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28 octobre 2022 5 28 /10 /octobre /2022 06:00

L’Europe se divise autour de la question de la crise énergétique. Aucun pays n’ose aborder la question centrale du marché de l’électricité dont le prix se fixe sur un coût marginal construit autour du gaz. La France est de ce point de vue le pays qui aurait le plus besoin de l’abolition du marché et le retour au système antérieur pratiqué par EDF. Parce que personne n’aborde cette question tabou - alors que le prix de marché est devenu meurtrier pour tous les usagers- les rencontres européennes sont devenues lieu de propositions entre tricheurs : on ne peut plus supporter le signal prix de marché, mais  parce qu’ on ne peut en parler , alors on multiplie les propositions pour cacher le problème. Ainsi on tente d’inventer d’autres « signaux-prix » en contournant le marché sans le renier. Tel est le cas de la position allemande qui tout en sacralisant le marché se propose néanmoins de le contourner par des aides publiques massives qui elles -mêmes présentent le gros défaut de délaisser les règles du marché unique. Tel est aussi le cas de la position française qui veut bloquer le prix de marché par l’idée de plafond. Tel est aussi le cas de la position de la Commission qui évoque un cartel européen (une plateforme selon le langage moderne) des achats pour améliorer artificiellement une position de marché. Tel est enfin le cas de la même Commission qui se propose de limiter la volatilité des prix en contournant les règles de la finance de marché. Les notes techniques des différents acteurs et de leurs personnels – (pensons à ces veilleurs de la concurrence que sont les personnels du CRE en France)- sont de plus en plus complexes et difficiles à comprendre. Elles matérialisent aussi (tout en les cachant) les oppositions frontales des intérêts entre les différents pays. C’est la raison pour laquelle nous proposons ce matin de reprendre les propos très abordables d’une syndicaliste très compétente et très claire sur le sujet pour approcher cette question centrale. Nous nous permettons ainsi de reproduire l’interview d’Anne Debrégéas réalisé par « Basta ! ». Les propos tenus par l’intéressée ne sont pas exempts d’oublis et de critiques et nous y reviendrons dans un prochain article.

Bonne lecture.

INTERVIEW d'ANNE DEBREGEAS

Avec la guerre en Ukraine et les tensions autour des approvisionnements en gaz, le grand public a découvert, fort étonné, que le prix de l’électricité dépendait des cours mondiaux du gaz. Comment est-ce possible ? A fortiori en France où l’essentiel de la production électrique est d’origine nucléaire ?

Anne Debrégéas : Pour comprendre, il faut revenir sur la manière dont est fixé le prix de l’électricité. Pour produire de l’électricité, on a des coûts fixes - frais de construction des centrales, frais de raccordement et d’entretien qui doivent être assumés, que la centrale produise ou pas – et des coûts variables, qui s’y ajoutent. C’est essentiellement le coût des combustibles, mais également d’autres coûts comme le « coût du CO2 » (qui pénalise les types d’énergies les plus fortement émettrices de gaz à effet

Pour fournir l’électricité correspondant à la consommation, les producteurs « appellent » en premier lieu les centrales qui leur coûtent le moins cher en termes de « coût variable », en l’occurrence les énergies renouvelables. Viennent ensuite le nucléaire, puis les centrales à base de combustible fossile, dans un ordre qui dépend des cours des différents combustibles, actuellement le charbon puis le gaz, et si nécessaire, le fioul. Et pour chaque filière, les centrales les plus efficaces sont appelées en premier : ainsi les centrales à cycle combiné gaz (CCG) sont appelées avant les turbines à gaz dont le rendement est moins bon.

Or, le prix du marché est fixé en fonction du coût variable de la centrale la plus chère disponible au niveau européen pour produire une unité (un MWh) supplémentaire, c’est-à-dire le plus souvent une centrale à gaz, même si elle n’entre que pour une faible part dans la production totale d’électricité. C’est ce qu’on appelle le coût marginal, soit le coût d’une production supplémentaire d’un MWh. C’est pourquoi le prix de l’électricité est extrêmement dépendant du cours du gaz, qui a beaucoup augmenté ces derniers mois.

Quelles sont les raisons de cette augmentation des cours du gaz ?

Cela s’est fait en plusieurs phases. Il y a eu une augmentation de la demande après le Covid, au printemps 2021, notamment en Asie ; et des problèmes techniques du côté des moyens de production, également liés au Covid, notamment en Norvège. Ensuite, les acteurs gaziers n’ont pas suffisamment rempli les stocks de gaz avant l’hiver, dans une gestion spéculative de court terme, et pour le gazier russe Gazprom en prévision des tensions géostratégiques à venir. Il y a aussi eu les problèmes et conflits autour du gazoduc Nord Stream 2, qui relie la Russie à l’Allemagne en passant sous la mer Baltique. Et enfin, la guerre en Ukraine, qui a tout fait flamber à partir de février 2022. L’Europe a dû mettre en service aussi vite que possible des terminaux méthaniers permettant de faire venir du gaz liquéfié par bateau, en provenance par exemple du Qatar ou des États-Unis (gaz de schiste). On arrive à des prix de marché qui ont dépassé 1000 euros le MWh cet été et qui sont aujourd’hui aux alentours de 500 ou 600 euros le MWh, soit une multiplication par 10 à 20 par rapport aux prix d’avant la crise !

Ces prix n’ont rien à voir avec les coûts de production de l’électricité en Europe, et encore moins en France même si ceux-ci ont augmenté ces derniers mois…

Effectivement. En France, en 2021, le coût de production du MWh a augmenté d’environ 4 %, pour atteindre environ 60 euros/MWh. En 2022, l’augmentation du coût de production a été bien supérieure. D’une part parce que le parc nucléaire ne produit pas du tout ce qu’il devrait produire – beaucoup de centrales sont à l’arrêt – et d’autre part parce que la production hydroélectrique est également en forte baisse cette année, du fait de la sécheresse. Nos centrales à gaz, bien que pénalisées par un coût du gaz très élevé, ont tourné davantage et la France a également dû importer davantage d’électricité au prix du marché, qui a explosé. En conséquence, le coût de production de l’électricité consommée en France en 2022 aura probablement plus ou moins doublé, mais nous ne disposons pas encore de toutes les données. On reste cependant loin du prix de vente, à 500 ou 600 euros le MWh !

« Ces fortes variations de prix menacent le budget des ménages et des communes, la survie des entreprises et la capacité des consommateurs à investir dans l'isolation »

Selon la théorie ultralibérale de l’Union européenne (UE), ces prix de marché, très volatils, devraient être parfaitement reportés dans les factures des usagers. La Commission européenne a ainsi imposé à tous les fournisseurs de proposer à ses clients une offre en tarification dynamique, qui reflète le plus possible, jour par jour, voire heure par heure, les prix de marché. C’est ce type d’offres qui a conduit des familles texanes à se retrouver avec des factures à plusieurs milliers de dollars, à la suite d’un épisode de grand froid dramatique durant l’hiver 2020-2021. C’est également ce qui a conduit les consommateurs espagnols à voir leurs factures augmenter très vite, dès l’été 2021, à la suite de l’envolée du prix du gaz. Très bonne élève de l’UE, l’Espagne avait appliqué des tarifications reflétant très bien les prix de marché. « L’exception ibérique », qui a conduit l’Espagne et le Portugal à obtenir une dérogation au marché, ne provenait pas du tout de leur situation moins bien interconnectée au réseau européen ni à la part de renouvelables dans leur parc de production, comme cela a été dit, mais bien de choix politiques.

Ces fortes variations de prix menacent le budget des ménages et des communes, la survie des entreprises et la capacité de tous les consommateurs à investir en faveur de la réduction de la consommation et de la décarbonation, notamment par l’isolation des bâtiments ou l’électrification de procédés industriels et des usages résidentiels.

Face à ces variations, il existe le tarif « réglementé », c’est-à-dire en partie encadré par l’État. Comment protège-t-il les particuliers ?

Avant l’ouverture des marchés au début des années 2000, il n’y avait qu’une seule grille tarifaire pour tout le monde, basée sur le coût de production de l’électricité en France. Cette grille se déclinait en différents tarifs selon les niveaux de consommation, la répartition de la consommation dans la journée (notamment la part de consommation aux heures de forte tension, dites « heures pleines ») et la capacité de baisser la consommation certains jours (option Tempo). Depuis 2015, seuls les particuliers, les toutes petites entreprises et les toutes petites collectivités peuvent encore en bénéficier. Donc les autres sont exposés de plein fouet au marché.

Certaines communes ont vu leurs factures multipliées par quatre, voire dix et certaines entreprises, également. Par ailleurs, le tarif réglementé qui subsiste pour les particuliers, les toutes petites entreprises et les communes a été dénaturé. Son mode de calcul a été modifié dans le but de favoriser la concurrence. Même le tarif réglementé se trouve ainsi partiellement indexé sur les prix de marché ! Dénaturé, inaccessible pour une catégorie de consommateurs, il protège donc de manière insuffisante. De plus, il est appelé à disparaître à terme, tout comme le tarif réglementé du gaz qui s’éteindra en juillet prochain, malgré la crise.

Vous dites que la concurrence, indispensable selon l’UE et le gouvernement français est « impossible » dans le secteur électrique. Pourquoi ?

Qu’est-ce qu’un système électrique ? Un réseau et des centrales de production. Tout le monde s’accorde pour dire qu’il n’y a pas de concurrence possible sur les réseaux. Que c’est un monopole naturel, avec essentiellement des coûts fixes. Une fois que les lignes sont construites, qu’elles servent ou pas, cela ne change rien en termes de coût. Personne ne pense pour le moment que ce serait malin de construire plus de lignes qu’il n’en faut pour ensuite les mettre en concurrence.

Même chose pour les centrales de production. Ce qui coûte, c’est essentiellement d’investir dans des centrales qui vont durer plusieurs décennies. Donc, c’est une vue de l’esprit que d’imaginer qu’on va construire plus de centrales qu’il n’en faut pour ensuite les mettre en concurrence. Ce serait un délire économique et écologique. Seul l’État est à même de planifier les investissements nécessaires pour que, même en pic de demande, on ait suffisamment de production pour satisfaire tout le monde.

Il faut en plus une parfaite correspondance entre la production et la consommation alors même que ladite consommation est difficile à prévoir, car elle dépend beaucoup de la météo, de même que la production. Ajoutons que l’on a peu de moyens pour stocker. L’équilibre parfait entre consommation et production, indispensable pour ne pas aller au black-out, est donc très compliqué à maintenir et exige d’utiliser la complémentarité de chaque centrale (certaines sont plus adaptées pour fonctionner de manière régulière toute l’année, d’autres sont plus flexibles, mais plus chères, etc.). On imagine difficilement une entreprise privée gérer cette complexité.

On entend bien sûr des gens nous dire que l’on peut introduire de la concurrence dans la production d’électricité, mais il s’agit en fait de délégation de service public. C’est toujours l’État qui planifie combien on doit construire de centrales nucléaires, ou de centrales renouvelables. Ensuite, il fait un appel d’offres et là, on a des entreprises privées qui se font concurrence. Mais c’est en amont du système de production. Une fois qu’elles ont gagné l’appel d’offres, elles ont un prix d’achat de l’électricité garanti sur la durée de vie de la centrale.

« Le fournisseur ne peut pas choisir son électricité, c’est la même pour tout le monde. Il met juste son logo sur la facture »

Ce développement du parc de production par planification et rémunération par des mécanismes hors marché basés sur des rémunérations garanties par l’État a toujours existé en France, à l’exception près du développement des cycles combinés gaz (CCG) pendant une courte période, peu avant 2008 : les investissements ont été guidés par le marché, avec une rémunération basée sur les prix de marché. Mais l’effondrement qui a suivi de ces prix de marché a provoqué des difficultés financières et des mises sous cocon, obligeant l’État à intervenir et mettant fin à cette seule expérience d’investissement piloté par le marché.

Hormis cette exception, le parc historique (principalement nucléaire et hydraulique) a été développé par le monopole public sur décision et financement publics. Il est d’ailleurs regrettable que ce parc largement amorti vende aujourd’hui une partie de son électricité sur les marchés, engendrant des sur-rémunérations très importantes dont une partie revient aux actionnaires des entreprises productrices au détriment des consommateurs.

Devant l’impossibilité d’introduire la concurrence dans la production d’électricité et les réseaux de distribution, ses partisans l’ont fait dans la commercialisation de l’électricité qui ne représente qu’une toute petite partie du coût final et qui est factice, dites-vous. Pourquoi ?

Pourquoi factice ? Parce qu’il n’y a pas vraiment d’activité de vente de l’électricité. Dans l’alimentaire, on peut avoir des entreprises qui sont des détaillants, qui vont aller chercher la nourriture, la transporter, la « packager », etc. En électricité, cela ne marche pas du tout comme ça. Le fournisseur, il ne peut pas choisir son électricité, c’est la même pour tout le monde. Il ne peut même pas dire : telle centrale va alimenter tel client. Il ne la transporte pas non plus, ne la distribue pas, il ne la stocke pas. Il ne compte même pas combien son client a consommé, c’est Enedis (le gestionnaire du réseau de distribution) qui le fait. Donc, finalement, le fournisseur ne fait rien du tout. Il met juste son logo sur la facture.

Aujourd’hui, la seule différence entre les fournisseurs, c’est le prix, car plus personne ne croit à la promesse des « offres vertes ». La décision d’avoir plus ou moins d’énergies renouvelables, cela se fait au moment où on investit dans le parc, pas une fois que le parc est construit. Et ce ne sont pas des tarifs différenciés d’achat de l’électricité qui vont permettre d’investir significativement dans des moyens de production : ce sont des décisions politiques, au travers de la planification et des mécanismes de tarif d’achat garanti. Ces décisions devraient être davantage contrôlées par les citoyens, par exemple par un vote sur le scénario énergétique mis en œuvre (définissant la part des différentes énergies), mais cela ne peut pas se faire par le marché.

Pour quelles raisons le gouvernement, et l’Europe, sont-ils si attachés alors à ce système de faux-semblant qui n’a pas l’air de fonctionner ?

C’est du pur dogmatisme. Ils ne veulent pas sortir du marché. Ni admettre que la concurrence n’est pas possible en électricité, et qu’elle ne sert à rien, et surtout pas à faire baisser les prix. Pourtant, ils reconnaissent aujourd’hui que ce système est absurde. Notre ministre de l’Économie Bruno Le Maire a, semble-t-il, découvert il y a un an qu’il était aberrant que le prix du gaz détermine le prix de l’électricité . Emmanuel Macron a dit la même chose en juin dernier, lors du G7 qui s’est tenu en Bavière. Plusieurs pays qui disaient que le marché fonctionnait très bien, comme l’Allemagne ou l’Autriche, commencent à reconnaître qu’il y a de très gros problèmes. Même Ursula Von der Leyen, la présidente de la commission a dit que cela ne fonctionnait plus – comme si cela avait déjà fonctionné ! – et qu’il fallait donc une réforme en profondeur.

« Les consommateurs, les grandes entreprises, et même le Medef, demandent un coût fixe et stable, et de la visibilité »

De plus en plus de gens disent que le prix de marché ne peut pas servir à rémunérer les moyens de production, car ils sont trop volatils. Mais rien ne bouge, car ils ne veulent pas sortir du marché. Ils essaient donc de faire des bidouilles pour garder ce prix de marché complètement aberrant en plafonnant par exemple la partie du gaz qui sert à produire de l’électricité. Des mécanismes complexes, difficiles à appliquer, auxquels personne ne comprend rien et qui ne vont pas résoudre durablement le problème. Au mieux, ce sera « moins pire » qu’actuellement, mais on ne peut pas s’en contenter !

Que faudrait-il faire, alors, pour calculer le prix de l’électricité ?

Tout ce que demandent les consommateurs, y compris les grandes entreprises et même le Medef, c’est un coût fixe et stable, et de la visibilité. Il faut donc revenir à une grille tarifaire basée sur les coûts de production. C’est la seule manière de garantir les investissements que l’on fait et d’assurer une équité de traitement des consommateurs. Avec les marchés, chacun se débrouille seul avec ses fournisseurs, certains payent plus cher que d’autres. C’est invraisemblable pour un bien commun.

La mise en place d’une grille tarifaire n’empêche pas d’avoir des objectifs écologiques et sociaux. On peut décider que l’on va pénaliser les fortes consommations et donner de la gratuité pour les premiers usages par exemple.

Est-ce possible d’adopter cette stratégie rapidement ?

Bien sûr. L’idéal ce serait de dire : on sort du marché à la maille européenne et on met en place un opérateur public qui exploite le système européen comme faisait EDF à la maille française. Mais il faut convaincre tous les pays. En attendant, la France peut d’ores et déjà décider d’avoir un seul acteur public avec des tarifs basés sur les coûts de production. Cet acteur public peut très bien s’intégrer dans le marché européen : les bourses européennes verront l’acteur public comme elles voient aujourd’hui plein d’acteurs privés ou partiellement publics et on continuera à payer nos interconnexions au prix du marché si on n’arrive pas à faire mieux. Cela ne remet pas du tout en cause le fonctionnement des autres. C’est possible techniquement, relativement simple à mettre en place, et l’efficacité est garantie.

N’est-ce pas contraire aux textes européens ?

Si. Car ces textes disent qu’il doit y avoir la concurrence au niveau des fournisseurs, et que les prix de marché sont obligatoires. Les directives relatives à la libéralisation du secteur de l’électricité et du gaz sont clairement antinomiques avec le principe d’un monopole public dans le secteur électrique. Mais en ce moment, il y a sans arrêt des dérogations parce que tout le monde voit bien que ça ne marche pas. Donc, c’est peut-être le bon moment pour dire : les textes, ça ne marche pas donc nous on fait autrement. Cela n’engage à rien pour les autres, cela ne change en rien nos modes d’échanges avec les autres, cela ne va pas changer la solidarité européenne, mais chez nous, cela va protéger les consommateurs de prix complètement aberrants et favoriser l’investissement dans la transition énergétique. Qu’est-ce qui va se passer si on fait ça ? Pas grand-chose, me semble-t-il…

Notre ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, mais elle n’est pas la seule, dit que cette sortie du marché européen est impossible, car cela reviendrait à se passer de la solidarité européenne, c’est-à-dire des importations d’électricité dont nous avons besoin. Qu’en pensez-vous ?

Je trouve cela honteux. Soit notre ministre ne comprend rien au système électrique, soit elle ment sciemment. Sortir du marché européen ne remet pas en cause les échanges transfrontaliers avec nos voisins européens. D’ailleurs, ces interconnexions sont bien antérieures à la mise en place des marchés et la France n’a pas connu d’évolution significative des volumes exportés depuis l’ouverture des marchés. L’interconnexion physique, c’est-à-dire le développement ou le renforcement de lignes transfrontalières, est déterminée en fonction des coûts du système électrique et non des prix de marché, impossibles à estimer sur des horizons de plusieurs décennies.

Les 13 et 14 septembre dernier, des députés de la NUPES ont interpellé le gouvernement sur ce point, pour demander si revenir à un système public remettrait, ou pas, en cause le système européen. Ils ont refusé de répondre. Nos entreprises EDF et RTE pourraient dire, elles aussi, que ce n’est pas vrai. Mais tout le monde se tait. Sur cette question du marché de l’électricité, il y a les intérêts privés d’entreprises comme TotalEnergie qui se rémunèrent grassement, mais il y a aussi une sorte d’autocensure à tous les niveaux. On est face à une montagne. Tout se passe dans l’ombre. Ce sont des négociations européennes, on ne sait jamais clairement quelle position la France va défendre, on peut encore moins en débattre. C’est incroyable !

Propos recueillis par Nolwenn Weiler
 

 

 

 

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11 octobre 2022 2 11 /10 /octobre /2022 13:22

La France et l’Allemagne s’opposent sur la question du gaz, la première proposant un prix d’achat à ne pas dépasser et la seconde préférant une politique nationale d’aide dont l’enveloppe générale se monterait à 200 milliards d’euros.

Les difficultés de la technique du plafond de prix

Si l’on propose un prix plafond sans fixer, dans les contrats, les quantités concernées, ces dernières apparaitront comme un résultat ne correspondant pas nécessairement aux demandes nationales pour les différents pays. Cette considération n’est que le résultat banal de la théorie économique traditionnelle : pour un prix donné, la demande est celle correspondant aux demandes agrégées des participants au marché. A priori, il serait question d’une plateforme européenne d’achat de gaz avec redistribution aux différents acheteurs, en particulier privés, qui, jusqu’ici, négociaient des contrats de longue durée. Dans le cadre européen, cette plateforme faisant apparaître un acheteur unique est probablement juridiquement contestable mais surtout pose de redoutables problèmes.

 Si Bruxelles fixe un maximum faible, la demande sera excédentaire par rapport à une offre déficitaire. En effet, le gaz russe - désormais d’accès interdit- participe à la limitation mondiale de l’offre disponible. Dans ces conditions, on voit mal les fournisseurs américains, norvégiens, etc. préférer le ravitaillement de l’Europe face à des débouchés plus rémunérateurs sur d’autres continents. Il en résultera des quantités insuffisantes qu’il faudra répartir entre les pays. Comme l’Allemagne est de très loin le pays le plus gros consommateur, son industrie sera relativement plus pénalisée que celle des pays dont la base industrielle s’est déjà largement évaporée. La réalité concrète est sans doute un peu plus nuancée en raison de la rigidité des infrastructures de livraison. Ainsi la Norvège est dépendante des oléoducs qui assurent l’exportation de son gaz, ce qui réduit son pouvoir de négociation. Toutefois les acteurs de la branche sont les entreprises classiques du secteur  (Statoil, Exxonmobil, Total, Conoco philips, etc.). Il est donc évident que la souplesse des méthaniers de ces  mêmes compagnies - lesquels circulent aussi bien depuis l’Amérique que depuis la Norvège-  permettrait aisément de rétablir la force de négociation de la Norvège.

Si Bruxelles fixe un maximum  élevé, la quantité disponible à répartir sera naturellement plus importante puisque les offreurs seront attirés par un effet-prix attractif. La limitation des quantités disponibles sera plus supportable pour l’économie Allemande. Toutefois l’écart de prix avec les zones bénéficiant d’une énergie abondante (essentiellement les USA, où cet écart est passé de 1à 2 en 2019 et  à 7 en 2022) sera beaucoup plus importante et justifiera des délocalisations industrielles au détriment de l’Allemagne… et des délocalisations aussi attirées par des politiques gouvernementales telles que celles proposées par « l’inflation Reduction Act » américain. Cet écart étant probablement durable en raison de coupures probablement définitives des northstream 1 et 2, il y a menace sur l’existence même de l’industrie allemande.

Quel que soit le niveau choisi de prix maximum, L’Allemagne ne peut que refuser cette politique proposée par la France et quelques autres pays.

Les difficultés de la technique du bouclier tarifaire.

Le choix de l’Allemagne est clairement celui du maintien durable de son industrie à l’intérieur des frontières nationales. Elle semble vouloir y associer des moyens colossaux (200 milliards d’euros soit 5% de son PIB) essentiellement orientés vers des boucliers tarifaires. Ces moyens, maladroitement cachés dans un véhicule indépendant du budget fédéral, sont aussi autorisés par un endettement public allemand beaucoup plus modéré que partout dans le monde. Un effort semblable est impensable pour les compétiteurs de l’Allemagne en particulier la France et l’Italie. S’agissant de la France, le bouclier tarifaire qu’il faudrait retenir serait d’environ 135 milliards d’euros, alors que les moyens retenus sont respectivement de 24 milliards pour 2022 et 45 milliards pour 2023. S’agissant de l’Italie le bouclier tarifaire à retenir pour le niveau de protection retenu par l’Allemagne serait d’environ 95 milliards d’euros alors que les moyens retenus sont de l’ordre de 40 milliards. Bien évidemment ces énormes différences résultent des conditions macroéconomiques avec une Allemagne dont la dette publique ne se monte qu’à 70% du PIB alors qu’elle est abyssale pour la France (113%) et l’Italie ( 150%).

L’Allemagne, après avoir bénéficié pendant plusieurs dizaines d’années d’un taux de change favorable , taux de change autorisant des excédents commerciaux anormaux et jamais dénoncés par Bruxelles (jusqu’à 10% du PIB), tente aujourd’hui de profiter de la crise de l’énergie pour introduire une nouvelle sur-compétitivité autorisant la  pérennisation de son modèle de développement. L’Allemagne a pu administrer l’Europe à partir de la mise au pas de la Grèce. Elle n’a plus les moyens de se sauver en blessant davantage ces grands pays que sont la France ou l’Italie. Hélas, ce n’est pas la solution française de prix maximum qui permettra la résolution de la crise et il faudra payer le prix de dizaines d’années de politiques publiques folles. Tous nos articles concernant la crise de de l’énergie sont là pour en témoigner[1].


http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/09/prix-de-l-electricite-un-probleme-sans-solution.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/09/marche-de-l-electricite-vers-une-crise-du-couple-franco/allemand.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/09/electricite-passer-d-un-capitalisme-de-connivence-bureaucratique-a-un-service-public-rationnel.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/09/le-g7-et-le-prix-plafond-pour-le-petrole-russe-consequences.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/08/edf-va-t-on-achever-la-bete-apres-l-avoir-tant-saignee.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/07/ce-que-pourrait-etre-une-nationalisation-d-edf.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/05/pourquoi-payer-le-gaz-russe-avec-des-roubles.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/02/en-route-vers-une-nouvelle-crise-de-l-energie.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/01/delirante-annee-2022-l-equivalent-de-40-du-budget-militaire-de-la-france-pour-sauver-le-marche-de-l-electricite.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2021/11/electricite-que-faire-pour-acceder-a-des-prix-maitrises.html

http://www.lacrisedesannees2010.com/2021/10/le-marche-de-l-electricite-ou-le-grand-gachis-de-la-bureaucratie-neoliberale.html

 

 

[1]

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5 octobre 2022 3 05 /10 /octobre /2022 13:47

Lorsque EDF fut invitée à embrasser la logique du marché, elle fut d’abord, à la fin des années 90, orienté vers la recherche de débouchés internationaux, non pour vendre de l’électricité, mais pour diffuser le remarquable outil de production qu’elle venait de construire en France. Cette recherche fut un échec en raison des structures organisationnelles et culturelles de l’entreprise beaucoup plus orientées vers une stratégie d’optimisation d’un service public que vers celle de maximisation d’une rentabilité.

Lorsque quelques années plus tard Bruxelles devait imposer une logique de distribution de l’électricité selon les règles de la « concurrence libre et non faussée », la question de la disparition du monopole fut posée. L’infrastructure réseau du monopole ne soulevait guère de difficulté, et Bruxelles devait accepter la logique du monopole naturel impliquée par un coût marginal nul : on ne touchera pas à l’infrastructure réseau. Par contre, la question de l’infrastructure de production de l’électricité devait être posée et, fort logiquement, EDF aurait dû disparaitre comme  avait disparu la Standard Oil of New Jersey en 1911 : l’entreprise aurait dû être démantelée et ses unités de production - dont les centrales nucléaires- réparties entre plusieurs entreprises juridiquement indépendantes et ce, avec une interdiction  d’une quelconque structure de holding.

Toutefois Bruxelles avait tort d’imaginer que le monopole EDF pouvait être démantelé comme devait l’être aisément la Standard Oil un siècle plus tôt. Un peu d’histoire comparée permet de comprendre cette réalité.

« Le monstre Standard oil » était industriellement démontable

Lorsque la technique du forage et de production par jaillissement fut inventée en 1859 par le colonel Drake, très vite s’est créée une industrie du pétrole très instable avec des périodes de surproduction ruineuse pour les producteurs et des périodes de sous production au détriment des utilisateurs. Chaque producteur isolé - ne faisant face qu’à des coûts fixes - avait intérêt à produire le maximum permis par le forage. Il en résultait globalement une offre surabondante de pétrole, une chute des prix et l’impossibilité pour chaque producteur de faire face aux coûts fixes correspondant au forage. La faillite des petits producteurs entrainait alors une offre insuffisante et des prix devant à nouveau s’accroître, le tout justifiant le renouveau du scénario et la crise suivante. Observateur avisé, Rockefeller devait en conclure que la concurrence ne pouvait faire naître un marché stable et qu’il fallait édifier une situation de monopole. Ce monopole fut progressivement construit par le biais d’une centralisation des achats et d’un prix affiché sur chaque gisement. Technologiquement, cette édification ne passait pas par une maîtrise industrielle haut de gamme, situation rendant relativement aisée le démantèlement de l’entreprise par l’application des lois antitrust et du Sherman Act. Et loin d’être une industrie haut de gamme, un entrepreneuriat non spécialisé pouvait aisément acquérir la technique du forage et de la production. Situation expliquant une vive concurrence elle-même tueuse d’un marché compétitif à remplacer par un monopole. Clairement, il n’existait pas de barrière à l’entrée et l’industrie pétrolière américaine devait - après le démantèlement-  continuer à se développer non pas en situation de pleine concurrence mais dans une situation à tout le moins dé monopolisée.

Le monstre EDF n’est pas industriellement démontable

EDF était dans uns situation très différente et devait constituer depuis 1946 un monopole public chargé d’une mission de service public. Cette ambition était en cohérence avec le recours à des technologies d’une très grande complexité et technologies accessibles à des coûts très élevés. C’était le cas de la construction des grands barrages dans les années 50 et davantage encore avec l’aventure nucléaire qu’aucun autre pays au monde n’aurait osé entreprendre. Economiquement cela signifiait des charges fixes colossales associées à des coûts marginaux très faibles voire nuls, donc des rendements croissants devant « ruisseler » vers une industrie compétitive à reconstruire. Le résultat fut exemplaire.

 Ce choix stratégique signifiait aussi des barrières à l’entrée très élevées et la quasi impossibilité de pénétrer sur le marché sauf par éclatement du monopole de production. Du point de vue d’EDF et de son actionnaire public, « casser » l’infrastructure de production en plusieurs blocs était aussi très difficile puisqu’au-delà de la résistance de la structure organisationnelle, cela correspondait à l’émiettement et donc l’alourdissement des charges fixes : plusieurs acheteurs en face des fournisseurs, plusieurs pôles de recherche et développement, et globalement pertes des structures de mutualisation.

Au début des années 2000 Bruxelles a fini par comprendre que le « monstre EDF » n’avait rien à voir avec ce qui constituait aux Etats-Unis le « monstre Standard Oil » et a laissé à la partie française le soin de proposer d’autres pistes pour générer un marché de l’électricité sans casser l’outil de production.

Contourner le monstre et le saigner pour générer un marché.

La solution fut celle de « l’ARENH » (Accès Réglementé à l’Energie Nucléaire Historique). Concrètement on oblige EDF à vendre une partie de sa production à des entités qui pourront ensuite revendre ladite production à des clients d’EDF. Ces entités désormais appelées « fournisseurs d’électricité » sont censées s’approvisionner aussi à d’autres producteurs et ce à un niveau national voire international par le jeu de bourses d’électricité. Afin d’assurer la bonne mise en valeur des capitaux investis dans les entités fournisseuses, il sera exigé qu’EDF vende son électricité à des coûts très faibles, ce qui revient à dire que pour EDF la marge qu’il pourrait se procurer par vente directe est mangée par les « faux clients » « fournisseurs d’électricité ». Ce subventionnement d’EDF devait aussi aboutir à la perte d’un grand nombre de clients finaux de l’ex-monopoleur.

Très concrètement, un véritable prix de marché de l’électricité peut naître et nous aurons- jusqu’à la guerre en Ukraine- près d’une quarantaine « d’entreprises » qui vont chevaucher le marché de l’électricité. Certaines seront aussi de vraies entreprises de production (Total Energies par exemple) mais les plus nombreuses ignorent complètement ce qu’est l’électricité et leur seul métier consistera à proposer des contrats qu’il s’agira de respecter en spéculant habilement sur les marchés à terme de l’électricité. Bien évidemment, au-delà du secteur de la finance qui voit dans l’électricité une  matière première providentielle, la Grande Distribution française et étrangère s’est précipitée sur le marché. Tant qu’il était possible au-delà de la garantie ARENH de trouver de l’électricité à des conditions avantageuses, ces fournisseurs pouvaient exister. Aujourd’hui, avec la guerre, l’électricité non nucléaire étant hors de prix, les contrats avec d’anciens clients d’EDF ne peuvent plus être respectés et les fournisseurs disparaissent du marché à rythme rapide….à moins d’augmenter, si possible régulièrement, le volume de l’ARENH à prélever sur EDF, ce qui a commencé dès avril 2022.

La privatisation d’EDF de novembre 2004 était bien évidemment un artifice et l’entreprise restait dans sa dimension production et ses actifs lourds, une entreprise publique. Ce caractère artificiel sera complété et confirmé par l’ARENH en décembre 2010 : jamais il ne serait juridiquement possible d’exiger d’une entreprise classique un subventionnement au profit de ses concurrents.

La renationalisation attendue sera elle-même complètement artificielle si la dimension service public reste oubliée en continuant à servir  un  faux marché de l’électricité.

Pas de fin du marché en vue et absence de solution

Nous en sommes là en cet automne 2022 : la liquidation des « fournisseurs d’électricité » et la fin d’un marché artificiel de l’électricité n’est pas encore dans l’air du temps. Mais il n’est pas non plus pensable de liquider « le monstre EDF » comme il fut naguère aisé de liquider « le monstre  Standard Oil ». Très vraisemblablement la nationalisation complète permettra aux quelques actionnaires privés d’EDF de ne plus protester contre un subventionnement qu’ils n’imaginaient pas en 2004. En même temps sera recherchée une simple amélioration très technique du dispositif ARENH : quelle répartition des quota-ARENH, quelles règles au titre de l’écrêtement lorsque l’ARENH demandé est supérieur au volume fixé ? etc. Autant de questions périphériques, voire complètement secondaires, ne portant que sur la performance des derniers combattants parmi les « fournisseurs d’électricité ». Le vrai problème, on l’aura compris, étant le retour au déploiement du service public d’électricité qui faisait naguère de la France le pays le plus avancé dans le secteur.

 

 

 

 

 

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24 septembre 2022 6 24 /09 /septembre /2022 15:51

En proposant aux utilisateurs de ne pas signer les contrats d’électricité sur des bases devenues léonines, Emmanuel Macron prend conscience du caractère ubuesque du marché de l’électricité. Il pense pouvoir élargir l’exception ibérique et protéger la France contre le tsunami. Techniquement, les choses sont d’une grande simplicité : il suffit de verser une subvention aux centrales produisant l’électricité à partir du gaz, pour plafonner le prix du KWh. Concrètement ce n’est pas un plafonnement du prix du gaz mais une aide à son achat permettant une baisse des coûts variables sur les unités de production les moins efficientes, précisément les centrales au gaz. Par ce biais, le prix de l’électricité serait contenu et toutes les unités plus efficientes verraient leurs rentes différentielles théoriques basées sur des coûts inférieurs (électricité nucléaire estimée à 49,5 euros le MWh, hydraulique estimé à 25 euros le MWh, etc.) rognées par la baisse des prix. Bien sûr cela reste théorique et dans le cas du nucléaire il n’y a plus de rente puisque celle-ci est plus que complètement absorbée par l’ARENH au seul bénéfice de prétendues entreprises qui ne produisent rien et vivent de la rente nucléaire. Dans le même temps bien sûr les utilisateurs, en particulier les branches grosses consommatrices d’électricité, connaitraient un horizon plus enviable que celui d’arrêter la production (métaux,  chimie, verrerie, agro- alimentaire, etc.).  Solution donc simple du point de vue du chef de l’Etat.

Pour autant le même chef de l’Etat sait aussi que si l’on diminue au niveau national les rentes différentielles chez les producteurs et commerçants en électricité, ces derniers seront tentés par l’exportation et vendront à l’étranger à des prix beaucoup plus élevés : ceux du marché européen fixé par les coûts variables des centrales à gaz en Allemagne, aux Pays -Bas, etc. Concrètement les fournisseurs étrangers, par exemple allemands, seront acheteurs sur la France tant que l’interconnexion le permettra ( environ 10% de la capacité française installée). Ce qui signifierait clairement que les rentes se reconstitueront à l’étranger et que finalement elles seront largement financées par un Etat français soucieux de ne  pas tuer son économie. Dans le même temps le prix de l’électricité en Allemagne sera plus faible que celui qui se serait formé sans l’intervention du gouvernement français. Il y a bien ici une aide de la France vers l’étranger. Pour les nombreux prétendus fournisseurs français en électricité qui ne produisent rien, l’avantage est double : on capte la rente nucléaire par le biais de l’ARENH et on capte la rente publique par des prix plus élevés que ceux fixés en France.  Et ces  ventes à l’étranger seront d’autant plus massives que l’interconnexion est large et permet de faire circuler de très grandes quantités d’électricité, ce qui n’est pas le cas avec la péninsule ibérique (techniquement les capacités en termes de flux sont pour la France 25 fois celles de l’Espagne).

Au total, le projet français ne peut se concrétiser que si l’Etat décide le contrôle public des interconnexions : blocages des exportations par la puissance publique. Une telle situation - au-delà d’une rupture avec Bruxelles et ses annexes comme la Charte de l’Energie (TCE)- serait totalement pensable si la France disposait de la totalité de son parc nucléaire, ce qui n’est pas le cas et ne le sera pas avant très longtemps. Bien sûr, il faudrait imaginer des importations, mais ces dernières ne pourraient se réaliser sur la base de prix jugés trop bas par la concurrence, ce qui voudrait dire que l’Etat français négocie lui-même des achats en payant la rente entre l’électricité chère venue de l’étranger et celle produite en France. Ce qui signifie un subventionnement d’une production étrangère par le contribuable français.

Nous sommes encore loin de ces solutions qui passeraient par une rupture avec les règles du marché unique. La France ne peut plus rester dans le marché, mais elle ne peut pas en sortir avant longtemps. Face à ce très gros problème La France, tout comme Bruxelles, ne peut qu’espérer un changement politique radical du côté de Moscou.

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20 septembre 2022 2 20 /09 /septembre /2022 16:10

Les prochains mois seront décisifs pour nombre de branches qui, gourmandes en énergie, se doivent aussi de renégocier leurs contrats d’approvisionnement avec nombre de fournisseurs d’électricité dont beaucoup ne sont que fort marginalement producteurs de la précieuse denrée. Bien sûr, Il existe des usines très impactées, par exemple celles consacrées à la production d’aluminium dont  l’électricité engendrait 30% du coût de production. Mais il existe aussi des entreprises de services à faible marge qui sont aussi très concernées, par exemple toute la grande distribution. Au total pour nombre de branches, l’alignement du prix de l’électricité sur les coûts variables des centrales au gaz, fera que la hausse des coûts de production sera considérable.

« L’exception ibérique » comme contournement des règles du marché unique

Dans ce contexte, on peut comprendre que ce qu’on appelle « l’exception ibérique » puisse exercer de puissants attraits sur un MEDEF inquiet pour ses administrés. Cette exception mérite d’être connue et précisée car  Espagne et Portugal ont de fait obtenu la possibilité de sortir des règles du marché unique. Concrètement, le prix du gaz acheté par les centrales est plafonné de telle sorte que le prix de l’électricité offert par les dites centrales soit lui-même plafonné (67 euros le MWh). Si, maintenant, d’autres producteurs d’électricité, quelle que soit la technologie utilisée, vendent à prix plus élevés sur le marché, 90% de la différence est prélevée par l’Etat. Ce mécanisme complexe aboutit par conséquent à un véritable contrôle des prix et donc une sortie de la règle du marché unique.

Si Bruxelles a accepté ce qui est maintenant appelé une « exception ibérique », c’est probablement en raison de l’argument de la compensation entre subventions et prélèvements, mais c’est surtout en raison du fait qu’il n’existe que très peu d’interconnexions avec le reste du réseau européen et que les avantages correspondants, réduits par la technologie, sont aussi réduits par l’écrémage d’un surplus résultant d’une différence de prix entre l’Espagne et le reste de l’Europe. En effet, Il n’est pas très  intéressant pour les producteurs espagnols de venir concurrencer les producteurs européens, puisque la rente qu’ils pourraient percevoir, déjà amincie par la faiblesse de l’interconnexion, serait de toute façon écrémée à 90% par le Trésor espagnol. L’interconnexion qui est une condition fondamentale du bon fonctionnement du marché unique, est de fait, techniquement et juridiquement inexistante[1].

L’élargissement de l’exception à une France largement interconnectée

Face à cette exception, l’Etat français est amené à s’interroger. Ce que nous appelions dans notre précédent article les « fausses entreprises »[2] sont en déliquescence et sollicitent bruyamment l’élargissement de l’ARENH, un dispositif aboutissant à leur subventionnement par EDF qui lui-même est dans une position très difficile. Le MEDEF qui, lui, représente les utilisateurs, exige une solution d’urgence face au tsunami du renouvellement des contrats qui aboutira  à un désastre économique ( recul de la production ou/et fermeture d’établissements). L’Etat français ne peut plus accepter de peser su L’ARENH et ses conséquences, tant sur EDF que sur ses actionnaires minoritaires, et se trouve invité à peser sur Bruxelles. L’Etat français, face au désastre dont il est historiquement responsable, est ainsi condamné à enfin se battre.

Pour autant une « exception » ibérique ne peut ici se reproduire sans modification beaucoup plus radicale des règles du jeu en raison de la très large interconnexion. Si l’on adoptait la solution ibérique, la fuite d’électricité vers le reste de l’Europe serait considérable à un moment où les centrales nucléaires sont en déficit de production pour des raisons d’entretien voire de réparation… A moins que l’on rétablisse un contrôle aux frontières avec, par exemple, un monopole public pour les exportations…on serait très loin des règles européennes. C’est pourtant l’intérêt bien légitime de la France et cela correspond à cette interconnexion large qui fait miraculeusement défaut pour l’Espagne et le Portugal. Si l’Espagne s’autonomise depuis le 15 juin sous l’effet du bouclier d’une interconnexion quasi inexistante, la France ne dispose d’aucun bouclier et doit le construire en rétablissant ses prérogatives de puissance publique au niveau de l’interconnexion.  

L’Allemagne aimerait sans doute bénéficier de l’interconnexion large mais il est clair que cela aboutirait à une redistribution irréaliste : de l’argent public français s’écoulerait vers l’Allemagne. C’est l’Allemagne qui – en raison de ses choix géopolitiques- est devenue fragile. La solidarité se conjugue avec la responsabilité et donc « l’exception ibérique » doit devenir la règle au prix du retour d’un Etat qui garantit à ses frontières la reconstruction d’une indépendance énergétique.

Nous verrons dans quelques semaines si l’Etat français est redevenu courageux.

 


[1] Les services économiques du Crédit Agricole dans une note du 20/09 confirment ce point de vue. Le dispositif espagnol mis en place le 15 juin a entrainé une augmentation des fuites vers la France en juillet et août (4% du total de l’énergie produite en Espagne contre 0,3% traditionnellement). Mais cette augmentation a été bloquée par les limites physiques de l’interconnexion. L’Espagne peut donc s’autonomiser et partiellement échapper à la flambée européenne des prix. Ce n’est pas le cas de la France.

[2] http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/09/electricite:passer-d-un-capitalisme-de-connivence-bureaucratique-à-un-service-public-rationnel.html

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14 septembre 2022 3 14 /09 /septembre /2022 16:55

Les ministres de l’économie des pays de  l’Union européenne sont en recherche de solutions pour assurer une maîtrise des prix de l’électricité tout en maintenant plus ou moins l’idée de marché. En cela, ils souhaitent respecter l’édifice juridique et institutionnel qui, tout au long de la construction européenne, s’inspirait de l’idée que l’électricité est une marchandise comme les autres et se doit  d'être mise à la disposition du consommateur européen par des mécanismes de marchés.

1 - Ce qu’implique un marché européen de l’électricité.

Plusieurs caractéristiques se doivent d’être mentionnées.

Une interconnexion permettant l’émergence d’un fort complexe prix unique.

Concrètement, les divers pays connaissant des situations très variables se devaient de procéder à des investissements d’interconnexion entre les réseaux nationaux. L’électricité n’étant plus une affaire de marché intérieur ou de service public, le consommateur européen devait pouvoir se ravitailler auprès du producteur de son choix quelle que soit son origine ou sa nationalité. Cela signifiait la construction progressive d’un prix unique sur lequel aucun pays n’a prise. Construction difficile car les réalités nationales sont très différentes. D’où, à titre d’exemple, gérer l’ultra compétitif EDF - ex monopoleur qu’il faut abattre pour créer le marché concurrentiel-  et  inventer l’étonnant prix règlementé d’accès au nucléaire dit historique (ARENH). On sait qu’historiquement cette initiative durement négociée, devait aboutir à l’artificialisation d’un marché de l’électricité avec des entreprises qui n’ont rien à voir avec l’industrie correspondante et, pour l’essentiel, ne sont que des entités factices se déployant dans un capitalisme de connivence accroché à une bureaucratie règlementaire nationale et européenne.

Un prix qui est un coût marginal.

Parce que l’électricité est toutefois élaborée dans des conditions techniques forts variables à l’intérieur de chaque pays et entre  pays - conditions qui relèvent de l’histoire ( par exemple choix de l’hydroélectricité puis du nucléaire en France) et de dotations naturelles ( sous- sol plus ou moins riche, montagnes etc.)- mais  surtout parce que l’électricité n’est pas stockable, le prix reflète en permanence la situation de plus ou moins grande tension entre l’offre et la demande. Logiquement, lorsque la demande est faible les différents systèmes nationaux produisent à partir des équipements les moins coûteux. Si la demande augmente, les producteurs procèdent à la mise en  activité d’unités jusqu’alors en sommeil. Logiquement cette mise en activité s’opère lorsque le prix de l’électricité dépasse les coûts variables. Si le prix baisse, les unités en question seront remises en sommeil. Il en va théoriquement ainsi dans toute l’Europe désormais interconnectée. On comprend ainsi que le prix de marché de l’électricité reflète les coûts des unités les moins efficaces.

Un coût marginal qui dépend d’autres prix.

Dans un pays quelconque, soulignons que les différentes unités de production sont technologiquement très variables : utilisation de l’eau, du vent, du soleil, du charbon, du pétrole, du gaz, de l’énergie nucléaire, etc. Les différences de coût de production sont importantes et assurent des rentes différentielles aux technologies les plus efficaces. Des rentes d’autant plus importantes que la demande exige des mises en activités d’unités peu efficaces. Mais cette efficacité dépend aussi très naturellement du prix des matières premières utilisées. Par exemple si le prix du gaz est, sur le marché correspondant,  très faible (début des années 2000), les centrales au gaz seront très compétitives et vont se ranger aux premiers rangs dans la classification des différentes unités de production de l’électricité. A ce titre, elles bénéficieront d’une rente différentielle. Si, à l’inverse, le prix du gaz est considérable (cas aujourd’hui), les centrales au gaz seront moins bien classées et d’autres technologies bénéficieront de la rente différentielle. Et une rente d’autant plus importante que le prix du gaz s’envole. Ce que médiatiquement on appellera des « surprofits ».

Des prix instables qu’il faut sécuriser par la finance.

Sans interconnexion, on pourrait imaginer un Etat interventionniste qui viendrait réguler le marché. C’est d’ailleurs encore plus ou moins le cas avec les unités de production que, politiquement, on veut protéger (éoliennes, panneaux solaires). C’est encore le cas pour tout ce qui est tarifs réglementés encore autorisés par les autorités européennes. Mais, pour l’essentiel, les Etats ne peuvent intervenir sur les interconnexions puisque cela reviendrait à contrôler les exportations ou importations d’électricité. Le marché doit être respecté et la bureaucratie européenne y veille. Le prix de marché est ainsi d’autant plus volatile que la demande varie dans l’instantanéité et qu’encore une fois il est matériellement impossible pour les producteurs de constituer des stocks. Il faut  ainsi matériellement imaginer au niveau européen une structure d’échange très transparente qui sera la Bourse des échanges d’électricité avec ou sans chambre de compensation (échange over the counters ou OTC). Que l’on soit consommateur ou producteur il s’agit de contrôler/sécuriser  les prix et quantités par des contrats sur des marchés à terme où se fixent des paris sur les fluctuations de prix. Les paris ont un prix, ce qu’on appelle le coût des couvertures sur risques, lesquels mobilisent d’importants moyens financiers (le collatéral) à priori étrangers à l’industrie électrique elle-même. Mais ces contrats sont d’autant plus sécurisants que le nombre d’acteurs est grand sur le marché : il faut par conséquent ouvrir la bourse des échanges à des acteurs qui n’ont rien à voir avec l’industrie. Il s’agit par conséquent de l’ensemble des acteurs de la finance qui seront ainsi chargés d’assurer la bonne liquidité sur les paris, bonne liquidité assurant in fine le bon échange de l’électricité réelle sur le marché réel….Concrètement cette bonne liquidité, aussi assurée par des opérations d’arbitrage entre toutes les bourses d’électricité, suppose un marché des échanges de paris plusieurs dizaines de fois supérieur aux échanges réels.

La présente crise, faite d’un prix aligné sur un coût marginal explosif est naturellement constitutive de prix beaucoup trop élevés pour nombre d’activités et bien sûr pour les consommateurs finaux. Elle produit en conséquence d’énormes rentes différentielles pour les acteurs des unités infra marginales.

2 - Les fausses solutions  à l’intérieur des cadres du marché européen.

Parce qu’il n’est pas imaginé de sortir d’un cadre général de marché, nous avons les possibilités classiques d’actions sur les prix, d’actions sur la formation de ces derniers soit d’actions sur les quantités.

Un écrémage des rentes différentielles

Une première piste étudiée au niveau européen est celle   d’un écrémage des rentes différentielles sous la forme d’une législation type « windfall profits tax » ( profits tombés du ciel) déjà utilisée aux USA lors de la première crise pétrolière durant les années 80. Ce que médiatiquement on appelle la « taxation des superprofits ». Il s’agirait de mobiliser les fonds rassemblés pour les redistribuer auprès des utilisateurs/consommateurs, avec comme conséquence un approfondissement des responsabilités européennes en matière de prélèvement et de redistribution entre pays. Pour le reste on ne touche pas au marché et à la formation des prix. Le chantier est d’une grande complexité technique et politique : comment saisir les hauteurs des rentes ? comment les apprécier ? sont-elles de véritables rentes ou bien sont-elles les effets d’un entrepreneuriat dynamique ? faut-il taxer ou bien imaginer un versement volontaire au titre d’un bien commun (abondement d’un fond vert) ? Peut-on venir en secours à la liquidité sur la finance en utilisant le produit de la capture des rentes différentielles ? Quelles clés de répartition des rentes captées entre les Etats ? Cette voie est manifestement un approfondissement de la bureaucratie de marché : une énorme armature réglementaire se rajoutant aux autres pour maintenir quoi qu’il en coûte un marché européen de l’électricité. Cette voie est aussi celle qui est logiquement défendue par de très nombreux acteurs et structures : personnels politico-administratifs des Etats et de Bruxelles toujours aidés de leurs agences dites indépendantes et de leurs entreprises de conseil, financiers et traders enracinés dans leurs régulateurs, cadres et dirigeants des entreprises de pacotille du secteur, etc.

Un bouclier tarifaire

Une  piste parallèle, voire complémentaire de celle  de l’écrémage des  rentes différentielles consiste à maintenir le marché en intervenant sur les prix qui s’y forment. Ici les rentes différentielles sont partiellement écrémées et les unités de production marginales, celles dont le coût variable est supérieur au prix autoritairement déterminé, sont subventionnées. Il s’agit du bouclier tarifaire dont vont bénéficier les utilisateurs. Ce boucler peut être infiniment variable et dépend des choix politiques et sociaux des divers pays. A peine de sortir de la règle du marché unique européen - ce qu’ont obtenu l’Espagne et le Portugal- la fiction du marché se maintient  et l’interconnexion généralisée continuera de permettre la formation d’un prix unique. Cette piste parallèle pose évidemment les mêmes questions et renforce celles liées aux entreprises de pacotilles qui se voient doublement subventionnées par l’ARENH d’une part et par la garantie de prix désormais administrés : c’est désormais l’administration qui fixe tous les prix, ce qui permet de vivre dans un cocon réglementaire complet très éloigné de l’entreprise classique. Avec bien sûr le transfert de tous les risques de prix à l’administration elle-même, laquelle les reportera sur les contribuables, et donc l’émergence partielle d’un monde complètement renversé….

Un prix plafond

Une autre piste en réflexion est celle d’un plafond sur les prix d’achat du gaz auprès du fournisseur russe, plafond venant limiter les prix de l’électricité et les rentes différentielles au profit des producteurs les plus efficaces. Cette pratique suppose l’acceptation d’un monopole bilatéral avec en face de Gazprom la seule administration bruxelloise. Ce choix est difficilement tenable car il s’agirait d’empêcher les comportements de passagers clandestins à l’intérieur de l’union européenne : Hongrie, Tchéquie, Slovaquie, comportements favorisés par la Russie. Il est également une réalité contestable au niveau des autres producteurs qui pourraient revendiquer le prix plafond pour leurs exportations vers l’union européenne.

Un rationnement

Une dernière piste est bien évidemment celle d’un rationnement quantitatif soit contractuel soit imposé. Le rationnement contractuel ne pose guère de difficultés et il est technologiquement aisé de mettre aux enchères des périodes d’effacement dont le coût pourrait être financé par une taxation des rentes différentielles. Une autre solution celle de "l'Ecowatt" de RTE peut aussi s'avérer intéressante. Le rationnement imposé supposerait des interventions autoritaires et naturellement bureaucratiques. Soulignons toutefois que cette dernière piste maintient les difficultés déjà envisagées dans les pistes antérieures.

Entre le rationnement et le bouclier tarifaire il est aussi possible d’utiliser des mécanismes particulièrement complexes très difficiles à qualifier et qui, de fait, concerne une manipulation des bourses européennes de l’électricité. Tel est le cas du relèvement automatique du prix maximum que l’on vient de suspendre au terme d’une difficile négociation entre l’association des dirigeants des bourses, le régulateur européen et la commission[1]

Globalement les solutions sus énoncées présentent le défaut de ne pas s'attaque au problème central: celui d'un service public qui  ne peut s'appuyer sur le marché qu'en le contournant par l'édification d'une bureaucratie métastasique. 

3 - S’éloigner du marché européen et rétablir le service public en France

La spécificité de la France est que sa branche électricité bénéficie d’un coût unitaire moyen plus faible que partout ailleurs en Europe. Cela résulte de ses choix antérieurs qui font que les centrales à coûts variables élevés ( fuel, charbon, gaz) sont peu nombreuses. Toutefois le prix de marché s’alignant sur les unités de production les moins efficaces, l’excellente performance globale de la branche n’irrigue pas les utilisateurs. Il convient donc de rétablir cette irrigation par  une nationalisation qui va bien au-delà de celle envisagée pour EDF. Plusieurs propositions sont à envisager allant dans le sens d’un  rétablissement de  la mission d’EDF à produire du service public.

La disparition de l’ARENH

Le dispositif ARENH doit être abandonné et EDF doit pouvoir vendre la totalité de sa  production aux utilisateurs finaux. Il en résultera mécaniquement la disparition de toutes les entreprises et administrations de pacotille et la fin de l’emploi de milliers de cadres et salariés occupés dans des activités complètement improductives voire nuisibles à tout intérêt général. Ces derniers souvent hautement qualifiés peuvent se redéployer sans difficulté dans des activités productives. Au-delà la fin du marché français de l’électricité mettra  fin aux risques de marché tel celui miraculeusement évité par une erreur dans la spéculation chez « Electricité de Strasbourg »[2] début septembre. Des erreurs techniques peuvent toujours se matérialiser mais il est possible d’éviter les erreurs de marché en le supprimant. Il est donc important de supprimer le marché.

Un prix administré

La politique tarifaire d’EDF, libérée du poids de l’ARENH doit se situer entre le coût unitaire moyen du nucléaire et les coûts variables pour les centrales les moins efficientes. Le tarif correspondant doit lui-même être imposé aux producteurs d’énergie électrique intermittente et renouvelable. Leur survie dépendra de leur propre efficience ou promesse d’efficience, et il n’est plus question de laisser en jachère des unités de production EDF pour venir au secours d’unités intermittentes. Cela signifie la disparition du gaspillage de capital (2 capacités pour une unité produite).

Une interconnexion qui cesse d’être une atteinte à la souveraineté.

L’interconnexion avec les autres Etats européens est bien évidemment maintenue dans un esprit de secours mutuel. Les bouses à l’international sont maintenues mais EDF doit y  retrouver son monopole d’exportation et d’importation. Il n’existe donc pas de barrières à l’entrée ou à la sortie et EDF peut   acheter et vendre de l’électricité à l’étranger. Les activités de transport voire de distribution peuvent rester inchangées.

Le retour de l’efficience

La fin de l’électricité marchandise au profit du service public permet à EDF de récupérer une grande partie de sa rente nucléaire. Elle-même rente différentielle, elle permet à l’entreprise de retrouver progressivement des marges jusqu’alors perdues dans les coûts des entreprises de pacotille disparues, donc de retrouver les moyens de son développement. Une autre partie de la rente nucléaire est captée par les utilisateurs qui progressivement cesseront d’être victimes d’un marché conçu en dehors de toute réflexion géopolitique sérieuse (l’Allemagne face à Gazprom).

A plus long terme, avec la reconstruction de ce qui a été détruit par plus de 20 années de domination de  l’idéologie du marché, il sera possible de mettre fin à la crise de l’énergie.


[1] Le très bureaucratique marché avait été conçu de telle sorte qu’à chaque seuil de prix administrativement imaginé, un saut de 1000 euros le MWh était imposé aux fins de limiter la demande en faisant augmenter les prix. Ce mécanisme vient d’être abandonné et les opérateurs de marché ne peuvent plus jouer sur les prix pour répondre à la demande de leurs clients, d’où un report sur les marchés journaliers et une forte incitation aux économies d’énergie.

[2] La perte de marché résultant d’une vente massive suivie d’un rachat tout aussi massif s’est montée d’après le Financial Times du 11 septembre à 60 millions d’euros et a mobilisé RTE pour des compensations en provenance du Royaume-Uni et de l’Espagne.

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6 septembre 2022 2 06 /09 /septembre /2022 08:41

L’idée des pays occidentaux importateurs de pétrole russe est de limiter les moyens guerriers de la Russie par une réduction de ses capacités financières.

Sur un plan théorique, il s’agirait de faire comme si le marché du pétrole pouvait devenir un monopole bilatéral : un seul producteur, la Russie, en face d’un seul demandeur, l’Occident. Si tel était le cas on assisterait à la formation d’un prix d’équilibre dépendant des capacités de négociation des acteurs. Le point de vue occidental étant qu’il existerait de fortes capacités de substitution entre pétrole russe et autres ressources et donc que les prétentions russes pourraient être très largement contenues. Au final le plafond de prix invoqué correspondrait à l’idée que la résistance occidentale serait plus importante que celle de la Russie.

La réalité est autre et chacun sait qu’il existe d’autres producteurs et d’autres pays consommateurs dans le monde. La problématique est donc, du point de vue occidental, de construire artificiellement un monopole bilatéral qui n’existe pas. La voie choisie est donc d’élever des barrières entre l’offre russe de pétrole et ses acheteurs potentiels non occidentaux.

La solution qui consisterait à arrimer les autres acheteurs à la prétention occidentale, n’est guère imaginable. Bien sûr, on pourrait envisager un prix inférieur au prix payé par ces autres acheteurs (essentiellement Chine et Inde) , lesquels auraient intérêt à participer à une entente générale au niveau de l’achat de pétrole russe. Toutefois, le coût géopolitique d’une telle démarche (alignement sur l’Occident) serait supérieur à l’avantage économique (gain sur le prix du baril).  Cette idée étant irréaliste il convient  d’empêcher le déplacement de l’offre de pétrole depuis ses destinataires occidentaux vers d’autres destinataires. Une intervention militaire étant impensable (arraisonnement de tankers se dirigeant vers la Chine ou l’Inde) seule la voie du marché est possible sous la forme de contrainte notamment auprès des propriétaires des navires voire subventions auprès de ces mêmes propriétaires ou des destinataires eux-mêmes. C’est semble-t-il ce qui est envisagé avec l’interdit de couverture d’assurance et de réassurance sur les cargaisons de pétrole russe, voire le subventionnement des compagnies d’assurance elles-mêmes.

Du point de vue russe, tout sera fait pour trouver une substitution plus ou moins parfaite entre réduction des exportations vers l’Occident et augmentation vers le reste du monde notamment par le canal de la Chine et de l’Inde. En particulier, on peut aisément imaginer des transporteurs largement indemnisés et rémunérés pour ce travail de réorganisation planétaire de la logistique. Le schéma nouveau de l’organisation serait approximativement celui-ci  : les pays recevant le pétrole russe achètent moins à l’OPEP tandis que cette dernière voit ses débouchés compensés par une livraison plus importante à l’Occident. C'est semble t-il ce qui se passe depuis plusieurs mois avec une chute des importations allemandes de pétrole russe (- 17% depuis mars), une hausse pour un même montant des importations chinoise pour la même pétrole et une hausse des importations allemandes de pétrole OPEP. A offre et demande mondiale inchangée, il y a simple réorganisation des destinations. Reste à savoir si cette réorganisation planétaire est acceptable par le reste du monde et notamment l’OPEP.

Chine, Inde et autres pays qui vont recevoir le pétrole russe seront gagnants puisque la Russie se doit de prendre la main sur les fournisseurs OPEP traditionnels. Toutefois,  cette opération représente- t-elle un gain à l’échange pour l’OPEP ? En oubliant les rugosités du changement organisationnel (qualité des bruts et degré API, qualités/spécialisation  des installations de raffinage, coûts d’acheminement, etc.) le coût de la réorganisation est d’autant plus élevé que le prix plafond fixé par l’Occident est faible. Chine et Inde peuvent gagner beaucoup et supporter des coûts de réorganisation élevés si la Russie accorde des marges importantes. Et ces marges doivent être substancielles car dépasser tout ce que la Russie peut offrir sur la côte pacifique suppose des distances considérables et de nouvelles infrastructures. L’OPEP ne gagne rien et supporte les coûts de réorganisation. Elle peut réagir- ce qu'elle vient de faire- en contractant son offre avec effet de hausse de prix mais cela peut inciter les importateurs non occidentaux de pétrole russe à recycler le brut correspondant vers d’autres pays et gêner l’OPEP. On le voit rien n’est écrit. Par contre, il faut reconnaitre que cette décision est un réel manque à gagner pour la Russie : Plus le prix plafond serait faible et plus il faudrait accepter des rabais auprès de clients non occidentaux qu’il convient de privilégier. Au total, les gagnants seraient l’Occident et les pays acheteurs de brut russe, les perdants étant la Russie et probablement l’OPEP.

 

 

 

 

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27 août 2022 6 27 /08 /août /2022 12:54

Dans une série d’articles que l’on peut retrouver sur le blog ( 20 octobre 2021[1], 1 Novembre 2021[2], 8 Novembre 2021[3], 19 janvier 2022[4], et 11 juillet 2022[5]) nous nous sommes attachés à bien comprendre en quoi l’introduction d’un marché européen de l’électricité correspondait à une catastrophe multidimensionnelle : pour l’entreprise qui va perdre une bonne partie de ses compétences par l’arrêt du nucléaire ; pour les utilisateurs qui tôt ou tard perdront la rente nucléaire sous la forme d’un prix faible de l’électricité ; pour une « élite » qui va se lover dans la vertigineuse bureaucratie qui accompagnera le faux marché de l’électricité et ses marchands simples spéculateurs à la tête de fausses entreprises ; pour le pays qui tôt ou tard verra sa compétitivité affaissée par des couts de l’énergie trop élevés.

 Ce temps de la catastrophe multidimensionnelle est maintenant bien confirmé : EDF ne sait plus entretenir son parc nucléaire et s’avère incapable de le renouveler dans des délais raisonnables ; la Russie, passée spécialiste en capture de rente énergétique, s’amuse au moins temprairement de l’affolement des bourses ( EPEX[6]) et des spéculations qui s’y déchainent ; les marchands d’électricité en quasi faillite ( Hydroption, Leclerc Energies, Bulb, Cdiscount, Iberdrola, Mint Energie, etc.) lancent des cris de détresse et voient leurs rangs devenir clairsemés  ; l’Etat qui ne peut plus raisonnablement maintenir son bouclier tarifaire au bénéfice des consommateurs et se trouve fort préoccupé par le déficit public engendré par les mauvais choix de naguère… qu’il ne peut reconnaitre ; les acteurs économiques qui sont désormais étranglés par la spéculation et connaissent des hausses de couts de production colossales qu’il faut tenter d’essaimer par la voie inflationniste[7] ; les ménages victimes de l’inflation qui viendront demain financer le bouclier tarifaire sous la forme d’une hausse d’impôts.

C’est dans ces conditions qu’une fois encore il sera logiquement fait appel à EDF. L’entreprise qui a déjà été contrainte il y a quelques mois d’élargir son obligation de vendre aux fausses entreprises marchandes d’électricité ( ARENH) s’est trouvée obligée d’acheter sur le marché à terme, au prix fort, des contrats d’électricité aux seules fins de répondre à sa mission de service public. Il s’agissait déjà d’acheter pour vendre avec une marge négative. Cette opération semble se reproduire avec le retour au bercail des consommateurs qui avaient abandonné le tarif réglementé d’EDF pour se lancer dans l’aventure, et bénéficier des offres alléchantes des fausses entreprises. Ces dernières, victimes des prix spot qui se forment dans les bourses au bénéfice des spéculateurs, abandonnent leurs clients lesquels pourraient représenter 12 millions de ménages qu’EDF ne peut prendre en charge qu’en achetant des contrats en bourse (ECE Endex et EEE[8]). Voilà de très lourdes pertes en perspective pour EDF.

Cette entreprise, naguère la plus performante de la planète dans son domaine - les plus anciens se rappelant qu’EDF greffait au réseau une unité nucléaire tous les 5 mois dans les années 80- a été gravement blessée par des choix politiques abracadabrantesques lesquels sont gravés dans la loi NOME de 2010 (Nouvelle Organisation du Marché de l’Electricité[9]). Le faux marché fut destructeur pour l’entreprise. Vu les circonstances présentes, il n’est pas impossible d’imaginer un coma prolongé. La responsabilité politique de ce désastre est immense…mais personne n’en parle et personne n’est coupable…De quoi retrouver le thème  de « l’étrange défaite » chère à Marc Block pour caractériser naguère l’effondrement de 1940.

[1] http://www.lacrisedesannees2010.com/2021/10/le-marche-de-l-electricite-ou-le-grand-gachis-de-la-bureaucratie-neoliberale.html

[2] http://www.lacrisedesannees2010.com/2021/11/electricite-que-faire-pour-acceder-a-des-prix-maitrises.html

[3] http://www.lacrisedesannees2010.com/2021/11/electricite-de-la-rationalite-au-derapage-bureaucratico-mercantile.html

[4] http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/01/delirante-annee-2022-l-equivalent-de-40-du-budget-militaire-de-la-france-pour-sauver-le-marche-de-l-electricite.html

[5] http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/07/ce-que-pourrait-etre-une-nationalisation-d-edf.html

[6] EPEX est la bourse de l’électricité crée en 2008 qui aujourd’hui gère 50% des transactions sur le court terme.

[7] Cette hausse peut devenir insupportable pour certaines activités industrielles (chimie, mécanique) qui sont en phase de renégociation de contrats d’approvisionnement en électricité. D’ores et déjà il y a dans certains cas à arbitrer entre maintien d’une production marginale déficitaire et cout de la fermeture temporaire d’une installation. Les prix spot d’aujourd’hui peuvent devenir un instrument d’arrêt de l’activité. Ce type de réflexion concerne également certaines activités de services comme la Grande Distribution.

[8] Il s’agit des bourses d’échanges sur les marchés à terme de l’électricité.

[9] Loi 2010-1488 du 7 décembre 2010.

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18 août 2022 4 18 /08 /août /2022 08:44

Le quotidien « Le Monde »  publié dans son numéro du 13 août » une interview des 6 ministres de la santé qui se sont succédés au cours des 20 dernières années. Beaucoup de champs de difficultés sont abordées de façon séparée et donc sans étude des liens pouvant les unir et surtout les hiérarchiser. Or, manifestement il doit exister des relations type causes/ effets entre liberté d’installation, accès aux urgences, numérus clausus, obligation de gardes, tarification, etc.

Les ministres disposaient de l’information.

De ce point de vue, il parait assez évident que l’une des causes premières est le numérus clausus instauré en 1971 et appliqué en 1972. Instauré sous l’impulsion du syndicat autonome des professeurs de médecine, le numérus clausus devait régulièrement baisser et passe de 8588 en 1972, à 6423 en 1981, puis à 4000 en 1990 et à 3850 en 2000. Ces décisions prises annuellement par les ministres de l’époque ne pouvaient être aveugles. De ce point de vue, les lois de la démographie sont d’une grande simplicité et d’une très grande fiabilité. Ainsi, on savait que cette baisse était pourtant associée à une hausse très prévisible de la population à soigner : 66 millions en 2020 contre 52 millions en 1972. On savait aussi avec une grande précision que le phénomène du  baby boom limité dans le temps entrainerait un vieillissement de la population très aisé à anticiper : 13% de la population de plus de 65 ans en 1972 contre 20% aujourd’hui. On n’ignorait pas non plus dès les années 70 que l’industrie médicale allait se spécialiser et introduire une division technique des fonctions faisant que la plupart des pathologies entrainerait une multiplication des actes et ce, pour le plus grand bien des patients. Et une multiplication faisant aussi décroître le nombre de médecins généralistes lesquels passeront de 94261 à 87801 entre 2010 et 2018. On savait aussi - dès les années 70 - que l’augmentation de l’espérance de vie découlant des progrès médicaux entrainerait une surconsommation médicale pour les âges de plus en plus élevés. Nul dans l’entourage des ministres ne devait ignorer ces faits d’une très grande banalité. Et donc quand Madame Busyn s’est déclarée au Monde « paniquée » lorsque ses équipes lui ont  présenté quelques courbes démographiques, il y a lieu de s’interroger.

On savait peut-être moins dans les années 70 que le temps de travail en France allait diminuer. Pour autant cette diminution était déjà en cours. S’agissant des cadres cette baisse fut de 10% et donc si l’on considère que les médecins sont des cadres il est normal d’imaginer que le temps passé aux soins devrait aussi diminuer de 10% pour les médecins. Les médecins ont aussi le droit de connaître une vie meilleure et plus équilibrée.

Compte tenu de la seule augmentation de la population (26%) et de la diminution logiquement attendue du temps de travail (10%)  il est possible d’établir le numérus clausus de l’année 2022 sur la base de celui de 1972 à 11679 places, soit davantage que ce qui est prévu dans le nouveau dispositif clausus apertus 2022 (10301 places ). Toutefois si l’on considère les autres facteurs (vieillissement et multiplication des actes par pathologie mais aussi et peut-être surtout le vieillissement des médecins eux-mêmes beaucoup plus âgés que la moyenne des cadres français) il est probable que retrouver la capacité de 1972 supposerait un chiffre très supérieur…. Mais, il faut le reconnaitre, sans doute difficile à estimer.  Dans son travail statistique (« Atlas de la démographie médicale en France ») le Conseil national de l’Ordre des Médecins reconnait que le niveau de l’offre de soins continuera à baisser jusqu’en 2025 pour ne retrouver l’offre présente, très insuffisante, qu’en 2030.

Tout ceci était parfaitement connu dès la fin des années 70 et donc les 6 ministres évoqués par « Le Monde » étaient parfaitement au courant de la catastrophe, et une catastrophe que l’on reporte partiellement sur des pays beaucoup plus pauvres en accueillant des médecins étrangers.

Les ministres sont aussi capables de raisonner.

Logiquement, quand une offre baisse et que la demande augmente, nous avons des prix croissants qui viennent rétablir l’équilibre. Ce n’est évidemment pas le cas dans l’industrie du soin puisque le prix est politique et se trouve proche de zéro pour les patients. Dans ce cas apparait une rareté qui devient une rente pour les offreurs et une inaccessibilité pour les demandeurs. La rente de rareté est normalement multidimensionnelle : absence de concurrence entre praticiens, multiplication des actes par unité de temps, renforcement de la puissance négociatrice avec les régulateurs publics ou les hiérarchies : gardes, liberté d’installation, déserts médicaux,  maisons médicales de gardes, tarification d’activités annexes, gestion du temps et management (hôpital, mais aussi Ehpad, SSR, etc). Toutes les questions évoquées par les ministres relèvent de cette multi dimensionnalité de la rente de rareté dont le numérus clausus est la clé ultime.

Cette rente de rareté n’a rien de naturel et se trouve fondamentalement politique. Et il est normal que dans une industrie qui se trouve hors marché et complètement publique, il y ait formation de groupes de pression politiques en quête de rente. Il est donc normal de trouver des syndicats qui, plus discrets que les syndicats classiques de salariés, sont pourtant très puissants en raison de la nature de leur activité.

En ayant connaissance du problème posé et une connaissance remontant à plusieurs dizaines d’années, les ministres qui n’ont abordé que les questions impossibles à résoudre, celles devenues simples conséquences d’un achat politique de rente de rareté depuis 50 ans , se sont faits complices d’une situation. Il ne suffit pas de dire que « l’on  n’avait pas les moyens », que les décisions étaient « prises au-dessus », etc. Quand on connait la réalité du problème et que l’on constate qu’il ne peut être résolu, il faut au moins l’exposer en toute clarté et refuser de participer au grand naufrage des soins : démissionner est un devoir.

Certes, il est encore possible de dire qu’au fond, dans le monde des affaires, des situations de ce type existent et que nombre de cadres peuvent se trouver en difficulté pour des raisons semblables. La différence est pourtant très grande car les cadres sont des salariés qui souvent n’ont pas le choix et doivent assumer une situation de dépendance et en payer le prix moral. Tel n’est pas le cas des ministres qui ne sont en aucune façon des salariés et n’ont pas  éthiquement l’obligation d’assumer une situation de dépendance.

Dans le cas des 6 ministres de la santé, déclarer qu’on ne pouvait rien faire ne peut que questionner.

 

 

 

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13 août 2022 6 13 /08 /août /2022 14:50

L’Etat Russe est un Etat comme les autres et les modalités de sa construction historique ne mettent pas en cause ce qu’on peut appeler l’invariant de toute structure étatique. La vie en société génère spontanément des croyances et règles communes qui dépassent chacun des acteurs pris isolément. Cet ensemble constitue une « extériorité » ( un commun qui dépasse chacun) pouvant devenir enjeu de pouvoir pour une classe d’individus susceptible d’assurer le contrôle des règles et croyances. Cette classe d’individus (rois empereurs, dictateurs, entrepreneurs politiques des démocraties, etc.)  tente de monopoliser et de générer des croyances et règles publiques sur un territoire, et ce  aux fins de les faire fonctionner à leur profit (conquête du pouvoir, ou maintien du pouvoir). Les territoires étant pluriels, l’aventure étatique est aussi faite de guerres  avec des moments célèbres comme les traités de Westphalie (1648) qui seront à l’origine de ce qui sera un jour le modèle de l’Etat-Nation à l’occidental. La Russie, très éloignée des guerres européennes de l’époque, est pour des raisons historiques restée relativement absente du modèle westphalien.  

L’âge institutionnel de l’aventure étatique.

Pour autant les entrepreneurs politiques, qu’ils soient Russes (Tsar) ou occidentaux (rois et empereurs), vont gérer leur monopole territorial en développant des biens dits « publics » assurant une homogénéité croissante à l’intérieur de chaque espace de souveraineté : Religion, langue, mythe national, système de mesures, monnaie, armée de métier, etc. Les entrepreneurs politiques de chaque espace, y compris l’immense espace Russe, deviennent ainsi les gestionnaires de leur monopole. Et une gestion des extériorités se déroule idéologiquement sous la houlette d’un intérêt que l’on doit croire général. Cette homogénéisation, avec ses coûts correspondants notamment en termes fiscaux,  n’est toutefois que relative et certains espaces seront des empires plus ou moins décentralisés (Russie et Empire Autrichien) tandis que d’autres seront de plus en plus centralisés (royaume de France). Cette captation de l’extériorité par des entrepreneurs politiques sera donc consolidée par la construction de ce qu’on appellera des biens publics. Une construction qui se déroulera aussi dans un cadre de relative économie marchande, elle même plus ou moins limitée au monopole territorial. Nous sommes à l’époque de l’âge institutionnel de l’aventure étatique, et bien évidemment un âge qui ne saurait exclure la guerre entre monopoleurs donc des guerres entre des nations constituées ou en voie de constitution. Le monopoleur Russe qui a bien compris, notamment avec son code de 1649,  l’esprit des Traités, étend sa souveraineté sur des espaces de plus en plus vastes à l’est, au nord et au sud du plus grand continent de la planète. L’effet de taille et la soumission d’ethnies infiniment variées et démographiquement réduites, feront que le choix du monopoleur confortera l’idée d’empire. Une solution minimisant probablement les coûts d’homogénéisation et de souveraineté.

L’âge relationnel de l’aventure étatique.

Beaucoup plus récemment, les entrepreneurs politiques occidentaux vont assister, voire participer, à la décomposition du monopole étatique en raison de la logique d’un capitalisme qui, dans sa course, ne peut plus accepter les limites d’un territoire devenu trop étroit. Effondrement des coûts de transports, économies d’échelle aux possibilités inouïes, nouvelles technologies, etc. exigent la reconfiguration des monopoles : libération des mouvements de capitaux, indépendance des banques centrales, abandon des normes nationales, traités de libre-échange avec privatisation des clauses de règlement des conflits, concurrence fiscale, etc. Les entrepreneurs politiques sont ainsi amenés à collaborer avec des entrepreneurs économiques dont certains se veulent  à la tête d’entreprises sans Etat (GAFAM). La mondialisation devenant elle-même « heureuse », l’utopie d’un monde sans guerre autorise l’effondrement des dépenses militaires et de souveraineté. L’Etat n’est plus un monopoleur et doit se faire tout petit : le marché en décompose progressivement ses institutions lesquelles deviennent de simples outils de régulation, voire de mise en relations. Les biens publics de l’âge institutionnel deviennent ainsi des biens devant obéir à la logique universelle de la capitalisation classique : l’école ne fabrique plus des citoyens mais du capital humain, l’hôpital doit fonctionner comme une entreprise, l'outil  militaire doit se déployer avec la flexibilité des flux tendus, etc. Nous sommes dans l’époque du « new public management » et de la « gouvernance par les nombres » chère à Alain Supiot. Cette grande transformation affecte les entrepreneurs politiques victimes plus ou moins consentantes   du tsunami des marchés. Et il est vrai qu’ils n’ont guère le choix en raison d’une réalité anthropologique nouvelle, connexe à celle des marchés, faisant disparaitre le citoyen au profit de « l’individu désirant » : les droits de l’homme qu’ils croyaient issues des lumières ne sont plus naturels et deviennent éminemment culturels, d’où de nouvelles revendications sociétales pour lesquelles il  faudra apporter des réponses politiques à peine de perdre le pouvoir.

Cette grande transformation affecte également  la Russie…sur des bases complètement différentes….

La fausse sortie de l’âge institutionnel de l’Etat Russe.

D’une certaine façon, c’est aussi le marché qui va au siècle dernier entrainer la disparition de l’âge institutionnel de l’Etat Russe. Au plus fort de son âge, le marché y était rigoureusement interdit et ses capacités créatrices de richesses absentes. C’est dire que l’extériorité monopolisée par les entrepreneurs politiques soviétiques se trouvait mal nourrie par des résultats économiques désastreux. Curieusement, alors que les Etats occidentaux, noyés dans l’hégémonie marchande, se trouvaient de plus en plus dépourvus de projet et de sens, le pouvoir soviétique qui se légitimait sur la poursuite d’un immense projet (construire le socialisme) révèle son incapacité à en valider la démarche et les espoirs correspondants. Tout aussi curieusement alors que la création de richesses en Occident pouvait encore nourrir l’Etat institutionnel et payer des coûts d’homogénéisation que l’on va abandonner , l’URSS n’a plus les moyens de payer ses propres coûts d’homogénéisation et de souveraineté. Concrètement le défi de la « guerre des étoiles » des années 80 devient sur le plan économique hors de portée.

L’empire reposait essentiellement sur le mythe d’un avenir radieux qui ne peut advenir. Parce que les coûts d’homogénéisation et de souveraineté deviennent insupportables, il est difficile de surmonter les crises nationalistes des années 80 :  Kazakhstan, Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan, Etats baltes, Etc. Il est aussi difficile de surmonter la débâcle Afghane. Et ces coûts d’homogénéisation sont d’autant plus insupportables que le monopoleur, nullement aidé par des entrepreneurs économiques qui n’existent pas, est victime de catastrophes économiques tout au long de ces mêmes années : Tchernobyl, chute des prix du pétrole, etc.

L’effondrement de l’URSS et la mise en pleine lumière du  centre de l’empire, c’est-à-dire l’Etat Russe, n’a donc rien à voir avec les tentatives actuelles de sécession ( Catalogne, Ecosse, Flandres, etc.) qui elles sont porteuses à tort ou à raison d’espoirs. La mise en lumière de la Russie n’est que la fin d’un cauchemar. C’est ici le centre - L’Etat Russe- qui abandonne sa périphérie et non la périphérie qui fait sécession. De l’empire, il reste des traces plus ou moins importantes : priorité de langue, présence de communautés russes issues de l’époque antérieure, quelques infrastructures industrielles, militaires ou spatiales. De  quoi rogner ou surveiller une souveraineté de républiques qui n’avaient jamais connu l’ordre westphalien.

Depuis plusieurs dizaines d’années, l’Etat Russe se reconstitue curieusement à partir du marché. Il devient une captation par un collectif d’entrepreneurs économiques particuliers (les oligarques) et d’entrepreneurs politiques du monde d’avant qui décident d’utiliser le marché, non pas pour parvenir à l’âge relationnel des Etats, mais à une forme particulière d’âge institutionnel.

L’âge relationnel est proprement impensable : d’une part les entrepreneurs économiques trop liés au monopole étatique ne sont pas en mesure d’affronter un véritable marché mondial et d’autre part les structures anthropologiques restent plus en proximité avec la citoyenneté qu’avec celle de « l’individu désirant » noyé dans l’infini des marchés. Encore aujourd’hui nombre de russes ayant connu l’ancien monde parlent de « se procurer » plutôt que « d’acheter ». Quant à la revendication de droits culturels, l’objectif reste lointain pour une grande majorité.

La stratégie de puissance et de captation de l’extériorité passe donc par le marché sous la forme la plus adaptée à la réalité : celle de la rente. L’âge institutionnel de naguère a construit un monopole sur un territoire gigantesque, monopole  qui fait de l’Etat Russe  le plus grand magasin de tous les intrants de la planète capitaliste. Cette situation est porteuse d’une grande asymétrie. Alors que dans l’âge relationnel de l’Occident le politique est désormais dans la main des  marchés, dans le nouvel Etat Russe c’est le marché qui est dans la main du politique. Le modèle Russe devient ainsi en mondialisation la possibilité de retrouver la puissance de naguère. Le lecteur aura ici en tête l’exemple d’une Allemagne qui, pour servir ses entrepreneurs économiques industriels, ne voit pas que dans la logique des marchés de l’énergie, il peut encore y avoir du politique relevant de la brutalité de l’âge institutionnel. Si la mondialisation homogénéise les marchandises, elle ne peut pas, ou pas encore, réduire  la réalité anthropologique du monde à un modèle unique.

Curieusement, la mondialisation que l’on croyait puissance destructrice des Etats n’a fait qu’engendrer la possibilité du retour de l’ordre impérial de naguère. Les Etats et leur nature profonde, à savoir une situation de capture de ce qui est commun par des individus  privés, n’est en aucune façon remise en cause avec la mondialisation. Dans le cas de la Russie les entrepreneurs politiques restent anthropologiquement et idéologiquement prisonniers du modèle  impérial comme outil de la pérennisation du pouvoir : l’empire est vécu comme mode de protection du centre et de ses dirigeants privés. Et puisque l’empire ne peut être reconstitué sur ses bases anciennes, il faut lui en trouver de nouvelles : la ponction rentière sur l’économie mondiale est vécue comme le nouveau moteur de la reconstitution. La stratégie de puissance qui permettra le retour éventuel de l’empire passe donc par une captation d’un nouveau genre, et une captation qui passe par celle d’une promesse de respect d’un ordre de marché que l’Etat institutionnel n’a aucune envie de valider.

C’était le mythe de la révolution socialiste mondiale qui naguère nourrissait l’empire et permettait de phagocyter de vieilles nations européennes (Pologne, Roumanie, Hongrie, etc). C’est aujourd’hui la simple rente sur les marchés qui nourrit la guerre contre une impensable sécession. Naguère l’empire se construisait contre les marchés. Aujourd’hui il compte se reproduire en les captant à partir de la faiblesse des Etats ayant abandonné l’âge institutionnel.

 Les Etats affaissés de l’Occident ont-ils encore les moyens intellectuels de se ressourcer ?

 

 

 

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