnablement, de construire une société apaisée par la confiance qui doit lier les différents groupes d’acteurs du jeu social, confiance enracinée dans une sécurité aussi bien intérieure qu’extérieure. La confiance collective est l’humus sur lequel pourra s’édifier un projet.

De cette finalité découle des moyens généraux ordonnés en quelques  points, chacun étant la condition de la bonne réalisation du précédent. Cet ordonnancement se doit pourtant d’éviter l’impression d’un retour impossible vers « l’âge d’or » et doit tenir compte, dans un programme détaillé, de réalités anthropologiques que l’histoire sculpte en permanence : l’avenir ne saurait être un retour vers le passé. Les points qu’il faut articuler sont les suivants :

                                                                               1 - Reconstruction d’une immense classe moyenne aux  prises avec des activités reconnues utiles pour tous. 

                                                                                  2 – Edification d’une base d’appui de la reconstruction autour de 5 blocs : Instruction/Education, Environnement/Ecologie, Santé, Energie, Défense aussi bien intérieure qu’extérieure. Cette édification utilise une matière première dans un ordre juridico-économique à construire.

                                                                                                     3 - L’énormité des moyens matériels à rassembler suppose de sortir radicalement d’une économie de la dette : la masse monétaire et financière ne peut plus augmenter par la seule dette avec ses conséquences en termes de crises financières régulières et ses politiques publiques destructrices appelées « réformes structurelles ». Raisonnablement la finance ne peut occuper une place 10 fois supérieure à l’économie réelle sans qu’on s’y intéresse. Que des candidats refusent d’entrer dans cette réflexion prioritaire et en déduire des actions n’est pas sérieux.

                                                                                             4 - L’industrie financière doit cesser d’être tournée sur elle-même et contre l’économie réelle, elle doit se déployer autour d’une banque centrale cessant d’être indépendante et donc désormais mise au service de la reconstruction. Ne pas voir que la BCE s’est - de par ses opérations de quantitative-easing livrée au sauvetage de la  seule finance n’est pas sérieux.

                                                                                           5 - Les 5 blocs doivent se construire par échanges mutuels, ce qui suppose une économie de marché désormais enracinée dans un projet, et donc  une planification programmée des activités. Mécaniquement,  les échanges entre les 5 blocs reconstruisent par le jeu d’un juridico-économique à choisir, une industrie, une agriculture,  des services privés et publics.

                                                                                            6 - La connexion du chantier avec l’extérieur privilégie le détricotage progressif de l’ordo-libéralisme bruxellois et la coordination croissante avec ce qui pourra apparaître comme une association d’Etats-Nations souverains et, bien évidemment, de culture démocratique. Ne pas voir que les nations sont de retour et ne pas en imaginer les avantages et dangers possibles n’est pas sérieux.

 

Un projet politique sérieux doit détailler ces moyens généraux et en particulier les points 3, 4 et 5. De ce point de vue, il doit questionner l’ensemble des conséquences juridiques et géopolitiques associées au projet. Les fins et moyens susvisés doivent être rassemblés dans un document de campagne aussi bref que possible (moins de 10 pages). La distinction radicale de ce type de  projet avec ceux présentés jusqu’ici très classiquement doit être  dans l’analyse précise de la sur-financiarisation mondiale - pièce maîtresse particulièrement dévastatrice de la France, de son économie, et de sa société -   et des moyens d’y remédier. Le constat  de la sur-financiarisation doit-être présenté de façon compréhensible pour les citoyens, doit être analysé du point de vue de ses conséquences précises, et doit être suivi de la présentation d’un autre avenir possible.

Nous publierons prochainement un texte plus précis sur la dé-financiarisation comme travail indispensable à tout effort de reconstruction du pays.

 

 

                                                          

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7 décembre 2023 4 07 /12 /décembre /2023 18:15

Les Echos du 6 décembre dernier évoquent, page 16, les désaccords des fournisseurs d’électricité relativement à la nouvelle régulation envisagée entre l’Etat et EDF[1]. Dans le langage de ces fournisseurs qui sont majoritairement de simples revendeurs d’électrons  (non produits par leurs soins), on évoque un risque d’éviction, c’est- à- dire une barrière qu’EDF pourrait ériger pour retrouver un monopole sur les grands consommateurs. Toujours selon leur langage, cette barrière qui serait une  entrave à   la concurrence, pourrait être levée si on envisageait une séparation entre un « EDF producteur » et un « EDF fournisseur ». Cela signifierait que l’accès à l’électricité s’opérerait selon les mêmes conditions, que l’on soit EDF ou simple revendeur. Resterait à savoir qui déterminerait ou contrôlerait les coûts et prix du nucléaire accessible aux mêmes conditions pour tous.

Les termes cachés du débat : le côté industrie

Bien évidemment, un tel dispositif supposerait un intérêt évident à ce que les coûts d’accès soient le plus faible possible pour les revendeurs, ce qui signifie concrètement l’accaparement de la rente nucléaire selon des modalités très proches de celles de l’ARENH aujourd’hui. Plus le prix du nucléaire est faible et plus cela favorise les revendeurs sans pour autant les mettre en difficulté vis à vis d'un EDF fournisseur travaillant pour un même cout de la matière première électron.

Inversement, l’intérêt d’EDF producteur serait de vendre plus cher à EDF fournisseur. Si EDF producteur était donc séparé d’EDF fournisseur, l’intérêt global de l’entreprise serait  la maîtrise complète du coût de production du nucléaire dont on sait que le montant dépend très largement de l’éventail des coûts retenus. Un coût du nucléaire incorporant le renouvellement du parc selon les technologies en vigueur ( coût de long terme), n’est pas le même qu’un coût unitaire de court terme.

On voit donc que, derrière le débat sur la séparation d’EDF en 2 unités, il y a tout l’enjeu de l’accaparement de la rente nucléaire. Les revendeurs auraient souhaité conserver la rente sous une forme ARENH, tellement profitable, mais Ils accepteraient les modalités nouvelles si toutefois ils pouvaient contrôler le prix de cession des électrons produits vers les revendeurs dont le revendeur EDF. Bien évidemment, la grande presse n’analyse pas la réalité du débat et se contente de rapporter un mécontentement qui va devenir croissant jusqu’à la transformation de l’accord entre Etat et EDF en loi. Clairement les revendeurs acceptent la disparition de l'ARENH mais veulent un substitut tout aussi avantageux. A l'inverse EDF entend retrouver la liberté classique d'une entreprise industrielle classique et ne veulent plus d'un ARENH source d'une inacceptable prédation au profit de parasites qui au surplus agitent l'idée d'un intérêt général produit par une concurrence non faussée. 

Les termes cachés du débat : le côté finance

Derrière la question que l’on présente comme technique, se profile également une question qui a plus à voir avec la finance qu’avec l’industrie. Il est clair que si les revendeurs ne maitrisent plus une bonne partie de la rente, la fragilité plus grande des prétendues entreprises correspondantes sera intégrée dans le marché de gros. Très clairement l’accès au marché serait plus coûteux car beaucoup plus exigeant en termes d’appel de marge et de collatéral. Une exigence accrue si les fournisseurs devaient s’aventurer sur les contrats de long terme avec partage des risques (CFD ou contrats sur différences). Si rien ne change et si Bruxelles ne vient pas au secours des revendeurs, il est probable qu’un effet de ciseau meurtrier se mette en place : coût d’accès plus élevé que sous le régime douillet de l’ARENH et coût d’accès au marché de gros plus difficile. De quoi être définitivement en difficulté.

 La crise de l’an dernier fût meurtrière pour les revendeurs spéculateurs et nombre d’entre-eux ont disparu (plus d’une dizaine sur un quarantaine). Un paradigme non contrôlé par ces mêmes acteurs pourrait devenir le dernier clou du cercueil.

Se retirer du débat : le côté politique.

Dans cette affaire, il faut comprendre le relatif éloignement de Total Energie. L’entreprise pourra certes perdre un ARENH non négligeable, mais ne perdra rien sur le marché de gros en raison de l’énormité de son poids. Au surplus, elle se doit de rester éloignée de débats qui, risques électoraux obligent, pourraient remettre au goût du jour la fin du très curieux marché de l’électricité et le retour du monopole public. De quoi se faire discret.

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2 décembre 2023 6 02 /12 /décembre /2023 07:02

 

Dans une analyse publiée dans les échos des 25 et 26 novembre, nous sommes alertés par une phrase forte : « L’accord du 14 septembre entre EDF et l’Etat est un accord financier courtermiste entre deux entités criblées de dettes »[1]. Empiriquement, il est difficile de contester la réalité de la dette de l’un et de l’autre de ces deux acteurs, avec y compris un lien entre les deux, la dette d’EDF pouvant exiger une recapitalisation par son propriétaire devenu unique, l’Etat, et recapitalisation ne pouvant s’opérer que par l’accroissement de la dette de ce même Etat.

Par contre, l’auteure n’explique en aucune façon les circonstances qui ont pu entraîner une telle situation. Elle n’explique pas non plus la situation de très grande compétitivité d’un EDF qui pendant plusieurs dizaines d’années va garantir des prix très faibles de l’électricité au bénéfice des consommateurs et des producteurs. Une situation qui sera insupportable aux yeux d’une Allemagne qui ne va jamais tolérer un prix de l’électricité près de deux fois moins élevés en France qu’en Allemagne.  Elle n’explique pas enfin ce passage de l’exceptionnelle efficience au désastre d’aujourd’hui.

L’auteure de l’article n’explique pas et, au contraire, se permet d’affirmer que le problème n’est ni l’ARENH[2], ni le marché européen de l’électricité, ni la croisade antinucléaire de l’Allemagne[3] mais tout simplement l’insuffisante performance de l’outil nucléaire français. Insuffisance là aussi incontestable, mais pour laquelle il faudrait en élucider les causes profondes.

Pourquoi et comment le monopole efficient et bienveillant s’est -il effondré ?  Voilà la véritable question à élucider.

On sait que l’entreprise était un monopole naturel qui, au niveau du seul nucléaire, pouvait bénéficier – à l’inverse de tous les autres pays que compte la planète- des avantages de la grande série (58 réacteurs construits en un eu plus de 20 ans). On sait aussi que le choix de la gestion centralisée est un avantage décisif du monopole pour l’ajustement instantané et sans coûts de transaction de l’offre à la demande.  Là encore il s’agit d’un avantage spécifiquement français. Concrètement nous avions un monopole fonctionnant à rendements continuellement croissants.  D’un point de vue théorique la rente de monopole dans un contexte de service public peut se décliner en choix multiples : cession d’une partie de la rente en termes de prix de vente faible au profit des consommateurs et des entreprises, cession en termes d’avantages sociaux, cession en termes d’intérêts redistribués à la finance par le biais de l’endettement et, le cas échéant, cession en termes de profit pour l’Etat. Il n’est donc pas anormal de produire des résultats comptables différents que ceux normalement attendus d’une entreprise classique sur un marché classique. Le monopole est là pour redistribuer la rente  selon le choix des politiques publiques.

Sans la déréglementation du marché de l’énergie (directive européenne du 19 décembre 1996, mais aussi directives du 26 juin 2003, mais encore loi NOME du 7 décembre 2010, mais enfin le décret 2012-465 portant sur l’application de l’ARENH à compter du 1er juillet 2011), EDF aurait pu - comme par le passé- redistribuer sa rente de monopole. Ce qui va gêner EDF sera d’abord d’apprendre dès la fin de la construction du parc nucléaire (1999), qu’il va perdre sa mission de service public tout en devant continuer à redistribuer la rente nucléaire. Surtout, il va rapidement apprendre que de nouveaux invités seront conviés au partage de la rente : les fournisseurs d’électricité. Ces derniers à partir du 1er juillet 2011 vont bénéficier de 25% de la production nucléaire de l’entreprise pour un prix très avantageux (42 euros/MWH). Alors que la redistribution de la rente pouvait se justifier dans le cadre d’une mission de service public, on voit mal en quoi la redistribution à des fournisseurs dont la plupart n’ont aucune connaissance de l’industrie de l’électricité est éthiquement justifiable. Du point de vue du dirigeant d’EDF, la chose est même extraordinairement grave puisque, concrètement, l’ARENH consiste à céder la production de l’entreprise à de futurs concurrents qui eux-mêmes n’auront aucune obligation d’investir dans l’industrie. La rente douillette est davantage propice aux frissons et joies du trading sur le prix de l’électricité qu’à l’affrontement des rigueurs industrielles. Plus crûment exprimé on comprend mal que les dirigeants EDF n’aient pas offert leur démission à l’Etat propriétaire devenu lui-même délinquant.  Le personnel politico-administratif a -t-il le droit d’organiser la prédation d’une entreprise restée très largement propriétaire de la nation ? Dans le contexte de la crise de 2022, cette prédation s’est montée approximativement à 20 milliards d’euros[4].

Plus difficile à comprendre est sans doute l’abandon des projets et des recherches dans le domaine du nucléaire (fin d’Astrid, décision de l’abandon du nucléaire civil, fermeture programmée dès 2011 de 17 centrales nucléaires en Allemagne, etc.), avec comme conséquence gravissime l’évaporation à long terme des compétences correspondantes. Cet abandon, d’abord peu visible au début des années 2000, s’est gravement matérialisé en 2022 avec l’arrêt de production de plus de la moitié du parc. Bien évidement cet arrêt a considérablement ajouté aux difficultés engendrées par la crise. Concrètement nombre de fournisseurs d’électricité ont abandonné une clientèle, obligatoirement récupérée – service public oblige- par un EDF aux capacités de production diminuées….obligeant le producteur historique, EDF, à payer le prix fort sur le marché de gros ( jusqu’à 600 euros/MWH). Après avoir couvert les fournisseurs de cadeaux, il faudra payer le prix de leur irresponsabilité…

Oui, les résultats comptables d’EDF sont devenus tragiques. Alors que l’endettement était déjà élevé au début des années 2000 ( ratio calculé sur la base des fonds propres de 58% en 2002) il passe à 140% en 2022. Rappelons que dépasser un ratio de 40% en entreprise classique est déjà considéré comme dangereux.

L’accord financier du 14 septembre est certes courtermiste, mais il est bien davantage un accord entre un aveugle, L’Etat, et un paralytique : EDF. Plus précisément c’est l’aveugle qui n’a pas vu les conséquences dramatiques de l’irruption d’un marché de l’électricité, et qui a décidé de briser l’entreprise qui l’avait tant aidé durant les 50 premières années de son existence.

L’histoire funeste de l’aveugle et du paralytique va hélas se poursuivre et l’on voit déjà le Sénat qui veut lancer une commission d’enquête - une de plus- sur le prix de l’électricité (décision le 13 décembre prochain) et une UE qui veut investir 584 milliards d’euros pour les seuls réseaux….au profit de la bonne circulation des électrons devenus marchandises….Rappelons qu’avant de faire circuler il faut produire et soulager le paralytique. Rappelons aussi au Sénat qu’il fut un acteur ayant participé au vote de la loi NOME et de son décret faisant naître l’ARENH.

 

 


[1] Texte rédigé par Cécile Maisoneuve, présidente de Décysive, texte  publié dans les pages « idées » des Echos et ayant pour titre : « Nucléaire : en finir avec l’exceptionnalisme » .

[2] Accés régulé à l’énergie nucléaire historique.

[3] On pourra lire à ce sujet le « Rapport d’Alerte » de juin 2023 publié par l’Ecole de Guerre Economique, en particulier les pages consacrées aux activités de la fondation allemande Heinrich Böll.

[4] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/11/prix-de-l-electricite-un-peu-de-lumiere-dans-un-ocean-de-bavardages.html

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23 novembre 2023 4 23 /11 /novembre /2023 09:00

Le débat sur l’annulation de la dette publique se concentre essentiellement sur la partie de la dette achetée par les banques centrales. Et précisément c’est parce que cette dernière est devenue importante dans le total de la dette (30% pour la zone euro et 60% de son accroissement depuis 2008) que le regard s’est porté sur les banques centrales. L’idée consiste à considérer que ces dernières pourraient d’elles-mêmes ne pas présenter au Trésor les bons à échéances qu’elles détiennent et d’accepter l’effacement de leur valeur.

Ce débat déjà abordé dans un article précédent[1] prend de l’ampleur avec la montée des taux sur le marché obligataire dans un moment où l’inflation semble reculer. La croissance en valeur du PIB (croissance calculée sur la base des prix courants, donc compte tenu de l’inflation) restera faible dans le futur en raison d’une possible récession. Dans le même temps les taux sur la dette publique demeurent élevés ( environ 3,5% sur la période 2022-2027), et deviennent possiblement supérieurs à la croissance économique. Cela signifiera qu’il faudra faire face à un service de la dette croissant plus rapidement que la croissance réelle. De quoi aboutir à un étranglement budgétaire et donc des dépenses publiques qu’il faudra museler au risque d’aboutir à la chute de la demande globale et donc aggraver les tendances sécessionnistes.

Face à ce constat le débat sur l’annulation est relancé et l’on voit le monde de la finance se lever pour une fois de plus considérer que les banques centrales ne doivent pas  être la béquille des Etats. A ce titre on en déduirait que l’annulation de la dette publique signifierait nécessairement la recapitalisation des banques centrales. Tel est en particulier ce qu’on peut lire dans les Echos du 18 novembre dernier[2]. Curieusement l’article cité prend appui sur l’idée que les banques centrales sont des filiales des Etats et qu’il faut considérer la consolidation des comptes : ce que les Etats vont gagner en s’allégeant de leur dette envers les banques centrales, ils  vont le perdre en recapitalisant les dites banques et ce pour un même montant.

Il est amusant de voir que les adeptes de l’indépendance des banques centrales considèrent ces dernières comme de simples filiales. Ce fût certes historiquement le cas et ce fût la solution au financement des guerres du vingtième siècle, sans le souci d’une recapitalisation. Ainsi personne ne se posait la question de la recapitalisation de la Banque de France entre 1914 et 1918 lorsque celle-ci finançait directement un Trésor dépensant chaque année 30 mois de recettes fiscales du temps de paix. Le déficit était un actif de la banque de France et sa contrepartie -  après les dépenses publiques, notamment celles permettant de fabriquer des armes -  se retrouvait au passif de la même banque de France sous la forme de monnaie fiduciaire. Donc pas de passif exigible… les porteurs de billets ne demandant pas le remboursement en billets… Pas de déséquilibre comptable pas de pertes et bien sûr pas de recapitalisation au demeurant impossible.

Beaucoup plus tard, notamment  avec les dividendes de la paix,  le modèle métastatique du système financier avait besoin de l’indépendance des banques centrales, pour faire de la dette publique une dette de marché garantissant l’envol d’une finance devenue débridée. Désormais la dette publique devient une opportunité de marché, d’abord par la rente offerte sur un actif sans risque, ensuite par le caractère de collatéral du dit actif. Nous renvoyons encore ici à l’article précédent[3].

Quand va-t-on enfin admettre et déclarer haut et fort que les banques centrales sont des institutions bénéficiant d’une situation de non exigence de passif ? Déclarer l’inverse et utiliser la grande presse pour évoquer une menace inexistante n’est probablement pas une erreur, mais bien plus certainement un délit consistant à profiter de la méconnaissance des personnes pour pérenniser un système éthiquement condamnable.


[2] Cf l’article d’Olivier Klein : « Annulation de la dette publique : fausse solution et vrai danger » page 12.

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17 novembre 2023 5 17 /11 /novembre /2023 14:20

Depuis plusieurs jours des journalistes exposent l’accord entre le gouvernement et le président d’EDF. Ils reconnaissent eux-mêmes la difficulté à entrer dans la compréhension de l’accord, parlent de « mécanisme alambiqué » ou de « trop grande complexité ». Ils évoquent la rente nucléaire sans savoir de quoi il s’agit, s’étonnent de la non- participation des fournisseurs alternatifs ou des propos peu transparents concernant les futurs rapports entre EDF et ces mêmes fournisseurs alternatifs, etc.. Globalement un accord qui laisse chacun dans l’interrogation en particulier les industriels qui aimeraient pouvoir en savoir davantage sur le coût de leurs intrants.

Pour y voir plus clair, nous proposons un petit modèle tiré de la théorie de la rente foncière exposée voici 2 siècles par l’économiste Ricardo, auteur bien connu de tous les étudiants en économie. Nous tenterons de montrer dans ce qui suit en quoi l’électricité et son prix peut être saisi à partir de ce qui était naguère les contraintes agricoles exposées par Ricardo.

Supposons 3 catégories de terre, la première connaissant un coût complet de production d’une unité de blé pour une dépense de 20 unités monétaires, la seconde moins productive pour une dépense de 40 unités monétaires et la troisième encore plus difficile pour une dépense de 60 unités monétaires. Logiquement? la seconde terre ne sera exploitée que si le prix unitaire du blé atteint les 40 unités monétaires, soit son coût de production. De la même façon la troisième terre ne sera mise en exploitation que si le prix du blé atteint les 60 unités monétaires. Le prix de marché étant unique, nous constatons un phénomène de rente pour la première terre, d’abord de 20 unités si le prix de marché atteint les 40 unités, puis de 40 unités si ce même prix atteint les 60 unités. C’est ce que David Ricardo appelait la rente différentielle, un surprofit résultant de l’efficience relative de la première terre. Observons aussi que, sur le marché, le prix correspond au coût marginal c’est – à -dire le coût supplémentaire pour produire une unité supplémentaire de blé.

Lorsque les 3 terres sont en exploitation, nous constatons une production de 3 unités de blé pour une dépense de 60X3= 180 unités monétaires, dépense autorisant une rente de 20+40= 60 unités monétaires. Si l’on raisonne rationnellement, un monde idéal et non réel, on pourrait théoriquement produire 3unités de blé pour un coût de 20+40+60= 120 unités monétaires, soit un prix unitaire de 40 unités monétaires. Dans ce cas il faudrait subventionner les producteurs de la terre la moins fertile et considérer que le prix de vente n’est plus égal au coût marginal. Le type d’organisation agricole correspondant à cette réalité serait un monopole bienveillant, ou une nationalisation à des fins d’intérêt public. Et dans ce type d’organisation on constate que la rente est partiellement redistribuée, notamment au bénéfice des consommateurs qui ne paient plus 60 unités monétaires mais seulement 40 pour une unité de blé.

Cet exemple nous sert d’éclairage pour comprendre ce qu’on appelle encore le marché de l’électricité et le fameux coût marginal dont on disait l’an dernier qu’il était, hélas, le prix annonciateur de la catastrophe énergétique….

Supposons en comparaison 3 catégories de centrales inégalement productives, ce qui est bien sûr le cas de la réalité concrète. Logiquement si l’électricité est assortie d’un simple prix de marché, ce dernier se fixe sur le coût marginal et par conséquent, comme pour la terre, le marché de l’électricité est porteur de rente. Il est pourtant plus complexe que le marché du blé car, à l’inverse de ce dernier, il n’y a pas de stock possible et il est strictement nécessaire d’ajuster, à la seconde près, l’offre à la demande, égalité stricte qu’il faut maintenir malgré les fluctuations des consommations. Cette exigence est encore plus difficile à tenir si les divers producteurs ne sont pas tous équipés des mêmes capacités de flexibilités productives. Ainsi il faut accorder, (mais à quel prix et à quel titre ?) une priorité aux producteurs d’énergies renouvelables et imposer aux autres (mais à quel prix et à quel titre ?) un effacement de production…lorsqu’il y a beaucoup de vent ou de soleil. Le marché de l’électricité est donc une affaire beaucoup plus complexe que celui du blé : il exige une interaction entre les centrales et leurs managers ce qui n’est pas le cas des exploitants agricoles.

La spécificité de l’électricité fut aussi à l’origine en France de la construction d’un modèle réglant l’ensemble des difficultés y compris celle de la rente. Ce modèle est celui de la centralisation complète permettant une unité de direction et surtout la redistribution de la rente. Concrètement il s’agit d’EDF dans sa forme initiale, celle qui se déploiera entre 1946 et le début du vingt et unième siècle. EDF fera mieux que les agriculteurs qui sont en compétition et – reprenant notre exemple – produirons 3 unités de blé pour une dépense de 180 unités monétaires alors que rationnellement ils pouvaient produire autant pour seulement 120 unités monétaires.

Bien évidemment, on pouvait imaginer un prix de marché avec un monopole récupérant l’intégralité de la rente : Le prix se fixant sur la dernière unité, techniquement la moins efficiente, et donc sur le coût marginal. On pouvait ainsi imaginer un monopole prédateur et édificateur de rente : au plus le monopole se fait paresseux en termes d’efficience, au plus son coût marginal est élevé et au plus sa rente de monopole augmente…. Le résultat historique fur l’inverse, la centralité permettait l’efficience et la rente fut de plus en plus redistribuée, ce que ne peuvent faire les agriculteurs en concurrence dans notre modèle. Une redistribution allant jusqu’à devenir saignée avec le dispositif ARENH de 2011.

La centralité est aussi celle qui a permis l’édification d’un parc nucléaire jusqu’ici inégalé dans le monde... En sorte que par comparaison avec notre petit modèle agricole tout se passait comme si EDF pouvait élargir sans cesse les dimensions de la terre n° 1, la plus productive, et donc élargir la rente correspondante. De quoi par conséquent construire une rente considérable à redistribuer sous la forme de prix très bas de l’électricité, et un prix administrativement décidé, donc un prix qui n’est pas issu d’un marché. De quoi aussi, par conséquent entrainer une inquiétude allemande qui, par le biais des institutions européennes, arrivera à briser le modèle français afin de faire monter le prix de l’électricité. Une destruction qui fut d’abord  celle de la casse des capacités industrielles par disparition des savoirs et savoirs faire : EDF n’est plus aujourd’hui en état d’élargir une rente à redistribuer au nom d’un intérêt public et ne pourra pas avant de très longues années mettre en activité de nouvelles centrales.

Globalement avant les accords du 17 octobre (niveau européen) et du 14 novembre (niveau français) la rente nucléaire EDF se répartissait en fonds perdus par la chute de la production (la meilleure terre produit beaucoup moins et donc produit moins de rente), une chute estimée à 130TWH, en subvention ARENH ( 120 TWH)  et en achats à des coûts marginaux augmentés par la spéculation , donc des prix ahurissants au cours de la crise de 2022 (jusqu’à pour certaines journées 600 euros/MWK). Ces derniers sont difficilement évaluables. Sur la base d’un prix actuel d’environ 90 euros/MWH les sommes perdues se montent à environ 20 Milliards d’euros côté ARENH (90-42) X 120,) et 11,7 milliards côté perte de production. Soit environ une perte correspondant approximativement à 25% du chiffre d’affaires. En cumulé, de quoi comprendre les dettes abyssales et pertes d’EDF.  Ces chiffres sont très approximatifs mais expriment l’importance de la ponction provoquée par une politique publique scandaleuse jusqu’ici insuffisamment connue.

Les accords du 17 octobre et du 14 novembre ne font pas disparaître les prix de marché et donc un prix aligné sur le coût marginal, soit par conséquent une absence de redistribution de rente au profit des usagers. Ils ne vont pas non plus faire disparaitre les gigantesques spéculations financières sur la matière première électricité, une matière première que l’on retrouve dans nombre de produits financiers.

Par contre, ils annoncent la relative fin de la saignée d’EDF. La ponction de l’ARENH va disparaître et EDF pourra vendre librement au prix de marché en captant partiellement la rente provoquée par un prix à proximité du coût marginal. Les fluctuations aberrantes du coût marginal seront partiellement gommées par des contrats de long terme librement négociés avec les utilisateurs. Il est ainsi prévu des contrats de 10 années au profit de 150 clients électro-intensifs soit environ 2TWH. De quoi mettre en place des stabilisateurs dans la tempête des prix agités par les questions géopolitiques et la finance. EDF est donc appelé à récupérer dès 2025, la rente injustement perdue et à profiter d’un coût marginal lui-même encore élevé par une  rareté de l’électricité politiquement organisée depuis plus de 20 ans. Cependant cette possibilité de jouer le jeu du marché sera contenue par l’intervention de l’Etat qui s’invitera au partage de la rente. Au-delà d’un prix d’environ 70 euros/KWH l’Etat va taxer ce qu’il appelle le surprofit (la rente EDF). Le produit de cette taxation sera redistribué selon des modalités encore non établies aux utilisateurs victimes d’une tarification qui restera celle du coût marginal, lui -même victime de la spéculation internationale et des questions géopolitiques.

L’électricité restera dans l’ordre du marché, mais EDF retrouvera progressivement de quoi récupérer une rente que naguère elle redistribuait dans le cadre d’une mission de service public. L’accord ne dit rien des fournisseurs alternatifs qui absorbaient goulument l’ARENH ( 20 milliards d’euros). Ces mêmes accapareurs, on le sait aujourd’hui, se sont rarement comportés en entreprises investisseuses et se contentaient souvent d’un « biberon de rente EDF ». En dehors de quelques cas particuliers comme Total et Engie , leur paresse a contribué à la rareté de l’électricité. Manifestement, sauf à imaginer une très forte hausse du prix de marché, les fournisseurs alternatifs vont devoir se transformer en entreprises réelles sauf à disparaître. Pour ces fournisseurs alternatifs le métier sera moins la spéculation, voire la fraude sur l’ARENH arrachée à EDF, et davantage une activité réellement industrielle.

Retour de vrais industriels chez EDF où les dirigeants ne seront plus des marionnettes conscientes du sale boulot qui leur était assigné. Retour d’EDF qui après avoir fabriqué l’avenir avait dû accepter le chemin de l’autodestruction. Passer d’un présent occupé à détruire le passé à un présent constructeur d’un futur raisonnable ne sera pas facile, mais une page très négative est peut-être à jeter aux orties.

 

 

 

 

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9 novembre 2023 4 09 /11 /novembre /2023 09:28

Objectif de la présente note : montrer que la dette publique - objet d’une brûlante actualité - est la matière première indispensable et sans doute trop rare du monde de la finance. D’où la grande confusion de tous les acteurs qui veulent à la fois briser la dette et en garantir son plein développement. Bonne lecture.

La BCE est de plus en plus souvent interrogée sur la possibilité de l’annulation de la dette publique qu’elle détient à l’actif de son bilan. Cette interrogation résulte d’abord de son comportement de sauvetage des Etats par achats massifs de dettes d’Etats durant la crise sanitaire. Elle résulte aussi d’analyses pessimistes comparant un taux de croissance en valeur inférieur au taux de l’intérêt, d’où un dangereux effet  ciseau. Elle résulte enfin d’un nombre croissant d’économistes et de think tanks qui comprennent mal que, dans certaines circonstances, des dettes se renégocient ou sont annulées et qu’il ne pourrait en être de même pour les Etats de l’Union Européenne. En ce domaine, l’attitude et l’ouvrage  récent d’un grand banquier, Mathieu Pigasse, (« Dans la lumière du chaos » , Editions de l’0bservatoire ; octobre 2023)  ajoute à la gêne de la banque centrale. Pour bien comprendre le problème, il faut accepter d’analyser les bilans des acteurs concernés par les opérations liées à la dette.

Un peu de comptabilité.

L’achat de dette publique par l’institut d’émission correspond comme toujours en comptabilité à une double écriture : à l' actif de la banque le volume des achats, au passif une opération de crédit sur le compte du Trésor pour un même montant. Le bilan de la banque centrale reste équilibré et se trouve gonflé du montant de dette achetée. Du point de vue du Trésor, nous avons l’image renversée de l’opération : le passif du Trésor augmente (sa dette augmente) et son actif s’accroit d’un même montant (son compte courant à la banque centrale). Il s’agit bien d’une création de monnaie, donc un stock de monnaie supplémentaire mesurable sur le compte du Trésor à la banque centrale. Notons que si l’achat de dette publique se faisait par canal bancaire, ce qui est le cas au niveau de ce qu’on appelle le marché primaire de la dette, l’opération relèverait soit de la mobilisation d’une épargne donc sans création monétaire ou de la mobilisation d’une capacité de création monétaire (une banque voit son passif gonfler en raison d’une création monétaire dans d’autres banques et utilise ce gonflement pour acheter de la dette publique).

Si un accord fort théorique intervenant entre l’Etat et la banque centrale devait mettre fin à la dette précédemment créée par une opération d’annulation, nous aurions les écritures suivantes : La valeur des actifs au titre de la dette disparait sur le bilan de la banque centrale, bilan dont le total diminue pour un même montant, la différence entre passif inchangé et actif diminué correspond à un perte d’exploitation inscrite en actif ; le Trésor verrait lui sa dette diminuée à son passif, l’actif restant inchangé, le tout correspondant à un profit d’exploitation.

Les capitaux propres  de banques centrales ne correspondent en rien aux capitaux propres classiques….

Si les montants étaient de grande ampleur, la perte de la banque centrale qui correspond à une perte de patrimoine se matérialisant au niveau de ses fonds propres pourrait  déboucher sur une disparition de ces derniers, voire davantage c’est-à-dire des fonds propres négatifs. Peut-on imaginer, en règle générale, des fonds propres négatifs ?

Si l’on transpose le raisonnement au monde classique de l’entreprise on se rend compte rapidement de l’impossibilité de fonds propres négatifs. Examinons de plus près cette question. Supposons qu’une entreprise dégage régulièrement des pertes d’exploitation. Petit à petit son patrimoine se trouve rogné et il vient un moment où les actionnaires se retirent et préfèrent mettre fin à l’existence de l’entreprise plutôt que de continuer à voir s’effondrer des patrimoines. Ce raisonnement peut être reconduit pour les banques et le système financier. Ainsi l’effondrement de la valeur des obligations figurant aujourd’hui à l’actif des banques, provoque un déséquilibre entre actif diminué et passif exigible (fonds propres et essentiellement dépôts sur comptes courants des clients de la banque). Ce déséquilibre se matérialise par une perte de fonds propres et plus grave par une peur des clients qui vont précipiter un bank run et donc une possible disparition de la  banque. La conclusion est que dans le monde économique de base, des fonds propres négatifs ne sont guère envisageables.

Il en va autrement pour les banques centrales qui jouissent de la particularité de disposer d’un passif non exigible. On voit mal en effet un bank run des porteurs de billets de banques réclamant leur avoir : les billets représentent la liquidité et les porteurs en sont pleinement propriétaires. La différence avec les banques classiques est que les comptes courants sont des créances et à ce titre une panique bancaire est concevable, chacun tentant de transformer sa créance en avoir de pleine propriété. Un bank run  n’est guère envisageable auprès d’une banque centrale, les billets de banque étant la forme supérieure de la liquidité, il ne saurait y avoir de risque d’insolvabilité pour une banque centrale. Même chose pour les banques qui ne craignent guère pour leur compte courant à la banque centrale. A la limite, elles aussi pourraient exiger la conversion de leur compte en billets, ce qui ne soulève de problème autre que celui de l’impression de nouvelles espèces. La conclusion est qu’une banque centrale ne peut être traitée comme un agent économique classique et qu’en particulier elle n’a guère besoin de fonds propres. Il y a là une différence de nature entre les comptes d’une banque centrale et ceux des agents ordinaires.

…Mais les croyances et le droit nient cette différence de nature…

On ne peut donc que s’étonner de fausses déclarations d’experts ou de décisions juridiquement mal justifiées  concernant la  recapitalisation de certaines banques centrales.  On peut, à titre d’exemple, évoquer le cas de la Risckbank suédoise qui, comme tant d’autres, a vu son  actif se dégonfler en raison de la chute du cours des obligations, chute elle-même engendrée par la hausse des taux, et donc chute dévoreuse de fonds propres. On apprend ainsi qu’une recapitalisation par l’Etat est nécessaire, et ce à hauteur de 80 milliards de couronnes pour respecter le seuil réglementaire de 140 milliards de fonds propres. On voit même le gouverneur s’adressant au parlement suédois, le 24 octobre dernier, pour demander[JW1]  une recapitalisation… évènement diffusé dans toute la presse qui ne s’étonne guère d’un tel geste pourtant complètement inutile. Comment justifier une situation aussi abracadabrantesque alors qu’une banque centrale ne connait aucune exigence de passif ? Pourquoi solliciter un capital, nécessairement rare auprès d’un législateur alors  qu’aucun besoin ne se fait sentir? La réponse nous semble relever d’un ordre juridique mis en place pour interdire la maîtrise monétaire par les Etats. Si, en effet, on inscrivait dans le droit la spécificité des banques centrales à savoir la non exigence du passif, il paraitrait évident que l’on priverait la finance de l’essentiel du marché de la dette publique.

Ce dernier point de vue mérite une explication précise. Si la dette publique pouvait faire l’objet d’une annulation par  une banque centrale qui par ailleurs en est acheteuse, il est clair que les Etats passeraient davantage par la banque centrale et moins  par le marché de la dette pour mobiliser des liquidités. Certes, un premier outil juridique fut inventé pour éloigner les banques centrales de leurs Etats et par exemple les traités européens interdisent l’achat direct de titres publics par les banques centrales (article 1,2,3 du TFUE). Mais comme le marché secondaire n’est pas interdit aux banques centrales - concrètement le rachat par la banque centrale d’une partie de la nouvelle dette achetée par les banques se déroule en moins d’une seconde, la distance entre marché primaire et rachat se mesure ainsi en temps infiniment petit -  il faut renforcer la vigilance et exiger juridiquement que les banques centrales soient comme tous les agents économiques susceptibles de faillite et donc de recapitalisation. Cette exigence juridique est variable selon les pays, mais partout et bien évidemment chez les spécialistes de la finance, les économistes et autres experts, les banques centrales doivent être considérées comme des agents économiques classiques. Si tel n’était pas le cas le marché de la dette publique serait particulièrement étroit et la finance serait ainsi privée de sa matière première fondamentale : non seulement la dette publique est objet de rentabilité mais elle est aussi la matière première fondamentale de la « collatéralisation » sur tous les marchés financiers, ce qui nous invite à en préciser le fonctionnement.

Une nature métastatique de la finance  grande consommatrice de dette publique

Sans dette publique extrêmement abondante et disponible sur les marchés (probablement plusieurs milliers de milliards de dollars affect au collatéral), et jusqu’ici considérée par les régulateurs comme un actif sécurisé, il y aurait beaucoup de problèmes de liquidités sur tous les marchés financiers : Swaps de taux (change et intérêt), CDS, marchés des dérivés, marchés du REPO (pension livrée), marchés du prêt/emprunt de titres, opérations de crédit des banques centrales, etc.  De quoi penser que ce collatéral qu’est la dette publique est l’instrument de base de fonctionnement des marchés financiers comme la monnaie est instrument de base pour les marchés réels. Et plus la finance se gonfle - plusieurs dizaines de PIB planétaires si l’on comptabilise le notionnel des hors bilans - et plus la dette publique affectée à la collatéralisation se doit d’être abondante.

C’est que le mode de fonctionnement de la finance impose son élargissement incessant. Alors que dans l’économie réelle les contrats tentent d’internaliser les possibles effets externes, les contrats financiers sécurisent en reportant l’insécurité sur d’autres acteurs. C’est en particulier le cas de tous les marchés à terme : en sécurisant par exemple les prix futurs de telle ou telle marchandise, la finance, apporteuse de sécurité, doit elle-même se sécuriser avec d’autres contrats et ce sans réelle limite. C’est cette  nature métastatique de la finance qui  explique son hypertrophie galopante. Mieux, cette réalité métastatique doit logiquement atteindre l’économie réelle, d’abord l’Assurance avec les obligations catastrophes ( « cat bonds ») mais tout le réel devra se financiariser. Ainsi les marchandises de l’économie réelle doivent être « couvertes »  et ce logiquement jusqu’au moment où le coût de la couverture supplémentaire rejoint le profit marginal résultant de ladite couverture supplémentaire. On comprend ainsi que toutes les matières premières sont plongées dans un colossal marché financier, le plus souvent plusieurs dizaines de fois supérieurs au marché réel. On comprend aussi que la métastatique de la finance cherche à développer un volet métastatique de ce qui n’est plus la sage économie réelle : désormais on s’intéresse aux modes de production de l’économie réelle, ses effets externes en termes environnementaux, donc ses coûts cachés que l’on veut comptabiliser ( d’où la « true cost accounting » en plein développement ) et pour lesquels on pourra imaginer des produits financiers de couverture.

Au final la nature métastatique de la finance suppose des outils de sécurité fondamentaux, le collatéral, lui-même constitué pour l’essentiel de dette publique. Sans dette publique possiblement illimitée, il n’est guère possible à la finance de garantir son illimitation.

Il est donc évident que si l’on brime le marché de la dette publique, on emprisonne la finance dans un périmètre qu’elle ne peut supporter. Ce qu’empiriquement on semble constater aujourd’hui aux USA avec l’étouffement du marché du repo, fournisseur de collatéral, pour la finance bancaire et étouffement probablement provoqué par la fin du QE et son remplacement par le QT (quantitative tightening). D’où le titre inquiétant des Echos du 8 novembre : « les liquidités s’évaporent sur le marché obligataire américain ». De la même façon qu’historiquement la rareté monétaire (pénurie de métal précieux) était déflationniste sur les marchés réels, la rareté de dette publique serait aujourd’hui un insupportable corset pour la finance. Et le meilleur collatéral restera de loin la dette publique américaine dont la profondeur et donc la liquidité extrême est aussi le produit d'un endettement public extrême doublé d'un déficit courant lui même gigantesque. Les déficits jumeaux et sans pleurs fabriquent une finance joyeuse. Et une sécurité qui se vérifie au quotidien pour la dette publique américaine avec la faible élasticité de sa demande. Ainsi lorsque le rendement du T-bill augmente (bon du Trésor américain) les fonds vendent les autres titres plus risqués, ce qui confirme le grand attrait pour la dette américaine.  Pour être complet il convient d'insister sur un point : la dette publique comme matière première se doit d’apparaître comme issue d’un marché. Si tel n’était pas le cas et si par exemple cette dette était immobilisée durablement sur le bilan de la banque centrale, il n’y aurait pas de collatéral disponible pour les marchés financiers. La dette publique ne nourrit pas spontanément la finance, elle ne le fait que s’il existe un marché de la dette publique. C’est ainsi qu’historiquement nous avons connu des montagnes de dette publique sans finance. Ce fut le cas des périodes de guerre, et si la résistance des banques centrales se fit d’abord lourde avec parfois des gouverneurs qui refusent brutalement d’obéir aux exécutifs (guerre de 1870), l’obéissance allait rapidement suivre (les 2 guerres mondiales). Durant ces périodes difficiles la finance ne menait qu’une vie larvaire et la dette publique se trouvait enkystée, donc hors marché, dans le bilan des banques centrales.

Les très nombreux partisans d’un interdit radical de toute tentative d’annulation de la dette publique sont ainsi les défenseurs d’une  industrie financière exubérante, hypertrophique car métastatique, et gaspilleuse  de grandes compétences professionnelles. Ils ne sont pas tous conscients des mécanismes qui règlent la réalité empirique et comptent parmi eux de simples citoyens attachés à la rigueur et au bon sens et donc au rejet de ce qu’ils croient être la planche à billets. On peut plus difficilement admettre qu’il en est de même pour les dirigeants et les gardiens de l’ordre financier. On peut par conséquent comprendre l’agacement de Madame Lagarde et de son entourage immédiat au regard des nombreux connaisseurs de la réalité qui, au sein d’organisations tels les instituts Rousseau  ou Veblen en France, se manifestent et se réjouissent du fait que même des financiers célèbres- tel un Mathieu Pigasse - s’élèvent contre une réalité au devenir tragique.


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1 novembre 2023 3 01 /11 /novembre /2023 07:44

Note de lecture : On peut regretter que les médias aient présenté l’accord européen du 17 octobre sur l’électricité sans analyse ni explication sérieuse. La question est sans doute complexe mais il était possible de simplifier et on peut regretter la légèreté des articles publiés.

 Le texte ci-dessous est de nature un peu technique mais il est essentiel pour comprendre le véritable enjeu d’une économie de l’électricité. Bonne lecture.

 

Les européens ont convenu le 17 octobre dernier du maintien d’un marché de l’électricité. Les réseaux étant largement interconnectés, les centrales aux coûts différenciés obéiront - selon le fonctionnement classique des marchés- à la logique du prix de marché égal au coût marginal, c’est–à-dire le coût de production de la centrale la moins compétitive et néanmoins nécessaire au fonctionnement du réseau.

Compte tenu du développement des énergies renouvelables et de leur fonctionnement intermittent, compte tenu aussi du caractère non stockable de l’électricité, on sait déjà que le dit marché est  fait de bric et de broc et de croc-en- jambes bien méconnus des usagers. Ne prenons qu’un exemple, celui de la priorité du renouvelable sur le classique : Si le vent se met à souffler et que la demande d’électricité n’augmente pas au même moment, alors il sera imposé au classique de s’ajuster et de diminuer sa production du montant de la production des éoliennes. Nous laissons au lecteur imaginer semblable situation sur les marchés industriels, par exemple l’industrie automobile où il serait exigé d’un compétiteur qu’il se retire du marché pour laisser davantage de  place à un concurrent... On pourrait multiplier les exemples et confirmer que le marché de l’électricité est concrètement un faux marché pour lequel les droits de propriétés des uns et des autres ne sont pas respectés. De ce point de vue l’accord du 17 octobre ne crée rien de nouveau et laisse une place énorme aux divers régulateurs animateurs d’une gigantesque bureaucratie.

Le contenu de l’accord du 17 octobre

Techniquement, il confirme l’idée que la logique de marché et du coût marginal doit être contenue par un dispositif réglementaire permettant d’effacer la très grande volatilité des prix rencontrée à la fin de l’été 2022 avec l’envolée du prix du  gaz. Dans le même temps, il est décidé d’apporter une aide aux investissements dans les énergies décarbonées. Ces deux objectifs sont censés être atteints par des CFD (Contrats sur différences) bien ciblés sur les énergies renouvelables. Dans ce type de contrat un prix de référence est fixé par une autorité et si le prix de marché est plus faible, c’est l’Etat qui va combler la différence. Inversement si ce même prix de marché est plus élevé, il appartiendra au producteur de verser la différence à l’Etat. Un tel dispositif garantit la rentabilité des investissements tout en en interdisant une éventuelle composante rentière. L’accord du 17 octobre ne dit rien de précis sur le prix de référence mais il est clair qu’il est source de conflits car étant  un prix administré par une autorité. N’étant pas un prix de marché, il est sous la surveillance suspicieuse de la Commission bruxelloise et de sa volonté de voir respecter les règles du marché…pourtant encore une fois fait de bric et de broc et générateurs de crocs-en-jambe permanents… N’ignorant sans doute pas ce dernier aspect, les négociateurs n’ont même pas eu recours à des modèles permettant de tester les décisions…

Ce qu’il y a de foncièrement nouveau est que l’électricité produite par les centrales nucléaires françaises est également bénéficiaire de CFD. Principe acquis de haute lutte par le gouvernement français contre le point de vue allemand. Mais surtout principe qui ne permet pas à l’économie française de bénéficier de sa rente nucléaire, ce qui nous renvoie à l’exposé et à l’analyse de la configuration du secteur de l’électricité en France.

La construction historique de la dépendance française en matière électrique

Nous avons souvent souligné sur le blog le caractère extraordinairement efficient de l’entreprise EDF, une entreprise qui, fonctionnant hors marché jusqu’au début des années 2000, permettait de transférer aux utilisateurs sa rente nucléaire. 58 réacteurs très largement amortis permettaient d’irriguer le pays et surtout son industrie avec des coûts de l’électricité parmi les plus bas du monde. A titre d’exemple, les prix français étaient régulièrement 65% inférieurs aux prix allemands. Bien évidemment il pouvait y avoir un coût marginal parfois très élevé, mais les pointes correspondantes étaient amorties au sein d’une politique tarifaire administrativement décidée dans un cadre hors marché. A la fin des années 90 le programme nucléaire français fut arrêté et les compétences associées à l’édification des 58 réacteurs furent progressivement réduites dans un contexte de fort rejet du nucléaire. Une telle logique était déjà la marche vers la dépendance car il était évident que l’outil allait vieillir au sein d’un paradigme intellectuel nouveau s’épanouissant à Bruxelles : il faut mettre fin aux monopoles publics. La suite est connue : les exportations d’électricité, considérables encore au début des années 2000 (77TWH en 2002, soit environ 20% de la production totale) vont s’effondrer progressivement pour arriver à un solde négatif de 16 TWH en 2022… L’entreprise la plus compétitive du monde dans son secteur devient souffreteuse… On pourrait multiplier les chiffres avec par exemple un recul de la part du nucléaire dans le total de la production française qui après avoir monté jusqu’à 79% en 2005 ne cesse de reculer pour atteindre 63% en 2022. Bien évidemment, l’indicateur le plus important reste la production totale d’électricité nucléaire qui, après avoir dépassé les 400 TWH au début des années 2000 s’effondre à 279 TWH en 2022. La dépendance s’inscrit donc dans des choix qui allant d’une volonté politique de soumission (fin du monopole) jusqu’aux conséquences ultimes en matière de marché (mise en place en 2010 de l’ARENH qui est de fait une vente forcée à prix réduit d’une partie du nucléaire à de simple  fournisseurs devenant juridiquement des compétiteurs). Avec parfois des situations proprement scandaleuses comme celle obligeant EDF à acheter à prix léonins des KWH sur le marché de gros (près de 600 euros/MWH) qu’il faudra revendre à perte à des clients qui, après avoir fui le monopole, viennent s’y réfugier (été 2022).

Le bilan du choix de la dépendance est donc une perte de savoirs et surtout de savoirs faire associée à un étranglement politiquement décidé de la rentabilité. De quoi comprendre le résultat de 2022 (17,9 milliards d’euros de perte).

Sur un plan plus analytique, les choix historiques reviennent  à réduire le volume de la rente nucléaire de plusieurs façons :

-- par la diminution résultant de la priorité de réseau aux énergies non renouvelables

-- par la diminution imposée par les problèmes de maintenance liés aux savoir-faire (jusqu’à plus de la moitié des réacteurs au repos au cours de l’hiver 2022/2023)

-- par le transfert de la rente restante dans le cadre de l’ARENH (30% de la production 2023 à 42 euros/TWH).

Ce dernier point doit être compris comme bien davantage qu’un partage de rente restante avec les fournisseurs alternatifs, puisque le prix de vente est probablement significativement inférieur au coût de production réel pour les nouvelles centrales (EPR). Ainsi le CFD conclu avec les autorités britanniques pour les centrales d’Hinkley Point   fixe un prix garanti de 106,7 euros/MWH, tandis qu’EDF estime aujourd’hui à environ 120 euros/MWH le prix permettant de couvrir les investissements pour les nouveaux réacteurs. Au total, le parc existant qui doit être rénové (grand carénage), suppose un coût de fonctionnement très supérieur à 42 euros/MWH.

Au final il est probable que les choix et décisions historiques ont abouti à la disparition de la rente nucléaire. C’est donc en étant dépourvus d’un plan B que les négociateurs français ont dû accepter le maintien du faux marché de l’électricité au terme de la négociation le 17 octobre dernier.

Ce qu’il eut été rationnel d’exiger.

Les historiens s’interrogeront demain sur la grande peur allemande correspondant au parc nucléaire français et à ses performances engendrant une surcompétitivité de l’industrie française par rapport à l’industrie allemande. De fait, par le biais du grand marché, l’opposition radicale des allemands au nucléaire français a déjà tué la rente nucléaire française.  Il n’y avait pas, à se méfier des interlocuteurs français demandant seulement une meilleure place à l’intérieur du marché européen de l’électricité. Au lieu de négocier un accès aux CFD pour le nucléaire existant, il eut été préférable, pour la France de décider d’un cadre national pour  un CFD global chargé de préserver et reconstruire la rente nucléaire au profit des utilisateurs. Concrètement il fallait imposer un prix administré remplaçant l’ARENH et, bien sûr, un prix beaucoup plus élevé que celui de l’ARENH. Bien évidemment les interconnexions resteraient fondamentales et l’électricité pourrait être vendue et achetée par tous les acteurs européens. Si maintenant en particulier l’hiver (le chauffage des logements est en France beaucoup plus mobilisateur d’électricité, et cela fut historiquement une conséquence de la construction des 58 réacteurs nucléaires), il faut, pour EDF et d’autres acteurs, acheter à prix élevés sur le marché de gros, le prix de revente correspondant ne sera plus un prix de marché mais le prix administrativement décidé. Le CFD jouerait  et l’Etat assurerait la compensation. Pour les fournisseurs alternatifs, les électrons étant homogènes ils ne pourraient plus faire d’offres mirifiques et devraient se contenter de jouer à l’intérieur du prix administré. Ils perdraient ainsi la matière première de l’actuelle gigantesque spéculation. La logique de la priorité sur le réseau ne pourrait plus être automatique et devrait être payée sur la base du coût de l’effacement d’autres acteurs et bien sûr pour le principal d’entre eux c’est-à-dire EDF. Le respect des droits de propriété des uns et des autres serait ainsi respecté. Et c’est sur cette seule base que l’on pourrait oublier les calculs fantaisistes et établir les vrais coûts de l’électricité selon les filières. C’est aussi sur cette base que l’on pourrait clairement identifier les producteurs/fournisseurs efficients et les autres qui le sont moins et se contentent encore de capter la rente nucléaire par le biais de l’ARENH.

Globalement, le prix administré doit être plus élevé que celui de l’ARENH et plus faible que le prix moyen de l’électricité en Europe. De quoi rétablir progressivement l’efficience d’EDF tout en maintenant l’avantage d’une énergie moins chère que dans le reste de l’Europe. Le coût marginal entrainant l’envolée des prix serait en termes de volume très contenu et ne concernerait  que la contrainte extérieure : c’est l’Etat qui compense le surcoût sur les importations d’électricité et protège producteurs et utilisateurs français.

 L’accord conclu le 17 octobre repose encore sur le respect de coûts marginaux faiseurs de prix globaux possiblement aberrants qui, il est vrai, peuvent être néanmoins plus ou moins cadenassés par des CFD. La logique de l’accord du 17 octobre détruit le lien fondamental qui devrait normalement exister entre coûts unitaires moyens et prix de vente unitaire de l’électricité. Une décision qui ne permet pas de s’extirper d’une économie de rente. Mais il est vrai que rebâtir une économie de l’électricité rationnelle suppose que l’on s’extirpe des règles européennes. Non seulement l’accord du 17 octobre est étranger à tout bon sens mais il ne permettra pas à l’Allemagne de freiner une peur qui l’amènera à exiger de Bruxelles une surveillance toute particulière sur  les CFD français appliqués au Nucléaire. La France ne va-t-elle pas profiter de ceux-ci pour cacher une aide interdite par les Traités à EDF ? Il est plus que temps de voir la France renouer avec un minimum de dignité.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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20 octobre 2023 5 20 /10 /octobre /2023 09:07

La circulation de l’argent entre les divers acteurs du jeu économique reste compliquée et donc coûteuse pour la collectivité. Elle était naturellement compliquée et coûteuse à l’époque de la monnaie métallique. Elle le restera avec l’apparition des billets de banques. Elle le restera encore à l’époque des chèques et cartes de paiement. Elle le reste aujourd’hui avec le téléphone devenu porte-monnaie. Encore aujourd’hui la mobilité de l’argent suppose des intermédiaires chargés de sa circulation sécurisée. Il faut en général au moins 2 banques, l’une faisant déplacer l’argent d’un compte à débiter vers l’autre qui va le recevoir et ainsi créditer un autre compte. Et comme la circulation de l’argent est le fait d’une multitude d’acteurs différents, rien ne dit qu’elle sera, à chaque instant équilibrée pour chacune des banques mobilisées. Ainsi la banque A peut devoir créditer des comptes pour un montant supérieur à ce qu’elle devra débiter sur d’autres comptes. Si elle-même ne dispose pas de suffisamment de liquidités apparaissant sur un autre compte dont elle est titulaire, elle devra emprunter auprès d’autres banques qui, elles, ont la chance de connaître un solde excédentaire sur les opérations décidées par les acteurs économiques. Plus simplement exprimé, la circulation de la monnaie dans une infrastructure faite d’entités indépendantes - les banques- connaissent des fuites ou innondations monétaires permanentes qu’il faut en permanence contrôler. Face à la circulation nécessairement désordonnée des ordres des acteurs économiques, il faut donc créer un marché où vont s’échanger les créances et dettes de l’instant. Concrètement, cela s’appelle encore aujourd’hui le marché monétaire. Les coûts correspondants à cette circulation faisant intervenir ces intermédiaires que sont les banques sont au fond des coûts de logistique, des coûts de transport. D’autres coûts interviennent car l’argent se métamorphose et peut prendre la forme d’espèces, voire de devises étrangères. D’où la présence d’un autre intermédiaire qui sera la banque centrale elle-même productrice des dites espèces. Cela suppose donc que les banques soient titulaires d’un compte à la banque centrale, compte qui pourra aussi être utilisé dans la gestion de la circulation de la monnaie entre banques. Ainsi quand la banque A devient momentanément déficitaire vis-à-vis de la banque B en raison des décisions d’échanges entre les acteurs économiques, la banque centrale pourra débiter le compte de A et créditer celui de B. Encore des coûts de simple logistique et de transport. Et bien sûr on peut imaginer que les distributeurs d’espèces qu’il faut alimenter, sécuriser et entretenir sont un élément important dans la chaine des coûts.

Les nouvelles technologies peuvent bien sûr assurer des gains de productivité et par exemple les banques en lignes sont censées alléger la chaîne des coûts. Elles restent toutefois bloquées par l’architecture générale supposant l’existence de comptes dans des établissements en concurrence. Elles le sont davantage encore avec la difficile gestion des espèces.

Mais le problème se complique car les banques qui assurent la circulation de l’argent se servent aussi de cet argent comme matière première d’accroissement de la valeur et donc de profit. Nous y reviendrons.

En attendant, un examen lucide du circuit compliqué de la circulation de la valeur mais aussi des règles correspondantes,  nous invite à suggérer l’éviction des banques au profit de la seule banque centrale. En effet, on peut imaginer que cette dernière fasse disparaître les très couteûses espèces au profit d’un porte-monnaie électronique, mais aussi fasse transférer tous les comptes de tous les acteurs économiques dans sa propre comptabilité. Que l’on soit entreprise, ménage, institution financière ou même Trésor public, tous disposeraient d’un compte à la banque centrale devenue infrastructure unique de circulation de la valeur. Une telle révolution ferait évidemment largement disparaître le marché monétaire. Simultanément, la chaine logistique plus légère serait aussi complètement sécurisée. En particulier il n’y aurait plus de « bank-run » , c’est -à- dire des moments de panique au cours desquels chacun se précipite au guichet pour retrouver son capital. En effet, la banque centrale ne peut connaître, par construction, de risque d’insolvabilité.

Comment du point de vue des acteurs économiques un tel dispositif fonctionnerait ?

1 - Une banque centrale assurant le fonctionnement du réseau monétaire.

Toutes les relations des entreprises avec leurs correspondants relèveraient d’un jeu d’écriture entre leurs comptes à la banque centrale et les comptes de tous les correspondants situés eux-mêmes à la-dite banque centrale. Chaque écriture se matérialisant par un débit et un crédit d’un même montant au passif de la banque. Cela signifie que la circulation monétaire n’en transforme pas son montant. La nouvelle banque centrale devient ainsi le logisticien unique dans la circulation monétaire. On passe ainsi d’un réseau fragmenté par l’existence d’une pluralité bancaire - une fragmentation risquée en raison de possibles maillons faibles - à un réseau unique et complètement sécurisé. Les titulaires d’un compte à la Banque centrale - en principe tous les acteurs du jeu économique- ne sont plus de simples créanciers pouvant perdre leurs avoirs liquides mais de réels propriétaires. Les droits de propriété sur la monnaie sont enfin garantis.

Au niveau international, la banque centrale gère les entrées et sorties de devises. Elle crédite et débite un compte en devises pour chaque entité et bien évidemment se trouve actrice sur le marché des changes. Le marché monétaire largement disparu au niveau interne reste au niveau externe et donc un marché monétaire entre banques centrales persiste.

2 - Statut des nouvelles banques.

Les banques désormais dépourvues de toute responsabilité en matière de logistique monétaire et des coûts correspondants peuvent continuer à développer leurs autres activités donc en particulier les opérations de crédit. Un crédit à un particulier ou entreprise se matérialiserait par un crédit au bénéficiaire sous la forme, d’un abondement sur le compte du particulier ou de l’entreprise figurant au passif de la banque centrale, et d’un débit sur le compte de la banque à la banque centrale. Nous constatons ici que le crédit n’est en aucune façon porteur de création monétaire, ce qui n’est pas le cas des opérations de crédit dans la configuration présente de l’architecture monétaire et financière. Rappelons en effet qu’aujourd’hui, un crédit est un abondement de compte qui se matérialise par une création monétaire. Et cette création monétaire en vue d’un profit (le taux de l’intérêt associé) peut s’opérer tant que la banque responsable du crédit ne se trouve pas gênée par une entrée en déficit permanent vis-à-vis des autres banques sur le marché monétaire. En effet une création monétaire massive de la part d’une banque crée mécaniquement une fuite de monnaie vers d’autres banques (le bénéficiaire du crédit effectue des paiements envers des acteurs disposant de comptes sur d’autres banques). Dans le nouveau dispositif proposé, les banques peuvent consentir  des crédits, mais seulement à partir de leur compte à la banque centrale, un compte qui sera débité pour créditer le compte du client. Bien évidemment, une banque pourrait solliciter un prêt à la banque centrale aux fins d’élargir son activité de distribution de crédits, mais une telle opération est une création monétaire de la banque centrale et non de la banque elle-même. On constate donc que la nouvelle logistique monétaire coupe la fonction bancaire traditionnelle : les banques ne peuvent plus créer de monnaie. La conclusion est donc qu’elles deviennent des établissements financiers comparables aux établissements non bancaires.

3 -  Le Trésor.

Toutes ses opérations figurent sur le bilan de la banque centrale, laquelle crédite les bénéficiaires de la dépense publique et débite les sommes correspondantes sur le compte du Trésor. Si le Trésor s’endette, le montant emprunté sera crédité sur son compte et va correspondre à des débits sur les comptes à la banque centrale de ceux des acteurs qui auront acheté de la dette publique. Sans création monétaire nouvelle par la banque centrale, l’endettement du Trésor correspond à une épargne de la part des autres acteurs. Précisément, comment désormais concevoir la création monétaire ?

4 - La nouvelle création monétaire.

Répétons que la création monétaire est jusqu’à présent le fait des banques et de la banque centrale. Logiquement, elle contribue à développer la croissance  sauf comme ce fut le cas avec les QE   où la monnaie supplémentaire reste stockée dans les systèmes financiers et ne font qu’alimenter une logique de casino.

Si dans le nouveau système, la banque centrale ne devait pas créer de monnaie la croissance serait freinée par la rareté monétaire. L’expression monétaire de chaque marchandise serait amenée à décroître, d’où un risque de déflation et de thésaurisation : pourquoi acheter et investir dans un monde où les actifs correspondants vont perdre de la valeur ? La banque centrale nouvelle formule se trouverait ainsi chargée d’une croissance de la masse monétaire adaptée à la croissance économique elle-même. N’étant que le grand logisticien de la circulation de la valeur, elle ne pourrait créer de la monnaie pour elle-même et devenir agent investisseur. Il faudrait donc qu’elle abonde les comptes figurant à son passif pour créer de la monnaie et autoriser la croissance. Bien évidemment, le volume créé tient aussi compte des relations économiques internationales, relations  pouvant introduire des fuites de capitaux en cas d’émission excessive.

Bien sûr la banque centrale pourrait créditer le compte du Trésor, un abondement sans dette correspondante et donc sans charge de la dette pour lui et les contribuables. Bien évidemment un contrôle démocratique doit être mis en place pour éviter tous les opportunismes politiques concernant des dérives vers les facilités monétaires. La règle de base étant que la contribution au Trésor privilégie les seuls investissements collectivement discutés. Une autre règle de base serait que les contributions au trésor soient muselées par la croissance économique réelle.

Dans un cadre semblable, la banque centrale serait autorisée à abonder les comptes des banques classiques. La création de monnaie correspondante au profit du système bancaire se trouverait quantitativement limitée au taux de croissance de l’économie réelle. Et une limitation à l’intérieur d’une fourchette afin d’autoriser des actions de régulation de la conjoncture. Les banques bénéficieraient d’un traitement égal, ce qui veut dire un abondement monétaire proportionnel à la part de marché de chaque banque. Les banques seraient évidemment libres de négocier les prêts avec les demandeurs de crédits. Rationaliser l’infrastructure monétaire n’est pas mettre fin à la concurrence et au libéralisme. Comme RTE (gestionnaire du réseau de transport de l’électricité) dispose du monopole de transport de l’électricité sans mettre fin à la concurrence entre producteurs, la banque centrale disposerait du monopole de transport de la monnaie sans toucher aux règles de la concurrence.

Ajoutons que les banques seraient aussi autorisées à négocier des emprunts auprès de la banque centrale comme auprès de tous les acteurs économiques. La fonction d’intermédiation traditionnelle serait donc garantie.

  1. - Le bilan coût /avantage du modèle proposé.

Il est un coût considérable pour la finance qui verrait une réduction draconienne de son terrain de jeu : impossibilité de transformer le bien commun qu’est la monnaie en matière première privée providentielle et porteuse de profit ; forte limitation du poids de  la gestion de la dette publique, le Trésor pouvant emprunter à la banque centrale, mais pouvant aussi recevoir de la monnaie sans dette. Au-delà, il est évident qu’une partie de la machinerie bancaire deviendrait complètement inutile.  Nous n’entrons pas ici dans le débat sur la banque universelle, mais il est clair qu’une telle transformation y mettrait fin..

Il est un avantage pour les piliers de l’économie réelle : répercussions sur la fiscalité de la baisse du coût des activités du Trésor ; possibilité de financer sans dette la « réparation » de l’environnement : aspect fondamental car il est aujourd’hui impensable de rembourser un capital (coûts de la protection du climat, de l’environnement, etc.) avec les intérêts correspondants alors qu’il n’y a pas de production supplémentaire ; probable diminution globale du coût de l’endettement avec marges de compétitivité plus importante à l’international, et donc perspectives alléchantes en termes d’IDE.

Il est aussi un avantage pour les ménages : la monnaie figurant sur les comptes bancaires cesse de n’être qu’un créance, toujours porteuse de risque et redevient la pleine propriété de ses détenteurs.

Plus globalement le projet est adaptable aux grands choix sociétaux : il est libéral au sens classique, et il peut devenir l’outil d’un réel interventionnisme…avec le risque qu’un déficit de contrôle démocratique puisse le transformer en un outil du totalitarisme. De ce point de vue, nous recommandons de suivre de près les travaux présents des banques centrales dans le projet MDBC (monnaie digitale de banque centrale).

Pour notre part nous souhaitons simplement que la monnaie renoue avec son caractère de bien commun.

 

 

 

 

 

 

 

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15 octobre 2023 7 15 /10 /octobre /2023 07:33

Nous avons publié de nombreux articles consacrés à l'énergie , articles repris dans un certain nombre de revues. Sur le blog nous avons: 23 articles et vidéos consacrés à la question:

http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/03/retour-sur-le-marche-de-l-electricite.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/03/les-dessous-d-un-marche-de-l-electricite.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/02/qui-s-interessera-au-demantelement-du-faux-marche-de-l-electricite.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/02/les-chemins-divergents-de-l-electricite-et-de-l-industrie.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/01/peut-on-transformer-le-marche-europeen-de-l-electricite.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/01/la-revision-des-contrats-de-fourniture-d-electricite-quelle-realite-partie-2.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/01/la-revision-des-contrats-de-fourniture-d-electricite-quelle-realite-partie-1.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/12/dernier-pdg-d-edf.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/12/la-destruction-programmee-d-edf-l-audition-d-henri-proglio.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/12/audience-de-l-ifri-energie-climat.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/12/electricite-un-debut-de-prise-de-conscience-7.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/11/l-overdose-financiere-la-face-cachee-de-la-liberalisation-du-secteur-de-l-energie.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/11/la-crise-energetique-francaise-comme-construction-politique.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/10/mettre-fin-au-pretendu-marche-de-l-electricite.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/10/edf-la-dialectique-du-demantelement-et-de-la-nationalisation.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/09/prix-de-l-electricite-un-probleme-sans-solution.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/09/marche-de-l-electricite-vers-une-crise-du-couple-franco/allemand.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/09/electricite-passer-d-un-capitalisme-de-connivence-bureaucratique-a-un-service-public-rationnel.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/09/le-g7-et-le-prix-plafond-pour-le-petrole-russe-consequences.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/08/edf-va-t-on-achever-la-bete-apres-l-avoir-tant-saignee.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/07/ce-que-pourrait-etre-une-nationalisation-d-edf.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/02/en-route-vers-une-nouvelle-crise-de-l-energie.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/01/delirante-annee-2022-l-equivalent-de-40-du-budget-militaire-de-la-france-pour-sauver-le-marche-de-l-electricite.html

Nous proposons aujourd'hui un entretien avec Aurélien Bernier, entretien  réalisé par Olivier Berruyer dans le cadre d'Elucid. Aurélien Bernier n'est pas simplement journaliste et son travail pour lequel il a consacré plusieurs livres est impressionnant. Il est certainement l'une des très rares personnes qui en France maitrise bien les contours du marché de l'électricité. L'audition qui dure 1H30 apporte des précisions fondamentales que l'on peut résumer en quelques points:

- l'origine chilienne du modèle qui sera retenu en Europe. 

- les caractéristiques de la matière première électricité par rapport aux autres produits et services, ce que nous  avions déjà brièvement évoqué dans le blog.

- l'impossibilité de faire fonctionner un marché de l'électricité sans une bureaucratie d'accompagnement extraordinairement lourde. La Commission de Régulation de l'Energie, ses 200 fonctionnaires et ses nombreux satellites est une monstruosité bureaucratique.

- La très difficile dynamique de l'offre compétitive avec des acteurs qui deviennent spontanément des passagers clandestins, voire simplement prédateurs de l'outil de production.

- La quasi impossibilité pour la France de sortir du marché selon les modalités  de L'Espagne et du Portugal: les interconnexions sont beaucoup trop importantes pour une vraie sortie et les actuels débats sont voués à l'échec. Le gouvernement français le sait maintenant.

- L'impossibilité d'un chambardement réel en raison du caractère constitutionnalisé des règles européennes du jeu. Il n'y a pas de plan B possible pour le gouvernement français sauf à quitter l'Union Européenne.

- Et surtout l'impossibilité d'une nationalisation qui au-delà de fausses entreprises qui ne font que du négoce rencontrerait  l'hostilité du Groupe Total Energie et d'Engie. De quoi revenir à 1981....après avoir quitté l'Union européenne...Cela fait beaucoup.

Au delà de ces points essentiels, on regrettera l'oubli du processus historique qui a amené EDF dans une situation aussi critique. La volonté de créer un marché de l'électricité devait passer par l'abandon, voire le démantèlement,  d'une entreprise qui était la plus performante de la planète dans son domaine.

Bonne réflexion à partir de ce très riche échange qui  nous confirme que les décideurs, c'est-à-dire le personnel politico administratif n'avait pas une connaissance précise de ce qu'était l'industrie de l'électricité. Un personnel qui ne voit toujours pas que l'invention d'un marché de l'électricité est un outil parfaitement incapable de nous faire parvenir à l'indépendance énergétique....l'indépendance ne s'atteint pas avec de purs players sur les bourses mais avec de vrais industriels. 

 On peut au moins espérer que les actuels négociateurs français en discussion avec les allemands savent pourquoi ils sont perdus. Perdre en sachant pourquoi est quand même préférable au fait de perdre sans même comprendre. Espérons que Bruno Lemaire comprend pourquoi il aura perdu dans quelques jours.

 

 

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7 octobre 2023 6 07 /10 /octobre /2023 09:41

Le climat est un bien commun dont la vulnérabilité est le fait d’acteurs divers qui coopèrent au sein d’un système humain, c’est-à-dire une société concrète. Ce qui caractérise l’Occident et ce qu’on appelle la modernité  est la relative  méconnaissance de  son inclusion dans un système global appelé nature. De fait, dans ce type de monde, la nature est idéologiquement à la disposition des hommes et les externalités qu’ils y développent sont jusqu’ici assez largement négligées. Voilà pour l’angle anthropologique de la question.

Vu sous l’angle économique, la notion d’externalité fut d’abord seulement réservée aux interactions de marché, ce que l’on trouve encore de façon amusante  dans les manuels d’économie , par exemple le fait que les tanneurs ne peuvent polluer une rivière dont l’eau est utilisée par une brasserie située en aval. Et de ce raisonnement devait émerger le grand principe du pollueur payeur que l’on utilise encore de façon plus ou moins raffinée dans ce qu’on appelle le marché du carbone. Dans cette façon de raisonner, la question de l’environnement reste secondaire par rapport à celle complètement centrale : le droit à une onde pure qu’il faut préserver par des coûts de dépollution à imposer aux tanneurs. Dans un tel contexte si l’on préserve la nature c’est d’abord pour préserver un bon fonctionnement des marchés : les tanneurs doivent payer le coût complet de leur activité et ne pas imposer à la brasserie des dommages économiques. Le but n’est pas la préservation de la nature mais son utilisation à des fins d’optimisation des marchés. Clairement, la préservation de la nature est un moyen et non une fin. Nous avons là la traduction économique de l’axiome anthropologique de l’Occident.

Il est possible d’approfondir la question des externalités à partir de notre exemple en posant la question de la disponibilité quantitative de l’eau : Pour tous les utilisateurs, elle devient un bien commun gérable par une collectivité ou un Etat. A ce titre il y a des dépenses de protection à prévoir qui vont apparaître comme un prix ou une taxe. Le plus souvent, on reste dans le même logiciel et la même économicité : la nature reste un moyen - une matière première de l’économie - et non une fin. C’est la raison pour laquelle aujourd’hui la décarbonation peine à quitter une problématique de marché. Elle en connait toutes les contradictions, par exemple : comment sortir les actifs carbonés des bilans, en particulier bilans bancaires ? De ce point de vue, des activités, par exemple les producteurs d’énergie fossile, apparaissent aujourd’hui aussi obsolètes que les producteurs de carrosse dans l’industrie automobile. On veut mettre un prix à la nature pour la préserver et donc  sanctionner certaines activités et on se retrouve dans une difficulté de marché. Par exemple, comment empêcher que la taxe carbone aux frontières de l’Europe que l’on vient de mettre en place ne débouche pas sur de nouvelles délocalisations ? Les producteurs de carrosses mourraient broyés sur le mur du marché alors que l’industrie européenne, affectée par une taxe carbone aux frontières, n’est que blessée et donc  peut se redéployer dans un espace plus accueillant. Se battre contre le marché n’est pas chose simple et les conséquences inattendues sont nombreuses.

On peut aller plus loin dans la préservation de la nature  et déclarer  que celle-ci  dispose de droits opposables aux humains. Dans ce cas, il appartiendrait  à tous les acteurs humains de respecter les droits de la nature. Cela suppose naturellement un principe d’universalité acceptée par tous les Etats. Mais là encore pure illusion puisque nombre d’Etats en formation se servent du marché pour se construire et s’affirmer. C’est le cas de la Russie qui vient de déclarer qu’elle s’opposerait à toute réduction de la production d’énergies fossiles. C’est le cas de  la Chine, laquelle ne peut accepter une telle norme qui bloquerait sa politique de puissance.

Il faut en conclure que la gestion des communs suppose un coût qu’aucun acteur ne peut clairement accepter dans le cadre d’une société globale reposant sur le seul marché. On voit mal qu’en un point quelconque du monde, en raison d’un principe universel, une entreprise, quelle que soit sa nationalité puisse être condamnée par un tribunal mondial, à verser des réparations à la nature. Et la question est d’autant plus difficile que la nature est d’une formidable complexité (climat, biodiversité, adaptation au réchauffement, etc.) et qu’elle ne se résume pas à la seule question de la température de la planète.

La contrainte environnementale ne  peut donc qu’être gérée par tout ou partie d’une renoncement à la logique mondiale des marchés. Une logique qui jusqu’ici correspondait bien à l’axiome anthropologique de l’Occident.  Dans un monde en quête de compétitivité permanente, la pression sur l’environnement reste majeure. Nous en restons sans le dire à la « tragédie des biens communs » et les solutions des spécialistes de ces questions ne sont ni la collectivisation/nationalisation (Garret Hardin) ni la privatisation généralisée (solution libertarienne ) ni l’auto-gouvernance ( Elinor Ostrom). D’où les débats incessants sur la réalité du problème. D’où les légitimes interrogations en France sur la publication du « rapport sur l’impact environnemental du budget de l’Etat », document annexé au projet de loi de finances.

Et la pression sur l’environnement n’est pas la seule externalité globale des marchés mondialisés. Bien avant que les questions environnementales ne soient clairement posées, la recherche de compétitivité a déployé d’autres pressions : celle sur la fiscalité qu’il faut limiter en raison de la concurrence, mais aussi celle sur le fonctionnement des Etats qui devront limiter leurs dépenses régaliennes et de plus en plus celles sur le service public lui-même. La première signifie l’enkystement dans une dette croissante pour la plupart des Etats, la seconde signifie la dégradation voire l’inadaptation croissante des services publics pour ces mêmes Etats désormais noyés dans un « new public management », toujours revisité et toujours revisitable, pour le plus grand bonheur des marchands de management. Cette dernière dégradation en entraîne une autre celle de la démocratie de plus en plus contestée car devenue incapable d’apporter les réponses exigées par les citoyens.

Le FMI lui-même s’affole  en prenant conscience d’un prix du carbone qu’il faudrait multiplier par 12,  d’une dette publique qu’il faudrait accroître massivement (10 à 15 points de PIB) pour les pays développés, et bien davantage encore pour les pays émergents et en développement. Curieusement ce même FMI considère que face à cette quasi-impossibilité il faudrait avoir recours au secteur privé pour financer la transition énergétique.

Il sera très difficile d’échapper à la nouvelle, et beaucoup plus dangereuse, tragédie des communs, celle qui s’articule et prend force autour de plusieurs axes : environnement, dette, dysfonctionnement public, démocratie. La solution que nous avons proposée dans notre article précédent (http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/10/politique-publique-entre-la-dette-et-le-climat-il-faut-choisir.html) réduit la douleur mais ne fait pas disparaître la maladie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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  • : Analyse de la crise économique, financière, politique et sociale par le dépassement des paradigmes traditionnels
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