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17 avril 2023 1 17 /04 /avril /2023 06:33

Il n’y a plus à dénoncer un endettement et plus encore une spéculation pharaonique à l’échelle mondiale, une réalité  que chacun dénonce, croit en percevoir les dangers, mais pour laquelle aucune solution  n’est envisagée. Pour autant, si l’on veut une démarche sérieuse concernant l’analyse de la réalité et les éventuelles solutions, il faut savoir en démonter l’architecture et les origines de sa construction. Cela passe par le repérage d’enchaînements historiques.

Bien évidemment, l’endettement et surtout la spéculation relève d’une histoire déjà très ancienne : spéculation sur les moulins dans l’antique Athènes, « Système de Law » beaucoup plus tard, paris sur l’évolution de prix des matières premières et des produits agricoles…à toutes les époques, etc.

Par contre ce qu’il faut noter c’est, qu’à la différence d’aujourd’hui tout reposait sur la richesse matérielle des biens produits : On spécule sur le devenir de ces derniers. Même chose avec le développement du capitalisme avec des modèles juridiques qui autorisent la liquidité du capital (les actions s’achètent et se revendent), tout en laissant encore ce dernier rattaché à la matérialité physique et à son devenir en termes de richesse. On sait que tel n’est plus le cas avec les produits dérivés qui n’ont qu’un lien très éloigné avec la richesse. Et quand les produits financiers n’ont plus pour objectif que de couvrir la spéculation elle-même, le lien avec la richesse est réellement coupé. D’où cette idée qu’il y aurait aujourd’hui une sphère réelle apparemment  séparée de la sphère financière.

Configuration d’un monde imperméable à la finance.

Le point de départ de cette séparation doit être recherché dans l’effritement de configurations institutionnelles rigides : préférence générale pour le faire soi-même plutôt que d’externaliser (d’où l’idée des grandes organisations chères à Burnham), taux de change fixes, contrôle de la circulation du capital et contrôle des changes, frontières et droits de douanes, prix contrôlés et stabilisés y compris parfois à l’échelle planétaire (pétrole à l’époque des « 7 sœurs » du cartel pétrolier). De quoi ne laisser la finance se déployer que dans les marges du monde. Cette rigidité correspondait aussi à un état technique du monde : la faiblesse des moyens d’informations, et coûts de transports élevés entravaient matériellement la recherche de paris financiers à l’échelle planétaire. Elle correspondait sans doute aussi à un état de la société où la réalité des institutions était aussi faite de corps intermédiaires, et plus généralement de corps politiques composés de grands partis porteurs de projets collectifs. L’individu esseulé et désirant n’était pas encore né.

A partir du début des années 70 tout une série de choix vont intervenir et transformer -petit à petit, par essais et erreurs, par ajustements- le monde. Ces choix vont largement être reliés par un enchaînement, plus ou moins multi-causal, qui, au total, accouchera du monstre financier actuel. Il n’y a pas eu de « grand architecte » ou de « grands comploteurs », mais des choix collectifs, voire individuels, ici ou là, qui vont en entrainer d’autres jusqu’à l’époque présente. La réalité du monde n’est pas celle d’un déterminisme historique.

Un monde qui laisse des zones de perméabilité prometteuses à la finance.

En un peu plus de 3 ans (Aout 1971- septembre 1974) 3 évènements, à priori non reliés, vont devenir les aiguilles qui vont déchirer progressivement les anciennes institutions et coudre, tout aussi progressivement, et sans doute de bric et de broc, la toile de la finance : fin du système de Bretton woods, révolution pétrolière, naissance des fonds modernes de pension.

Le premier, (15 août 1971) met fin sur décision américaine au système de taux de change fixes et à l’interdit des manipulations monétaires. Le second (septembre 1973) met fin au cartel pétrolier et libère complètement les prix du pétrole, lequel devient un instrument de pure spéculation. Le troisième (septembre 1974) désenchasse, au nom de la loi,  les caisses de retraites des grandes entreprises américaines, caisses qui deviennent des organismes financiers complètement autonomes.

Les zones de perméabilité peuvent s’grandir et devenir envahissantes

Les deux premiers évènements vont affecter tous les systèmes de prix. Certes, ces derniers étaient encore à l’époque marqués par une inflation non négligeable, mais ce qu’il y a de nouveau c’est qu’ils vont devenir instables, une caractéristique les transformant en matière première pour la spéculation au quotidien. Jusqu’alors il y avait certes de grands moments spéculatifs, par exemple ceux qui vont mener à la fin de la convertibilité du dollar, mais ces derniers concernaient essentiellement les Etats et leur monnaie dont la parité, garantie par ces derniers, pouvait le cas échéant être contestée. Désormais, le monde jusqu’ici largement sécurisé, devient officiellement insécure…et source du développement sans limite d’un marché de la sécurité à l’échelle planétaire (la fin de Bretton-woods concerne toute la planète) … Toute une partie de la finance prend son essor sur la vente de produits nouveaux de sécurité financière. Et comme le risque de prix peut être techniquement reporté  (marché de la « couverture » et de ses produits) sans  jamais disparaître, d’emblée la finance se doit d’exiger un périmètre d’activité qui ne peut être que croissant. Et bien sûr, un périmètre qui ne peut s’ouvrir qu’avec du carburant monétaire généré par de la dette. Bien évidemment l’activité correspondante justifie un nouveau type d’emplois et de nouveaux métiers : ceux du marché que l’on vient de créer par modification de règles du jeu entre acteurs du monde. Il n’y a aucune production nouvelle et aucune croissance économique nouvelle, il n’y a qu’une modification de règles. Les nouveaux emplois et nouveaux métiers générés par millions sont-ils productifs ?

Le troisième évènement est a priori moins visible que les deux premiers. Signal faible, Il est pourtant tout aussi efficace. Les caisses de retraites des entreprises étaient à l’abri de ces dernières. Devenues autonomes de par la loi, elles correspondent aux premières formes d’externalisations, vont devoir voler de leurs propres ailes et entrer en concurrence pour l’accès aux ressources permettant de s’acquitter des pensions. Ces ressources sont des actifs financiers (bons du Trésor ou titres d’entreprises) qu’il faudra désormais surveiller. Alors que les caisses de retraites des grandes entreprises n’avaient pas le pouvoir de surveiller l’entreprise qui les abritait, désormais il faudra se montrer très regardant si l’on veut disposer des moyens suffisants pour payer les retraites. Désormais le monde de l’entreprise doit être sous surveillance :  les cadres et managers conservent une apparence mais ne sont plus dans la réalité que les exécutants de décisions actionnariales.

Les abris ne sont plus possibles

Il faudra donc développer des outils anciens, par exemple les bourses qui vont devenir instrument de mesure, heure par heure, de ce qui se passe dans les entreprises. Bien sûr il faudra une ouverture et une cotation en continu. Il faudra aussi prévoir des liens entre toutes les Bourses de la planète. Et pour mieux surveiller les entreprises, il faudra aussi pouvoir les mettre en concurrence à l’échelle de la planète, ce qui suppose une totale liberté de circulation du capital, circulation qu’il faudra politiquement exiger. Mais la bourse elle-même doit être alimentée par de bonnes informations en provenance des entreprises. Celles-ci doivent par conséquent devenir transparentes et montrer -avec des chiffres- que toutes leurs composantes, toutes leurs  branches, voire tous leurs bureaux et ateliers sont réellement producteurs de valeurs actionnariales. C’est dire que l’externalisation doit se développer en continu, que l’entreprise doit se démanteler au profit d’une chaine planétaire de la valeur.

Parmi les titres à surveiller dans la nouvelle organisation des caisses de retraites il y a les bons du Trésor. Là aussi, il faut surveiller et veiller à la qualité organisationnelle des Etats. Et donc si l’architecture des entreprises est appelée à se modifier, il en est de même des composantes des Etats. D’où ici ou là des réformes structurelles à imposer si l’on veut que la dette publique maintienne une certaine crédibilité. Il n’y a pas que l’économie à surveiller, il y a aussi le politique.

La dynamique des 3 évènements qui se sont matérialisés au début des année 70 n’avait rien de mécanique et l’histoire aurait pu être autre. Par contre, on peut aussi dire que ces évènements sont probablement porteurs d’une réalité potentielle proche ou voisine de ce que l’on connait. Et cette probabilité est renforcée par le fait que ces trois évènements sont amenés à se mutualiser -sans doute avec des conflits secondaires- et à renforcer la puissance de leurs effets sur la réalité institutionnelle. D’abord l’intérêt est commun : les acteurs qui les font vivre ont intérêt à ce que le terrain de jeu s’élargisse. Par exemple les paris sur fluctuation de prix (évènements 1 et 2) offrent des garanties à la libre circulation mondiale du capital laquelle permet sa meilleure valorisation (évènement 3). Les acteurs qui vivent ces transformations institutionnelles ont ainsi intérêt à travailler ensemble et à produire des outils communs voire des exigences politiques communes. De ce point de vue le système bancaire est un haut lieu de rapprochement entre les divers acteurs : il faut développer la capacité à créer le carburant monétaire de la finance, et il faut profiter des anciennes compétences bancaires pour mieux surveiller la bonne valorisation du capital réel. Fonds de pension, assurances, banques doivent se rassembler et édifier des ensembles dont le total du bilan atteindra des hauteurs ahurissantes. De ce point de vue, il sera exigé que les Etats se retirent progressivement de la banque de jadis et que la dette publique cesse d’être, comme dans le cas de la France d’avant 1970, « hors marché » : il ne doit plus être question de planchers de bons du Trésor à geler dans les actifs bancaires. Il ne doit plus être question de « circuit du Trésor » cher à Block- Lainé. Bien évidemment il est urgent de supprimer tout financement direct du Trésor par la banque centrale, un tel financement rétrécirait le nouveau jeu de la finance.

 Ce travail en commun pour les porteurs de ces nouveaux métiers de la finance n’est pas exempt de contradictions : Il existe des conflits objectifs qu’il faudra dépasser. Ainsi la naissance de la monnaie unique (euro) est un formidable avantage pour la bonne circulation du capital et une meilleure homogénéisation dans la surveillance des marchés, mais il est un affaissement du terrain de jeu pour les spéculateurs sur les taux de change. Cela importera peu si l’euro permet davantage d’innovations financières et si au total l’élargissement planétaire des chaines de la valeur fait grossir le marché mondial des changes et les outils qui y sont vendus pour assurer la protection.

Une transparence faite d’opacité et de perte des repères.

La transparence exigée au regard du fonctionnement des entreprises de l’économie réelle et des Etats s’accompagne curieusement d’une opacité sur les flux monétaires. Ainsi l’épargnant ne sait plus ce que devient son épargne et ce qui se déroule à partir de son compte bancaire. Il croit que l’épargne sert à l’investissement alors qu’il n’est plus qu’une pièce dans la formidable machine à créer de la monnaie. Est-elle devenue machine, équipement, bien immobilier ? un swaps de prix ou de taux ? une garantie sur « Notionnel » ? Un « Credit Default Swaps » (CDS) ? une pièce de « Special Purpose Acquisition Companies » (SPAC) ? une subvention ? une promesse de disruption radicale ? une aide sociale ? un support de rémunération ? un support « d’ETF » ? Nul ne sait car nul ne sait comment s’est matérialisé le formidable pouvoir créateur des banques et le shadow banking qui lui est associé. Par contre, ce qu’il y a de sûr est que cette accumulation ne repose que sur une pointe d’épargne et un énorme corps de dettes.

Que les innombrables produits financiers soient obscurs et parfois incompréhensibles, qu’ils soient complètement étrangers à la réalité économique et surtout qu’ils pèsent de plus en plus lourds dans les PIB ne posent pas de véritables problèmes, s’il est possible d’en accroître en continu la valeur faciale. C’est très exactement ce qui se passe avec les diverses multiples opérations de quantitative easing. Que l’investissement réel diminue et que l’investissement financier  augmente sans limite ne gène plus si la rentabilité du second se trouve durablement garantie. C’est manifestement aujourd’hui le rôle des banques centrales qui achètent sans limite de la dette d’Etats mais aussi des titres privés dont la dette d’entreprise et plus encore des ETF. On peut même dans ce nouveau monde contribuer à tuer des territoires entiers en faisant apparaître des profits qui deviennent de plus en plus mystérieux. C’est, par exemple, le cas du Japon dont la banque centrale achète indifféremment d’énormes quantités de titres. , C’est par exemple le cas des USA dont le congrès ne pourra dans les semaines à venir que voter pour un nouvel élargissement de la dette fédérale. Jadis il était culturellement osé de bloquer politiquement une crise financière. Curieusement, alors que le politique se trouve a priori écarté du jeu financier, et qu’il a juste le droit de s’intéresser aux réformes dites structurelles, il lui est asséné un devoir :  celui de maintenir la croissance et la bonne santé du montre financier. Jusqu’à quand ?

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7 avril 2023 5 07 /04 /avril /2023 13:57

Nous publions aujourd'hui l'interview de Jacques de la Rosière, un travail réalisé par Olivier Berruyer et complété par d'intéressants graphiques construits par "lescrises.fr". Il s'agit d'une vidéo concernant le dernier ouvrage de celui qui fut gouverneur de la Banque de France et directeur général du FMI. 

L'homme, aujourd'hui âgé de 93 ans, a connu les grandes transformations du système financier mondial et s'étonne de l'énorme progression de la finance dans les bilans. Comment se fait-il que partout la croissance réelle diminue, que l'investissement réel stagne, voire recule, tandis que les actifs financiers sont multipliés par 3 en moins de 20 ans ? Jacques de la Rosière apporte d'intéressantes réponses sur les conséquences de ce que nous avons appelé  dans le blog la "boursouflure financière.". En revanche il n'aborde que de manière allusive les mécanismes qui ont abouti à cette anomalie et surtout à la question de son opacité. De façon empirique, on sait que les montagnes d'argent créées ne sont pas investies et assurent la simple liquidité. Ce que l'on sait aussi est que l'épargnant de base ne sait pas ce que devient l'argent placé dans la machine financière à une époque où l'on ne parle que de traçabilité. Cette opacité s'est construite progressivement avec pour résultat un monstre impersonnel que plus personne ne maitrise, et qui, surtout, aboutit à collectivement préférer des hausses de cours plutôt  qu'une hausse de la richesse produite. Les rachats d'actions, si rares il y a une vingtaine d'années, sont devenus un outil quotidien et sont préférés à l'investissement. Et sur cette réalité, peu d'économistes se sentent concernés et surtout aucune réforme n'est programmée ni même évoquée.. Le blog reviendra sur ces questions.

Bonne écoute et bonne réflexion

 

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4 avril 2023 2 04 /04 /avril /2023 07:47

 

 La remontée des taux par les banques centrales depuis la fin de la crise sanitaire mettait un terme à une longue période d’argent gratuit. Ladite période était marquée par un jeu entre  grands acteurs autour d’un agent central : les banques centrales.

Une stabilité acquise avec des bilans comptables géants

Classiquement la gestion de la pandémie correspondait à la distribution de revenus de substitution dans un contexte de blocage de l’économie. Au niveau des bilans comptables cela se matérialisait par des achats considérables de dette souveraine qui vont figurer à l’actif des banques. Cette dette devenait elle-même dépense publique irrigant au final les ressources bancaires nationales ou étrangères : l’argent dépensé par les Etats se trouvait dans les comptes au passif des banques nationales et étrangères. Il y avait donc accroissement de la taille des bilans bancaires pour un montant qui  est celui de la dépense publique additionnelle.

An niveau national, ce jeu était donc celui d’une livraison de monnaie par les banques, monnaie qui était ensuite récupérée par le canal de la dépense publique. Bien évidemment, si un Etat ayant mis sous camisole son économie était aussi le représentant d’une nation dont le déséquilibre des échanges extérieurs était important ( son économie muselée était déjà peu compétitive) les banques de cette nation devaient souffrir davantage. Dans la zone euro, cette souffrance était toutefois amortie par le biais des comptes TARGET des banques centrales. D’où ce slogan stupide si répandu : « l’euro nous protège ».

Sans banque centrale, ce jeu initié par les Etats n’aurait évidemment pas eu d’avenir. Très vite les largesses budgétaires se seraient heurtées aux banques et aux dernières promesses d’investissement dans une économie réelle muselée. C’est ce que les économistes appellent l’effet d’éviction : les crédits se dirigent massivement vers le Trésor assoiffé de liquidités et vont être assortis de taux croissants. Bien sûr un Etat complètement souverain pourrait signifier l’achat obligatoire de bons du Trésor par les banques. Ce fait constituait en France une tradition jusqu’au début des années 70 du siècle passé. Laissons toutefois cette hypothèse en dehors de notre scénario et admettons que logiquement dans le cas de rapports simplement marchands entre les divers acteurs les taux ne pourront que s’élever et que le coût du déficit et de l’endettement deviendra rapidement insupportable.

Précisément, les banques centrales vont se donner pour mission - et ce bien avant la crise sanitaire- de rendre indolore l’endettement public et ses effets sur le système bancaire. En achetant sur le marché secondaire les bons su Trésor que les banques venaient elles-mêmes de se procurer, elles vont assurer la parfaite liquidité d’un circuit dont elles vont devenir l’acteur principal.

D’abord pour les banques l’effet d’éviction disparait et le jeu de l’achat de bons peut  s’amplifier en toute sécurité. En tout premier lieu par le fait que sur le plan réglementaire les titres publics sont considérés comme dette sûre et donc ne consommant pas de capitaux propres. Mais surtout par le fait que l’actif des banques se trouve immédiatement regarni en argent frais : celui des banques centrales qui rachètent parfois dans les 24 heures les titres publics. Par ce jeu, l’actif des banques est donc en principe très solide.

Ensuite bien sûr pour les Etats qui vont voir la demande de bons du Trésor prendre de l’ampleur et vont donc pourvoir les vendre avec un taux faible. En effet les banques n’ont plus peur d’acheter de la dette publique et ne sont plus que des intermédiaires puisque ladite dette se trouvera financée par simple création monétaire.

Enfin pour les agents de l’économie réelle qui ne sont pas victimes d’éviction et vont pouvoir continuer à emprunter à taux réduits ( crédit immobilier, prêts aux entreprises).

Dans cette énumération on oublie pourtant un acteur essentiel : celui de la finance. Les banques qui sont sur le marché de la dette publique sont celles admises par le Trésor. En France, on les appelle les « Spécialistes en Valeurs du Trésor » (SVT) et sont de grands établissements bancaires à compétence universelle. A l’inverse des petites banques qui ne sont pas labellisées par le Trésor, ces banques sont aussi des agents financiers très importants. En achetant directement une  dette publique qui sera immédiatement rétrocédée à la banque centrale, ces grandes banques  sont nourries à l’actif par la générosité de la banque centrale et au passif par les dépenses publiques qui, au travers de l’économie, vont irriguer les comptes courants. Dans le cas de la BCE ou pourrait ajouter les « Long Term Refinancing Operation »(TLTRO) qui vont constituer de gigantesques prêts à taux négatifs au profit des banques.

De quoi voir le total du bilan de ces établissements prendre des tailles démesurées. Ainsi la BNP , bien sûr classée SVT, voit aujourd’hui le total de son bilan représenter près de 115% (oui, cent quinze pour cent) du PIB de la France…Après le crise de 2008, le bilan susvisé était déjà très élevé (près de 70% du PIB) mais la gestion de la crise suivie de celle du COVID vont permettre ce grand bond en avant. Donc un grand bond autorisé par le déficit public et la politique de la Banque centrale. Notons que cette explosion n’a pas affecté les petites banques qui elles sont très largement hors du circuit du Trésor. Comparons aussi ces bilans extravagants avec les bilans des plus grosses entreprises industrielles lesquelles  restent des nains….avec par exemple un bilan de moins de 2% du PIB de la France pour Total Energies  …

Les géants peu armés face à la maladie de l’inflation

Parce que la liquidité devient gigantesque et que les besoins de l’économie sont limités en raison de la crise sanitaire, la liquidité va se transformer en actifs financiers les plus divers : développement des produits de l’Assurance, prêts à la finance de l’ombre spécialisée dans les grandes spéculations, participations dans les fonds de pension, prises d’intérêts dans les hedge funds, développement illimité d’établissements de trading ayant pour cibles toutes les « utilities », développement illimité du « notionnel », etc. En sorte que les bilans consolidés des banques universelles vont non seulement devenir hors de proportion mais aussi devenir très hétérogènes. Alors qu’une banque classique est faite d’un bilan simple où près de  80% du passif est constitué de comptes courants de clients, avec un chiffre équivalent en actifs composé de crédits aux mêmes clients, une banque universelle présente

une profil très différent. Ainsi pour la BNP les comptes courants ne représentent que 38% du passif tandis que les produits financiers de l’actif comptent pour 37% du total du bilan. Cette déformation bilantaire fut très largement favorisée par les comportements corrélés du Trésor et de la banque centrale : la monnaie gratuite s’investit dans des actifs les plus divers et font gonfler des activités éloignées de celles de  la banque traditionnelle.

Ce gonflement devient nécessairement celui du prix des actifs déjà en circulation et de ceux qui viendront s’accumuler avec le maintien de la logique de l’endettement à la fois massif et continu. Mais  ce gonflement a pour contrepartie des pressions inflationnistes qui ne pourront rester cantonnées à la seule finance et se répercuteront sur l’économie réelle, à commencer par le secteur immobilier. La fin de la crise sanitaire, puis la guerre vont entrainer de nouvelles pressions inflationnistes qu’il faudra gérer, ce qui nous renvoie à la période de la hausse des taux initiées par les banques centrales. Toutes puissantes dans la période antérieure, elles vont perdre, au moins momentanément leur capacité à gérer l’existant. La raison est simple : il est plus satisfaisant pour nombre d’acteurs et surtout plus facile de faire gonfler les bilans bancaires avec de l’argent gratuit  que de les réduire avec des taux croissants.

On peut ainsi comprendre que les autorités monétaires vont attendre longtemps avant d’admettre l’idée de retour à l’inflation, et bien sûr la volonté de la combattre comme cela est prévu dans leur mission. Ce n’est donc que depuis peu de temps que la volonté de la combattre est apparue avec pour outil essentiel la hausse des taux.

Il faut bien comprendre ce que signifie l’inflation et son contrôle par les taux pour un grand établissement financier. En terme de bilan, l’actif s’évapore (les cours des obligations diminuent alors que le niveau général des prix augmente), tandis que les dettes (passif) restent ce qu’elles sont. Elles peuvent même augmenter en raison de la modification sructurelle des ressources : moins de dépots non rémunérés et augmentation des produits rémunérés à commencer par les livrets A et les OPCVM. Notons qu’il n’en va pas de même pour un bilan industriel. Pour reprendre - à titre d’exemple- le cas de Total Energies, les champs pétroliers dont l’entreprise est propriétaire ne sont pas affectés par la hausse des taux et encore beaucoup moins par l’inflation. En effet, dans ce dernier cas, l’entreprise qui, certes, peut connaître une hausse de ses coûts, dispose des moyens de les répercuter sur les prix de vente. La finance est donc infiniment fragile face à la volonté de la Banque centrale de relever les taux. En les relevant,  elle affaisse la partie de l’actif des banques ne correspondant pas aux crédits classiques. Pour la BNP c’est donc une partie des 37% de son bilan qui est rogné par l’action de la banque centrale. Mieux, pour la plupart des fonds en euros et en particulier pour l’Assurance-vie souvent composée de titres publics, c’est l’ensemble du stock de titres qui, achetés au cours de la période d’argent gratuit, se trouve rogné. Et comme les clients porteurs constatent que les obligations nouvelles sont autrement rentables que les placements en assurance-vie, la tentation de vendre- une vente faisant diminuer un peu plus les cours- est logique. Même chose pour les fonds de pension qui doivent continuer à verser les retraites alors que l’actif en obligations s’évapore. Les retraites par capitalisation sont ainsi menacées par 2 chemins tous deux issus de la politique de la banque centrale : celui des taux qui fragilise l’équilibre et celui de l’inflation initiée par la stratégie précédente. Le cas des fonds de pension est emblématique puisque cette stratégie des autorités monétaires va entrainer des choix catastrophiques, par exemple la création de swaps de taux censés nourrir les fonds pendant la période d’argent facile, swaps qui vont, se retourner avec la nouvelle stratégie. Quand on sait que ces swaps furent vendus par les banques avec le manteau sécuritaire de la banque centrale, et swaps que l’on va artificiellement gonfler avec un notionnel extravagant, il y a de quoi se sentir désappointé.   

Dans ce contexte on comprend mieux les craquements qui, ici ou là, se manifestent : Silicon Valley Bank, Silvergate, Signature, Crédit Suisse, Deutsch Bank, etc.

Tant pis pour l’inflation : on continue comme avant !

Si l’on considère que l’objectif des banques centrales est de maintenir l’ordre existant, il est très probable qu’elles préféreront la stabilité financière à celle des prix. La stabilité financière, donc le sauvetage du système financier, n’entraîne que des couts réduits pour le reste des acteurs du jeu de l’interaction sociale. Nous venons de voir en effet que l’économie réelle est relativement souple et peut accepter de jouer le jeu de l’inflation : son bilan reste sous contrôle. Il en est de même pour les Etats qui peuvent aussi réagir positivement à l’inflation : les ressources fiscales augmentent mécaniquement, les dépenses peuvent se museler et le capital à rembourser, plus lourd, décroit avec l’éloignement de la maturation.

Cette préférence est déjà très présente dans les choix qui se déroulent sous nos yeux et qui globalement passent  du « bail out » à celui du « bail in ». Clairement^, après la crise de 2008 toute la régulation financière s’est plutôt orientée vers le report du poids des futures crises sur les acteurs internes, donc les actionnaires et responsables du système financier. Tel n’est plus, étonnement, le cas aujourd’hui avec les premières décisions : les investisseurs en capital-risque ont récupéré leurs fonds déposés à la Silicon Valley Bank, le collatéral exigé pour les prêts sera désormais exprimé à sa valeur inscrite et non à sa valeur de marché (Bank Term Funding Program américain), accès sans garantie par la banque centrale Suisse de 100 milliards d’euros pour sauver ce qui peut l’être, etc. De ce point de vue, l’effacement d’une partie de la dette subordonnée ( Additionel Tiers 1) de Crédit Suisse est une exception déjà  vécue comme trop dangereuse par le système bancaire. Clairement, il s’agit tout simplement d’interdire toute crise financière, laquelle doit devenir impossible….et ainsi garantir le maintien de l’ordre existant.

Bien évidemment, le prix à payer de cette stabilité financière acquise aux forceps ne peut être que le renforcement des pressions inflationnistes. Tout aussi évidemment les banques centrales ne peuvent plus assurer la stabilité monétaire qui partout dans le monde était idéologiquement la mission qu’elles devaient assumer en contrepartie d’une prétendue indépendance obtenue à la fin du siècle dernier. De quoi continuer à alimenter des piles d’ouvrages et d’articles universitaires sur la « crédibilité » des banques centrales. On sait pourtant que les vrais débats sont ailleurs : devenus de véritables « proto-Etats » avec l’affaissement du politique, les banques centrales révèlent aujourd’hui leur réalité à savoir maintenir quelles que soient les circonstances un capitalisme complétement  financiarisé.

 

 

 

 

 

 

 

 

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27 mars 2023 1 27 /03 /mars /2023 06:02

L’électricité ne fût jamais – tels un feu d’artifice ou l’outil « Défense Nationale»- un bien public. On parle au mieux de service public mais jamais de bien public car l’électricité est un bien rival et excluable, qualités qu’il faut expliquer. Sa consommation par un secteur affecte la quantité disponible pour d’autres (il y en a moins), ce qui n’est pas le cas d’un feu d’artifice ou de la Défense Nationale (il y en a autant). Dans le même temps, les utilisateurs qui refuseraient de payer seront en principe exclus, ce qui n’est pas le cas du feu d’artifice ou de la Défense Nationale dont les coûts correspondants seront obligatoirement payés sous la forme de l’impôt. Pour autant nous avons - avec la crise de l’énergie- l’impression d’une glissade et les utilisateurs de l’électricité sont de plus en plus aidés sous la forme de boucliers tarifaires divers, donc sous la forme d’un impôt…comme les biens publics…. S’agit-il des prémisses d’un grand chambardement ?

Les grands moments de l’électricité.

Historiquement, l’électricité semble avoir été produite et utilisée selon des règles et des statuts divers dans le cadre de l’environnement technologique et économique du moment. De quoi réfléchir aux changements vécus et tant discutés aujourd’hui.

L’électricité est née dans le cadre d’un service public énonçant les règles auxquelles les producteurs devaient se soumettre. C’était, à la jonction des dix neuvième et vingtième siècle, l’époque des concessions où les producteurs, quel que soit le statut juridique, devaient progressivement respecter les règles d’égalité devant le service, mais aussi d’autres règles dont celles de continuité et d’adaptabilité. Rapidement, la règle d’égalité devait tenter de s’élargir avec l’idée toujours contestée de la disparition du service en raison d’un revenu insuffisant. Quoi qu’il en soit, l’électricité n’est pas une marchandise et son coût ne se transforme pas en prix mais en tarif règlementé.  C’était déjà l’époque des monopoles de petite taille en raison des coûts très élevés du transport et de l’inter connexion difficile entre communes. Mais déjà monopole en raison de coûts fixes très élevés et de coûts marginaux déjà très faibles (le raccordement d’un abonné supplémentaire étant peu coûteux au sein d’une agglomération). La tendance au monopole était elle-même favorisée par d’autres révolutions technologiques, par exemple celle qui devait remplacer les grandes chaudières au charbon dans l’industrie par le moteur électrique.

Beaucoup plus tard, au vingtième siècle, les coûts d’infrastructure et de transport s’abaissent et autorisent l’élargissement des monopoles et leur agglomération possible sous la forme d’un monopole naturel bénéficiant en continu de rendements croissants. Nous avons là le projet EDF qui ne sera plus une concession mais un monopole public. Le service public devient donc le fait d’un monopole national. L’électricité n’est toujours pas une marchandise, mais le monopoleur luttera toujours contre  l’évolution du service en instrument de redistribution : il n’est pas question de moduler les tarifs en fonction des revenus et le seul objectif de ses dirigeants est celui de la diffusion des rendements continuellement croissants à l’ensemble des acteurs économiques et des citoyens. Cette période est celle d’une spectaculaire réussite.

La troisième période est celle qui va commencer avec l’Acte Unique de 1986 et des technologies qui vont lui succéder rapidement. Le service public devient service universel lequel va introduire la fin progressive de l’égalité et donc la possible transformation des tarifs en simples prix. La forme juridique importe peu, par contre l’introduction de la concurrence devient obligatoire. L’électricité est ainsi amenée à devenir marchandise et son prix devient fonction de l’état de la concurrence et de la vie des marchés en général. Cette libéralisation est concomitante avec des réalités idéologiques et matérielles puissantes : accidents nucléaires, et questions climatiques ou environnementales. Dans les faits il s’agira de casser le vieux monopole public, d’en extraire son capital considéré comme injustement acquis ( obligation de livrer de l’électricité à des coûts très faibles dans le cadre de la réglementation ARENH), de lui imposer des règles d’un type nouveau (effacement obligatoire devant les productions intermittentes), de favoriser les technologies du renouvelable, de  les protéger malgré leur intermittence ( création des « contrats sur différences» ou CFD), de permettre l’auto-production et l’autoconsommation tout en les protégeant contre les risques d’insuffisance, etc.

Le service public n’obéit plus qu’à la seule règle de continuité, mais cette dernière est d’une certaine façon techniquement obligatoire en raison des risques collectifs énormes sur le non maintien de la fréquence (50MH). Finalement, le principe de continuité repose sur RTE qui très contraint par le caractère non stockable de l’électricité doit très strictement et très rigoureusement ajuster la demande appelée à l’offre disponible… et donc garantir la règle de la continuité. Cette règle est aujourd’hui garantie par 200 « dispatchers » qui -24H sur 24 et 7 jours sur 7- veillent à l’équilibre du réseau. A l’époque antérieure cette contrainte très forte était centralement gérée à partir d’un pouvoir absolu sur toutes les unités de production du monopole. Mais le passage au marché va développer une complexité qu’il faut expliquer.

Le marché de l’électricité et les gains à l’échange marchand

Dans un marché concurrentiel de marchandises classiques, demande et offre s’ajustent en fonction de ce que les économistes appellent le partage des gains à l’échange, notion qu’il faut expliquer. Un prix de marché - à partir duquel les échanges se nouent - est situé entre des bornes. En effet, si le prix est jugé trop faible pour le producteur, il se retire voire stocke en attendant des jours meilleurs. Si le même prix est jugé trop élevé pour le consommateur, il se retire et envisage le cas échéant des produits de substitution. A l’intérieur de l’espace de la négociation des limites haute et basse  se dessinent et vont ainsi constituer ce que les économistes appellent les gains à l’échange au profit des échangistes. Un prix proche du plafond au-delà duquel l’échange ne peut se nouer, voit des gains à l’échange très intéressants pour le vendeur et beaucoup moins pour l’acheteur. Symétriquement si le prix de marché est proche du plancher en dessous duquel l’échange ne peut se nouer, les gains à l’échange sont élevés pour l’acheteur et réduits pour le vendeur. Sauf cas particulier et sauf financiarisation (les marchandises devenant ici supports de produits financiers) les fluctuations de prix sont ainsi relativement réduites. Substitution et possibilités de stockage sont les instruments de cette réduction.

L’électricité en devenant marchandise conserve sa nature technique, celle d’un objet non stockable. Par ailleurs sa substituabilité est relativement faible, voire très faible. C’est dire que les limites que l’on trouve le plus souvent sur les marchés classiques n’existent plus et que la volatilité naturelle est beaucoup plus importante. Ainsi lorsque brusquement le prix de l’électricité devient très élevé, l’utilisateur contraint doit néanmoins se la procurer, ce que les économistes appellent l’inélasticité de la demande ou sa rigidité. Simultanément, l’échange entre fournisseurs et utilisateurs doit être assuré avec toute la rigueur nécessaire. Naguère, le prix n’existait pas et l’équilibre n’était qu’une question relevant de la seule sphère technique. Aujourd’hui, la sphère technique reste et peut même connaître une efficience accrue avec la digitalisation, mais elle se trouve en contact étroit avec une autre sphère, celle de l’économie. L’équilibre technique doit être assuré indépendamment des considérations de prix : élevé, très élevé, bas, très bas, peu importe.  C’est dire que le prix ne peut plus être corseté par des limites relativement étroites et se trouve par conséquent beaucoup plus soumis à la volatilité. Cette dernière est ainsi nourrie par une double force celle de la technique et celle de la transformation du statut : l’électricité est devenue marchandise. La volatilité ne va pas nécessairement dans le seul sens de la hausse de prix, hausse qui donne des gains à l’échange très élevés pour les fournisseurs.  Il peut à l’inverse exister des cas très singuliers où un fournisseur trouve des gains à l’échange en pratiquant des prix négatifs : il vaut mieux payer son client plutôt que de supporter les coûts d’une réduction de la production, ce qui procure évidemment des gains à l’échange providentiels et inattendus au client. A priori, ces gains à l’échange n’existaient pas à l’époque du monopole et des tarifs, époque où l’ajustement technique se réalisait sans prendre en compte tous les espaces de gains à l’échange possibles, d’où ce que les économistes pensent être une perte de valeur partageable. Plus clairement encore le marché serait porteur d’un accroissement de valeur, accroissement rendu plus accessible encore avec l’intervention de bourses facilitant la liquidité du marché.

Les bourses sont en principe apporteuses de lissage des prix en faisant mieux correspondre les offres et les demandes. Elles fonctionnent aussi selon la règle du « mérit order » qui maximise l’utilisation des unités les plus productives et laissent en réserve les unités les plus coûteuses. Elles facilitent sans doute des gains à l’échange par la souplesse qu’elles apportent sur les sous marchés qui correspondent aux grandes fluctuations de la demande (marché « intraday » qui concerne la journée, « day ahead » qui concerne le lendemain, et long terme qui concerne des futurs de 1 à plusieurs années).

S’il est probable que la transformation de l’électricité en marchandise a pu apporter de nouveaux gains à l’échange jusqu’alors peu visibles dans le cas du monopole, elle a  aussi apporté  de graves inconvénients et des interrogations.

Les faces cachées du marché de l’électricité et de ses gains à l’échange.

  • Des gains qui restent limités par la camisole d’une productivité bloquée.

Fondamentalement ce qu’on appelle gains à l’échange, que ce soit pour des marchandises classiques ou pour l’électricité, est limité par l’état des techniques. Il existait des gains à l’échange entre le pêcheur à la ligne qui vendait son poisson et le villageois qui l’achetait. Mais il existe un potentiel de gains à répartir autrement plus élevé lorsque la pêche se réalise à partir de navires usines. Ramenée à l’électricité la question est de savoir si la fin du monopole et le passage au marché s’est réalisé en générant des gains de productivité. La réponse est ici plutôt négative : Pour l’essentiel la fin du monopole et la concurrence n’ont  fait qu’engendrer des fournisseurs d’électricité qui n’ont réalisé aucune percée technologique. C’est dire que le marché n’a pas permis l’innovation. Il n’a pas non plus permis le déplacement des limites environnementales et les technologies du renouvelable sont victimes de l’effet « rebond » : leur développement est simultanément celui de l’intermittence et donc, mobiliser davantage d’éoliennes, c’est, jusqu’à aujourd’hui, développer inéluctablement la production d’énergies fossiles. 

Plus grave, la fin du monopole n’a fait que bloquer toutes les avancées potentielles du nucléaire, et ce n’est que maintenant, qu’ici ou là, se mettent en place quelques start-up du nucléaire. A cet égard l’exemple de Newcleo - avec sa nouvelle technologie permettant de boucler le cycle nucléaire et surtout la perspective de pouvoir construire en série des minicentrales - est intéressant, mais les premiers électrons ne seront produits au mieux qu’en 2032. Par ailleurs, si la chute des coûts se poursuit sur l’éolien ou le photovoltaïque, le boulet de l’intermittence mange les gains de productivité potentiels. Globalement, le passage au marché ne représente aucun gain d’efficience globale…ce qui ne veut pas dire qu’il n’est pas intéressant pour certains de ses acteurs.

  • Une coûteuse bureaucratie de marché

Une autre question est celle de l’architecture du marché et de son coût. La transformation du statut de l’électricité est bien évidemment un fait politique : le passage au marché est une décision qui suppose une construction, n’allait pas de soi. Le non-respect des droits de propriété d’EDF, qui telle une entreprise obligée de livrer sa production à des concurrents (ARENH), est une invention politique destructrice d’une culture : EDF n’a plus aucune raison « d’inventer ». Elle est aussi un vol puisque transfert de valeur : le tarif de l’ARENH est calculé sur des bases simplement comptables en oubliant le coût du renouvellement du parc, ce qui est régulièrement dénoncé par la Cour des Comptes. Cette construction irrespectueuse doit aussi s’accompagner d’une gigantesque réglementation dont une partie repose sur les quasi-décisions de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE). Il faut, par exemple, réglementer l’accès à l’ARENH, car, bien évidemment, tous les fournisseurs en veulent davantage. D’où l’invention de règles sur des quotas ARENH en fonction du marché déclaré des fournisseurs, avec en conséquence des comportements opportunistes qu’il faut sans cesse surveiller voire punir. Dans un ordre d’idées semblable, Il faut désormais mettre en place de nouveaux outils pour assumer l’impossible stockage de l’électricité. Comme déjà vu plus haut, le monopole ne voyait dans l’ajustement offre/demande qu’une question technique à résoudre par la voie de la simple autorité. Sans doute, les modalités de l’ajustement tenaient-ils compte des coûts marginaux sur les diverses unités, mais nous avions un chef d’orchestre (les dispatchers) qui pilotait lui-même directement les musiciens. Avec le nouveau statut et la concurrence, le chef d’orchestre se fait plus modeste. Par exemple, il « demande » - en fonction d’un prix - la hausse ou la baisse des quantités produites  sur des unités qu’il ne pilote pas directement, ou  il « propose » en fonction d’un prix, de réduire temporairement une consommation, etc. Clairement, le chef d’orchestre doit imaginer une foule de techniques - par exemple les contrats des « responsables d’équilibre » ou les « certificats de capacités » acquis par contrats de gré à gré ou par mise aux enchères -  pour piloter une infrastructure qu’il maîtrise beaucoup moins. Et comme RTE n’est plus intégré dans le monopole historique et qu’il reste un monopole hors marché, il doit à ce titre négocier avec une bureaucratie, celle de la CRE. Cette instance dite de régulation est ainsi amenée par sa fonction de surveillance à contrôler une infrastructure complète : EDF et ses filiales, les autres producteurs, les fournisseurs, RTE et ses filiales, ENEDIS et ses filiales, etc. Bien évidemment, cette infrastructure complète se doit de s’équiper de très nombreux collaborateurs chargés des relations avec la bureaucratie officielle de régulation. Et donc ce qu’on appelle régulation du marché est en fait un ensemble de béquilles qu’il faut sans cesse contrôler pour que le marché politiquement inventé fonctionne. Le coût des béquilles n’a jamais été évalué et la Cour des Comptes reste muette sur ce point. Il est vrai que, par ailleurs, elle révèle régulièrement que le marché de l’électricité fonctionne aussi sur une réelle inconnue : la très grande difficulté d’établir les coûts réels des différentes filières de production. Comment en effet calculer le coût de l’éolien qui externalise ses propres coûts sur les unités fossiles ?

  • Un marché soumis à la financiarisation et la spéculation.

Parce que le produit électricité devenu marchandise reste une substance très spécifique (encore une fois, par nature, les électrons circulent et ne se stockent pas) , la bonne liquidité du marché  n’était pensable que par le biais de la construction de bourses (EPEX SPOT). Bien évidemment, parce que les fournisseurs ont préféré les facilités du négoce et ont boudé les contraintes de la production, la tentation était de concevoir des stratégies de « paris sur des fluctuations de prix ». Et tentation d’autant plus justifiable que, par nature encore une fois, l’électricité devenue marchandise est susceptible de connaître une grande volatilité de prix. Dans le même temps, ces mêmes fournisseurs devaient, d’un côté, imaginer - au-delà du cadeau ARENH -  des contrats d’approvisionnement négociés avec des producteurs, et de l’autre des contrats de vente avec des utilisateurs. Cette position était donc naturellement celle de la finance classique et donc invitait à utiliser tous les outils de cette dernière. Alors que sur nombre de marchés classiques, la financiarisation n’est qu’une simple possibilité, le marché de l’électricité que l’on venait de créer se devait de fonctionner en étroite collaboration avec la finance. Et une collaboration d’autant plus aisée techniquement que l’électricité est une substance beaucoup plus homogène que les marchandises classiques,  homogénéité porteuse de la contrainte de liquidité propre à la finance. Cette orientation plus « finance » que production réelle se lit frontalement dans les activités de la CRE. Cette dernière vient ainsi de publier des propositions claires sur les techniques financières à la Commission Européenne. Dans sa « Réponse à la consultation publique sur la réforme du fonctionnement du marché européen de l’énergie » en date du 14 février dernier, on notera que l’essentiel est consacré aux techniques financières. Ainsi, il n’est question que de « forwards » à améliorer, d’obligations prudentielles des fournisseurs qu’il faudrait mieux surveiller pour mieux  contrôler, voire sanctionner la qualité des stratégies de couverture , de « power purchase agreement » (PPA) à renforcer pour gérer les risques prix/volumes/profits, etc. On notera aussi que -peut-être consciente de quelques insuffisances- la même CRE s’est dotée d’un groupe de réflexion académique international dont les acteurs sont tous économistes de la finance de marché. Notons enfin que les propositions de la Commission Européenne sont toutes orientées vers la finance.  Parce que l’électricité devenue marchandise doit impérativement s’appuyer sur la finance, le véritable enjeu pour les autorités de régulation devient la recherche de stabilité. Et comme la finance est par nature faite de risques qu’il faut sans cesse couvrir er reporter sans jamais pouvoir les supprimer, il faut par conséquent inventer de nouvelles béquilles bureaucratiques. Ainsi on pourra s’étonner que - conscient des risques particuliers de marché sur un produit - l’électricité – qui n’était pas spontanément une marchandise - la CRE comme la Commission proposent des « teneurs de marché » pour limiter les dérives. Il faudrait ainsi dans le volcan d’une finance dont on ne peut sa passer lorsque l’électricité devient marchandise tenter d’introduire de la stabilité en introduisant un acteur de stabilisation….dont on voit mal qu’il pourrait être autre chose que le bras armé des Etats. ..

D’une certaine façon, et dans la précipitation, les Etats ont déjà inventé un ersatz de « teneurs de marché » : les boucliers tarifaires évoqués au début de la présente note.

 

 

 

 
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20 mars 2023 1 20 /03 /mars /2023 06:52

Nous publions ci-dessous une intervention d'un Universitaire peu connu, Nicolas Da Silva, qui vient de publier un ouvrage concernant la sécurité sociale et la question des retraites. La vidéo est construite autour des  questions d'Olivier Berruyer et de graphiques très intéressants  produits par "Elucid". On peut passer directement à la seconde minute. J'invite les lecteurs du blog à rapprocher cette vidéo du point de vue d'Alain Supiot, professeur honoraire  au Collège de France qui vient de publier dans "Le Monde" ( 16 mars) un article fondamental : "Un gouvernement avisé doit se garder de mépriser la démocratie sociale".. Le point de vue de Nicolas Da Silva est plus économique, celui d'Alain Supiot est celui d'un juriste de très haut niveau. Bonne écoute et bonne réflexion. 

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17 mars 2023 5 17 /03 /mars /2023 07:52

 

Sans revenir sur la période précédant le COVID, on savait déjà que l’économie mondiale était engluée dans un endettement public et privé considérable. On sait aussi que la période COVID fut globalement un arrêt de l’économie réelle, le maintien des revenus distribués par des Etats ne donnant plus de limites aux déficits, et une aubaine pour les activités liées au numérique. De cette configuration devait résulter un enchaînement logique :

1 - Parce que les banques centrales achètent sans limite les titres de la dette publique et nourrissent le flux des dépenses publiques, l’ensemble des bilans se gonfle, en particulier le passif des banques sur lequel s’agrègent les revenus sans production des agents les plus divers. D’où les débats sur l’importance de l’épargne qui ne correspond à aucune contrepartie réelle en terme de production . Et les banques centrales prennent le plus grand soin de ne pas gêner l’endettement public en organisant le maintien de taux proches de zéro. C’est la stratégie de l’argent facile avec déjà des conséquences sur l’inflation des actifs. Mais aussi un temps béni pour le développement de toutes les activités liées au numérique, activités qui se nourrissent de l’argent facile et des promesses faramineuses de la digitalisation

2 - Dans le même temps les chaînes de la valeur se brisent à l’échelle planétaire. D’abord en raison du COVID qui marque l’arrêt de production d’intrants voir de produits finis, avec ses effets sur une reprise difficile. Il s’agit là du prix de la logique des flux tendus. L’économie réelle est d’autant plus fragile que l’on est habitué à fonctionner sans stocks, une habitude qui s’est accélérée avec la digitalisation.  Ensuite la guerre en Ukraine et ses effets géopolitiques inattendus vont accélérer la fragilité et le manque généralisé d’intrants dans toute l’économie réelle à l’échelle de la planète.

3 - Création monétaire sans limite d’un côté et blocage de l’offre réelle de l’autre facilitent le développement de l’inflation encore une fois à l’échelle planétaire. Les banques centrales, dont la mission affichée était de bloquer les hausses de prix à 2%,  sont obligées de réagir en tentant une limitation de la création monétaire : on relève les taux progressivement, ce qui vient limiter la valeur des anciens actifs figurant au bilan des banques. En effet, si les taux sur les nouvelles obligations sont plus élevés, il vaut mieux - pour les titulaires d’actifs anciens moins rémunérateurs - vendre et acheter de la nouvelle dette. Offre de titres anciens forte et demande inexistante, cela signifie une perte de la valeur du stock d’actifs dont le poids avait considérablement monté avec la politique d’argent facile. Il en résulte un déséquilibre du bilan des banques : les actifs se dévalorisent et le passif est gonflé par les comptes courants de tous les acteurs bénéficiaires de la dépense publique illimitée. En clair, les engagements (ce qui est sur un compte bancaire est une dette de la banque envers son client) deviennent plus importants que l’actif. De quoi se méfier, et pour les actionnaires des dites banques, et pour les clients…. D’où une baisse des cours et une possible panique des clients soucieux de mobiliser des avoirs qui risquent de s’évaporer.

4 - La baisse frappe les banques mais logiquement tous les actifs financiers directement ou indirectement rattachés. En particulier, les fonds indiciels (Exchange-traded funds) chargés de répliquer la performance du secteur bancaire voient leurs cours s’effondrer, ce qui entraine l’effondrement des titres reflétant plus largement les cours boursiers. D’où un risque d’évaporation d’une quantité considérable de capitaux à l’échelle mondiale.

5 - Les banques centrales sont d’abord soucieuses du maintien de l’ordre existant et donc, se prévalant de la gestions des crises financières antérieures, sont prêtes à payer le prix fort pour empêcher le développement de la crise. On apprend ainsi que les clients de Silicon Valley Bank, se trouvent complètement protégés par la garantie de la FED, laquelle va prêter de l’argent avec en garantie des titres financiers dont la valeur retenue est celle inscrite et non la valeur de marché. Un dispositif semblable risque de se mettre en place partout où le feu couve….

6 - Ce maintien de l’ordre existant est bien évidemment précaire puisqu’il correspond non pas à une nouvelle lutte contre une inflation qui ne faiblit pas mais à une possible accélération : le maintien de l’ordre existant passe par de nouvelles créations monétaires et au moins un arrêt de la hausse des taux. Cette création est aussi encouragée par la guerre qui suppose le passage de nombre d’Etats à une économie de guerre, laquelle se nourrit comme toujours de nouvelles dépenses publiques.

7- Les banques centrales sont ainsi en grande difficulté. Jusqu’ici le maintien de l’ordre existant était une inflation faible et des taux permettant le gavage de la finance ( des cours élevés sur les obligations) et les prodigieuses promesses de toutes les « Silicon Valley » du monde. Le modèle des banques centrales que l’on dit indépendantes est-il en péril ? Ne vont –elles pas, par la force des choses, amorcer un retour vers le modèle d’avant la financiarisation ? Ce qui supposerait  une révolution politique majeure. Affaire à suivre.

 

 

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14 mars 2023 2 14 /03 /mars /2023 14:40

Nous publions aujourd'hui un point de vue sur la crise financière américaine. Nous ne savons pas quelle suite sera donnée à la faillite des 3 banques US. Rappelons simplement qu'un "bank-run" est une panique de déposants qui tentent de sauver leurs fonds logés dans des banques dont on pense qu'elles sont en état de faillite. Si un tel contexte se présente c'est parce qu'il y a  croyance collective selon laquelle les actifs de la banque ne permettent plus d'honorer les engagements. Parmi ces engagements il y a bien sûr les dépôts des clients, clients qui ont peur de voir ces derniers disparaitre. 

Dans ce genre de situation il y a d'abord baisse de la valeur des actifs, baisse qui peut être contenue par le capital et les réserves des banques. Ce premier temps s'accompagne d'une baisse de la valeur boursière des banques: les actionnaires vendent leurs titres de propriété car ils craignent la baisse de valeur.

Cette baisse de la valeur, lorsqu'elle devient importante entraine la panique chez les déposants qui pensent que les banques deviennent insolvables. D'où le "bnak-run".

La véritable question est donc celle de l'origine de la perte de valeur des actifs des banques. L'explication que l'on croit pouvoir donner est celle de la politique monétaire des banques centrales. Ces dernières ont pratiqué des taux nuls ou proches de zéro pendant une très longue période. Cela signifiait une valeur élevée du cours des obligations notamment les obligations publiques correspondant à la dette d'Etat. Dans cette situation si la dette publique nouvelle était assortie d'un taux proche de zéro, c'est parce que les dettes plus anciennes elles-mêmes assorties d'un taux plus élevée, étaient  bien cotées. D'une certaine façon c'était la politique des taux proches de zéro qui tenait bien la valeur des obligations et des actifs en général. Si maintenant les banques centrales, afin de lutter contre l'inflation augmentent les taux , il en résulte nécessairement une baisse de la valeur de toutes les obligations naguère portées par des taux faibles. Ce sont donc bien les banques centrales, qui voulant lutter contre l'inflation, affaissent les actifs des bilans bancaires et les mettent en face d'un risque de "bank-run". 

Nous sommes au coeur d'une contradiction fondamentale: les banques centrales sont responsables de l'inflation en raison d'une politique d'argent facile (on crée massivement de la monnaie dans un monde de croissance faible), inflation que l'on cherchera ensuite à combattre par une hausse des taux destructeurs des banques. Nous ne connaissons pas la suite des évènements présents, mais sous sommes assurés que les banques centrales en leur qualité de "proto-Etats, " (cf les articles consacrés à ce sujet sur le blog) ne laisseront pas une crise majeure se développer. Entre inflation et destruction du système financier les banques centrales choisiront l'inflation.

Le point de vue soutenu par la vidéo qui suit est sans doute un peu différent. Bonne écoute et bonne réflexion.

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9 mars 2023 4 09 /03 /mars /2023 08:38

Nous publions ce matin une vision originale de la guerre en Ukraine: celle d'Emmanuel Todd. Nous parlons de plus en plus d'économie de guerre sans se rendre compte que cette dernière suppose une base industrielle solide. Les interventions militaires récentes se nourrissaient sans doute de haute technologie mais consommaient assez peu de moyens matériels en raison du caractère très limité des interventions. Tel n'est plus le cas avec la guerre de haute intensité qui dure depuis plus d'une année dans l'Est de l'Europe.. 

Tandis que l'économie mondialisée fabriquait d'un côté l'effacement des Etats en particulier ceux de l'Europe, elle alimentait d'un autre côté la puissance d'anciennes structures. Un ancien empire se reconstruisait à partir de rentes sur matières premières consommées par la mondialisation (Russie) tandis qu'un autres se construisait à partir de la production industrielle délaissée par l'Occident (Chine). Les moyens globaux de la production matérielle, bien sûr industrielle mais aussi agricole, se sont ainsi déplacés vers les empires Russe et Chinois. Il n'est donc pas impossible qu'en cas de longue durée la guerre en ukraine se termine par la grande défaite de l'Occident. 

Ce scénario est bien sûr contrarié par la situation démographique des empires en reformation. Parce que la guerre de haute intensité consomme d'énormes moyens humains, les empires se trouvent ici assez mal placés ( population vieille et en déclin pour environ un million de personnes par année pour chacun des 2 empire).

Enfin ce scénario est plus discutable encore si l'on introduit d'autres paramètres: intérêt supérieur de la Chine qui doit choisir entre des débouchés vers l'occident et la livraison d'armes à la Russie, vitesse de recomposition du complexe militaro industriel américain, niveau d'écarts entre performances technologiques des armes, qualité organisationnelles, qualité des commandements, etc. 

Bonne écoute et bonne réflexion.

 

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6 mars 2023 1 06 /03 /mars /2023 06:54

 

Sur le terrain de l’électricité la  bataille européenne continue et les divers acteurs - Etats, régulateurs, entreprises, voire économistes- après avoir présenté des projets de réformes spécifiques attendent ce mois de mars avec la publication du projet de la Commission Européenne. Pendant ce temps, les industriels, gros consommateurs qui ont dû renégocier leurs contrats  depuis le printemps 2021, continuent de souffrir, d’où des stratégies de mise au repos de l’outil de production, ce qu’on appelle parfois la mise en « position latérale de sécurité », tandis que d’autres entreprises sont parfois amenées à disparaitre (boulangers). Et dans le même temps, les consommateurs de bon sens, continuent de s’étonner du décalage entre un prix de marché piloté par le cours d’un gaz fort peu utilisé en France et une réalité économique fondamentale faite d’un accès massif à un nucléaire peu couteux. Toujours dans le même temps des boucliers tarifaires devenus simples bouées de flottaison  fonctionnent à grands coups de déficit public.

La présente note se propose de montrer que pour la France c’est bien le contexte institutionnel du marché qui a généré et amplifié la déroute. A ce titre nous verrons qu’il convient de supprimer de façon radicale le dit marché si l’on veut aborder de façon plus sécurisée les tempêtes futures d’un mondialisation qui a cessé d’être heureuse. Pour cela nous allons comparer des modèles d’infrastructures électriques différends quant à  leur résilience au regard d’une tempête géopolitique.

Tempête géopolitique sur  infrastructure électrique « bunkerisée ».

Soit un système monobloc, par exemple public, fait d’un ensemble fonctionnant en continu ( par exemple du nucléaire) pour un montant de 90TWH, et d’un autre ensemble plus adapté aux fluctuations des appels ( par exemple du gaz importé) pour un montant de 10TWH . Si les couts complets sont ( pour simplifier) identiques et si l’expression monétaire de ces couts est de 10 unités le TWH, la valeur produite est de 90X10 +10X10 = 1000.

Cette valeur produite dans un modèle monobloc n’apparait pas sous la forme d’un prix de marché qui n’existe pas. Il y a simplement infrastructure publique monopolistique avec des couts estimés et des tarifs administrés à des usagers qui n’achètent pas une marchandise mais paient une redevance appelée « tarif de l’électricité ». Dans ce cadre une politique tarifaire peut orienter les usages qualitatifs et quantitatifs pour optimiser la taille de l’infrastructure « centrales à gaz » et ainsi limiter le risque de rendements décroissants.

Si maintenant une tempête sur le gaz fait doubler le cout de l’électricité sur centrales à gaz, la valeur produite et disponible devient 90X10 + 10 X20 = 1100. La différence (100 unités monétaires) est ici un « prix » qui correspond à un prélèvement international sur l’économie française. Globalement la nouvelle valeur dont une partie n’est qu’une rente internationale doit être payée par les utilisateurs. Notre infrastructure monobloc va pouvoir imposer de nouveaux tarifs propres à récupérer 1100 de valeur, nouveaux tarifs devant répartir la rente internationale sur les utilisateurs,  l’Etat propriétaire, voire l’infrastructure elle -même. Si donc il y a (dans notre exemple) doublement du prix de marché du gaz, il n’y a aucune raison de voir un doublement des tarifs : le cout marginal nouveau (100) n’est pas auteur de prix doublés et donc le bon  sens des consommateurs qui protestent aujourd’hui n’est pas infondé. Les boulangers, les syndics d’immeubles collectifs, etc. ont raison de dire que les nouveaux tarifs proposés sont irrecevables.

De fait si chacun connait de gros ennuis avec ce que l’on croit être une crise de l’énergie, c’est en raison d’un modèle d’infrastructure qui fut radicalement transformé par d’invraisemblables  décisions politiques.

Tempête géopolitique sur infrastructure malade d’attrition et de fragmentation.

L’attrition est celle d’EDF dont l’offre est devenue très insuffisante dans un contexte de demande à perspective fortement croissante. Il y a eu attrition interne sous l’effet d’un abandon relatif du nucléaire et aussi d’une capacité de production abandonnée à des acteurs nouveaux politiquement introduits par la loi (ARENH). Il y a aussi d’une certaine façon attrition externe par le biais du développement d’une idéologie de l’ économie sans production et surtout sans usines…de quoi croire pendant 20 ans que l’électricité serait excédentaire par rapport aux besoins….

Plus grave il y a eu fragmentation politiquement organisée. Désormais, tout acteur y compris non industriel et surtout non électricien peut devenir acteur de l’infrastructure en ayant recours à un système d’achats et de ventes d’électricité dont bien sûr les volumes ARENH généreusement distribués par EDF. Pour se faire on imagine une organisation des échanges par le biais de bourses européennes sur lesquelles ne se forment plus un tarif mais des prix de marché. Des marchés de gros vont permettre l’émergence de contrats à terme sur de grandes quantités, et des marchés de détail vont réguler un quotidien qui désormais sera divisible en minutes. Les tarifs de naguère parce que fixes évacuaient jusqu’à l’idée même de contrat. Dans un modèle bunkérisé le temps était naturellement très long. Les prix d’aujourd’hui parce que libres supposent une solide armature juridique pour sécuriser les nouveaux acteurs. Ainsi le boulanger voudra -t-il être sécurisé par un contrat de moyen terme, ce qui supposera que le fournisseur d’électricité soit sécurisé dans sa politique d’achat de gros. Le temps est devenu très court et il faudra sécuriser alors même que les prix peuvent varier à chaque minute….Il faudra par conséquent nécessairement tout financiariser : les contrats doivent être couverts par tous les outils classiques de la finance. Si tel fournisseur est engagé sur des prix faibles alors que le cours flambe sur le marché de gros, il faudra se couvrir par des contrats baissiers type SWAPS de prix….Etc.

Le nouveau modèle, compte tenu de la chute de la capacité de production et de l’ARENH peut, par exemple, s’écrire de la façon suivante :

50X10 + 20X10 + 10X10 = 800.  EDF a perdu ici, dans notre exemple, 40TWH par ses abandons et restrictions de capacité, et 20TWH au titre de l’ARENH. Si l’on retient une demande d’électricité de 1000 pour reprendre le modèle précédent, nous aboutissons à un déficit de 200 qui sera mal couvert par les fournisseurs nouveaux qui très majoritairement ne sont que des start-up de la finance flirtant au mieux avec des éoliennes économiquement protégées par des subventions, et par l’importation.

Le nouveau système victime d’attrition et de fragmentation est aussi très fragilisé car il ne développe pas l’offre. Curieusement si le modèle ancien était d’abord peuplé d’industriels, le modèle nouveau se trouve largement peuplé de gestionnaires et de financiers, en particulier un nombre considérable de traders. Et même EDF finira par connaitre une attrition d’ingénieurs pour embaucher jusqu’à près de 800 financiers dans son « EDF Trading ».  Toute tempête géopolitique- qui n’était dans notre exemple qu’un prélèvement de rente internationale pour un montant de 100 unités monétaires- devient un tsunami. Alors que le modèle bunker « contient » le prélèvement de la rente internationale, le nouveau système, véritable château de cartes  mis en place sur décision politique, ruine les acteurs. Alors que le modèle bunker permettait l’internalisation du prélèvement international, le nouveau modèle ouvre la porte à une externalisation généralisée désormais mal contenue par un EDF affaibli. Les start-ups mal couvertes par des aléas imprévisibles externalisent sur leurs clients au prix fort, celui du prix du gaz, auteur de la tempête. Les clients victimes tentent de renégocier et se retournent vers un EDF affaibli qui lui-même deviendra victime du cours du gaz et achètera de l’électricité au prix fort…. Jusqu’ici cédée à ses concurrents (ARENH)…. Des start-up disparaissent et laissent des ardoises financières par essence contagieuses….Tous les acteurs qui avaient quitté EDF et ses tarifs pour croire au miracle des contrats négociés se trouvent dans la position de victimes du prix du gaz. Et nous retrouvons la crique de bon sens : il n’est pas acceptable d’être victimes de prix aussi élevés alors qu’en France le cout moyen de l’électricité reste faible. Pour comprendre la réalité il fallait d’abord comprendre que nous avons abandonné un modèle donnant toutes satisfactions au profit d’ un autre économiquement et politiquement aberrant.

La clé n’est pas sous le lampadaire

Pour autant le combat continue et la plupart des notes des différents décideurs qui vont se retrouver dans quelques jours dans les bureaux de la Commission bruxelloise, n’imaginent à aucun instant que le retour de la raison soit possible. Tel est évidemment le cas de la position du gouvernement français et de la  CRE dont les quelque 200 fonctionnaires restent attachés à la liberté du marché. Il n’y a donc pas à s’émouvoir des propos d’un Benoit Coeuré (président de l’Autorité de la Concurrence) qui dans les Echos du 4 mars dernier continue d’affirmer que la concurrence est bonne et qu’elle favorise l’émergence d’acteurs innovants. Sans doute ne pensait-il pas dans son intervention au marché de l’électricité qui a tant fait pour dissoudre le tissu industriel français. Alors que le modèle « bunker » consolidait en permanence un tissu industriel d’exceptionnelle qualité, le nouveau modèle apportera la désolation industrielle. Qui en a pris conscience ?

 

 

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20 février 2023 1 20 /02 /février /2023 18:27

Nous reprenons ici une récente vidéo (Thinkerview)  présentant le point de vue d'Hevé Machenaud ancien directeur exécutif du groupe EDF. Sa réflexion concernant l'ARENH et les fournisseurs d'électricité est exposée entre 1h16 et 1h31. Hervé Machenaud s'interroge bien sûr à cette volonté de créer un marché européen de l'électricité et y voit une forte pression de l'Allemagne bien décidée à tuer le nucléaire français.. Nous voudrions ci-dessous apporter quelques compléments de réflexion sur le scandale de l'ARENH qu'il dénonce..

Ce dispositif censé être la porte d'entrée  d'un marché qu'il fallait créer est précisément l'outil d'une violence juridique, symbolique et économique. 

Concrètement l'ARENH est une obligation légale de céder 25% de l'électricité nucléaire d'EDF à tout fournisseur ayant décidé de s'investir sur le nouveau marché et apportant la preuve d'un portefeuille de clients acheteurs d'électricité. Les fournisseurs -jusqu'à près d'une centaine avant la crise et beaucoup moins aujourd'hui- se répartissaient le volume d'ARENH proportionnellement au portefeuille. Bien évidemment il ne s'agit pas officiellement d'une subvention puisqu'il existe un prix fixé par l'administration. De nombreux débats se sont déroulés y compris au niveau de la Cour des Comptes pour s'interroger sur le prix.  S'agit-il d'un cout complet, y compris le cout du démantèlement des centrales, ou d'un prix ne permettant pas à EFD de couvrir ses couts? Sans entrer dans le débat, il suffisait de voir au niveau du régulateur, c'est à dire la CRE, pour constater que la demande dépassait largement le quota ARENH, preuve que le prix était et reste extraordinairement intéressant. Il s'agit donc d'un détournement de valeur  d'une richesse produite par EDF, laquelle est pourtant une entreprise que l'on veut classique en la plongeant dans le bain de la concurrence. Il s'agit donc d'un détournement, d'un délit, couvert par l'administration et que les surveillants de l'Etat de droit ( Conseil d'Etat et Conseil Constitutionnel) n'ont pas voulu repérer.... ce qui ne peut que décrédibiliser les institutions. Ce détournement est devenu scandale lorsqu'avec la crise, EDF s'est vu imposé un montant accru d'ARENH, détournement nouveau entrainant une pénurie pour l'entreprise et obligeant cette dernière à acheter à des prix ahurissants de quoi satisfaire sa propre clientèle.

Symboliquement l'ARENH est insupportable pour les équipes de l'entreprise y compris ses dirigeants puisque l'on détourne de la valeur pour l'offrir à des concurrents nouveaux qui n'ont sauf de très rares cas '(Total Energies ou Engie) aucune compétence spécifique en matière industrielle. La seule compétence des équipes de ces concurrents n'est que de révéler  une habileté commerciale et spéculative puisque désormais le bien électricité n'est plus qu'un actif marchand sur lequel peut se construire une multitude d'actifs financiers d'un montant très supérieur à l'actif réel.... On s'éloigne de la question de l'énergie pour entrainer dans la finance spéculative les jeunes générations dont le talent pourrait se déployer sur les réalités économiques. L'ARENH c'est aussi le rétrécissement des emplois productifs et la promotion des activités inutiles voire nuisibles. C'est sans doute la critique la plus grave.

La réalité est d'autant plus scandaleuse dans sa violence que l'on cherche à promouvoir les lois du marché sans en connaitre les règles profondes. Rappelons en effet qu'un marché quelconque suppose la liberté de contracter pour tous les participants et le strict respect des droits de propriété sur les biens échangés. Sur les marchés classiques dans un Etat qui se dit de droit, les acteurs ne font l'objet d'aucune violence entrainant la limitations des droits de propriété. Le marché de l'électricité ne respecte pas ces axiomes de base: nul respect des acteurs et nul respect de la propriété de ce qui est échangé. 

Je laisse la place à Hervé Machenaud. Bonne écoute.

 

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